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La porte ouverte, Askof gravit rapidement le premier étage et sonna de nouveau. Un domestique vint ouvrir.

– Prévenez M. Lavobourg qu’il faut que je lui parle à l’instant…

À ce moment, la porte du cabinet de travail s’ouvrit et Lavobourg parut.

– Qu’est-ce qu’il y a? Entrez donc!

Askof se jeta dans le bureau. Sa figure était encore affreusement bouleversée.

– Qu’est-ce qu’il y a? Il y a, mon cher, que vous êtes…

Et il lui dit le mot dans l’oreille, plus quelques détails.

– Qu’est-ce que vous me racontez-là? Pourquoi venez-vous me trouver à une pareille heure!

– Vous estimez que la nouvelle que je vous apporte n’en vaut pas la peine?

– Je ne vous crois pas!

– Eh bien, mon cher, allez chez elle, et nous en reparlerons quand vous reviendrez!

– Avec le commandant! mais c’est impossible… Je sais qu’elle était coquette avec lui comme avec tous, mais lui, il ne la regardait même pas! Que diable! Il a autre chose à faire! Qu’est-ce qui vous a dit ça?

– Personne… J’en reviens, moi, du boulevard Pereire, et je les ai surpris… par le chemin des cacahuètes… je me suis trouvé seul dans le boudoir… et je les ai entendus se parler dans la chambré… Ils y sont encore: allez-y!

Lavobourg chancela, il ne pouvait plus douter.

– Écoutez, Lavobourg, mon auto est en bas, montez dedans. Vous trouverez dans le coffre le manteau et le képi de l’employé d’octroi. Le mot d’ordre, ce soir: sept cacahuètes. Constatez simplement la chose et revenez. Je vous attends ici.

– J’y vais! fit l’autre.

– Eh bien! tenez… prenez mon pardessus, relevez le col, coiffez mon chapeau et jetez-vous vite dans mon auto. Les agents de la Sûreté qui surveillent votre porte croiront que c’est moi qui repars!

Askof entendit la porte de la rue qui se refermait et l’auto qui démarrait.

Alors il revint au bureau abandonné par Lavobourg. Il constata que le grand homme politique procédait à une besogne de prudence et de sécurité personnelle quand il était venu le déranger.

Sur les braises de la cheminée, des papiers, jugés compromettants sans doute, finissaient de se consumer.

Vingt minutes s’étaient à peine écoulées quand la porte se rouvrit pour laisser passage à Lavobourg, qui ne paraissait guère plus calme qu’au départ.

– Askof, j’ai tenté en vain de passer! Ne m’aviez-vous pas dit que le mot d’ordre était de «sept» cette nuit?

– Mais oui! et c’est celui qui m’a servi!

– Eh bien! quand je déposai les cacahuètes, l’homme du comptoir les regarda et me dit en secouant la tête:

– On ne passe pas!

Je voulus continuer mon chemin; il fit un signe et deux clients lâchèrent aussitôt leur tabouret… Je n’ai pas insisté… me voilà revenu… Ah! j’avais si grande envie de pénétrer ostensiblement dans l’hôtel! Mais quoi! c’était avertir l’autre et je ne l’aurais plus trouvé! Enfin, l’hôtel était surveillé par la police.

– Oh! fit Askof en sifflant… Oh! ce qu’ils sont forts! ce qu’ils sont forts! Ils se sont doutés qu’il y avait quelque chose de pas naturel dans mon départ précipité… et ils ont changé de mot d’ordre!

– Mais qui ils! reprit l’autre, extraordinairement fébrile. Me direz-vous, à la fin, pour qui nous travaillons, vous et moi? Me direz-vous qui se trouve derrière Jacques du Touchais? Car enfin, puisque vous le détestez, et ce n’est pas d’aujourd’hui que je le sais, il faut qu’il y ait quelque chose qui vous fasse agir… De qui êtes-vous l’esclave? Et de qui donc, moi, jusqu’à ce jour, ai-je été le pantin?

Askof, à cet appel, se souleva et se prit à marcher de long en large comme une bête qui s’apprête à prendre son élan pour briser les barreaux de sa cage, mais peu à peu cette agitation se calma et il revint s’asseoir à sa place, détendu déjà, presque calmé.

– Inutile! fit-il d’une voix sourde; je ne pourrais vous dire!

– Le parti pour lequel nous travaillons est donc bien puissant! Est-ce un parti politique? Un parti de finances? Un parti religieux?

L’autre secouait toujours la tête…

– Vous n’y êtes pas! fit-il. Vous retardez! C’est quelque chose de plus extraordinaire encore que tout cela! Et puis n’insistez pas! Je ne vous le dirai pas!

– Pourquoi?

– Parce que je tiens à ma peau! Écoutez, Lavobourg… il n’y a qu’un point sur lequel nous puissions nous entendre… c’est sur lui… sur le «commandant»! En somme, il ne s’agit que de celui-là. C’est celui-là que nous détestons, vous et moi!

– Ah! je le hais! je voudrais le tuer… Demain, je le provoquerai… nous nous battrons en duel!

– Et il vous tuera! Vous serez bien avancé! Non! nous pouvons mieux que ça! Et encore, moi, j’ai fait tout ce que j’ai pu, en venant vous trouver ici, en vous disant ce qu’il en était, en déchaînant votre colère! C’est à vous d’agir maintenant! Vous pouvez ruiner son affaire! Vous savez que c’est pour lundi! Vous pouvez le faire arrêter d’ici là! Et quand on aura mis la main dessus, on découvrira une partie du pot aux roses.

– L’assassinat de Carlier!

– N’essayez pas de me faire dire ce que je ne puis pas dire…

– Alors qu’est-ce que vous voulez que je fasse: aller trouver le président du Conseil?

– Qu’est-ce que vous lui direz? Que Jacques va tenter son coup lundi? Mais quel coup? Nous n’en savons encore rien, ni vous ni moi! Il n’y a que lui qui le sache! Lui, et peut-être Sonia… Mais je sais qu’il compte sur vous… que vous êtes au premier plan de la combinaison et que vous serez averti au dernier moment. Sans doute va-t-il vous dicter votre rôle demain… Eh bien, attendez tranquillement jusqu’à ce moment-là…

Lavobourg regarda Askof.

– Quand vous êtes arrivé dans le boudoir, fit-il avec une certaine hésitation honteuse… ils étaient dans la chambre?

– Je vous l’ai dit…

– Combien êtes-vous resté de temps dans le boudoir?

– Plus d’une demi-heure! Ah ça! mais, mon cher, que voulez-vous que je vous dise davantage? C’est le bruit de leurs baisers qui m’a averti!

Lavobourg fit entendre une sourde plainte et passa une main tremblante sur son visage en feu.

– C’est entendu! fit-il, c’est entendu, mon cher, vous pouvez compter sur moi…

– Alors, adieu!

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