GERMAINE
Au moins.
LE DUC, continuant.
« Je vous prie, Monsieur, de faire emballer convenablement ces divers objets, et de les expédier en mon nom, port payé, en gare des Batignolles, avant huit jours. Faute de quoi je ferai procéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre. Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause et agréez, je vous prie, Monsieur, l’expression de mon entier dévouement.
Signé :
Arsène Lupin. »
C’est drôle ! j’avoue que c’est drôle ! Et votre père n’a pas ri ?
GERMAINE
Ri ! Ah ! si vous aviez vu sa tête… Il a pris cela au tragique.
LE DUC
Pas au point d’expédier les objets en gare des Batignolles, j’espère ?
GERMAINE
Non, mais au point de s’affoler, et comme nous avions lu dans un journal de Rennes que Guerchard, le célèbre policier, le seul adversaire vraiment digne d’Arsène Lupin, se trouvait dans cette ville, papa nous y entraîne. En dix minutes on tombe d’accord. La nuit du 27 arrive, Guerchard avec deux inspecteurs de confiance s’installe dans ce hall où se trouvaient alors les collections. La nuit se passe très tranquille, rien d’insolite, pas un seul bruit… Dès l’aurore nous nous précipitons…
LE DUC
Eh bien ?
GERMAINE
Eh bien, c’était fait.
LE DUC
Quoi ?
SONIA
Tout !
LE DUC
Comment tout ? Les tableaux ?
GERMAINE
Enlevés !
LE DUC
Les tapisseries ?
SONIA
Plus de tapisseries.
LE DUC
Et le diadème aussi ?
GERMAINE
Ah ! non ! Il était au Crédit Lyonnais, celui-là. C’est sans doute pour se dédommager qu’il a pris votre portrait, car Lupin n’avait pas annoncé ce vol-là dans sa lettre.
LE DUC
Mais voyons, c’est invraisemblable. Il avait donc hypnotisé Guerchard, ou lui avait fait respirer du chloroforme.
GERMAINE
Guerchard ? Mais ça n’avait jamais été Guerchard.
LE DUC
Comment ?
SONIA
C’était un faux Guerchard. C’était Lupin.
LE DUC
Alors, ça, vraiment, ce n’est pas mal. Quand il a appris cette histoire, qu’a fait le vrai Guerchard ?
SONIA
Il en a fait une maladie.
GERMAINE
Et c’est depuis ce temps-là qu’il a voué à Lupin une haine mortelle.
LE DUC
Et on n’a jamais pu remettre la main sur le faux Guerchard ?
GERMAINE
Jamais. Pas l’ombre d’une trace. Nous n’avons de lui qu’une lettre et cet autographe…
(Elle désigne la signature de Lupin derrière la tapisserie écartée.)
LE DUC
Fichtre ! C’est un habile homme.
GERMAINE, riant.
Très habile ! et quand il serait dans le voisinage, cela ne me surprendrait qu’à moitié.
LE DUC
Oh !
GERMAINE
Je plaisante, mais on a changé des objets de place ici. Tenez cette statuette… Et on ne sait pas qui… Et, de plus, on a cassé ce carreau, juste à la hauteur de l’espagnolette.
LE DUC
Tiens ! Tiens !
FIRMIN, entrant.
Mademoiselle reçoit ?
GERMAINE
Firmin ! C’est vous qui êtes à l’antichambre ?
FIRMIN
Dame, faut ben, Mademoiselle. Tous les domestiques sont partis pour Paris… La visite peut-elle pénétrer ?
LE DUC, riant.
Pénétrer ! Firmin, vous êtes épatant !
GERMAINE
Qui est-ce ?
FIRMIN
Deux messieurs. Ils ont dit qu’ils avaient prévenu.
GERMAINE
Deux messieurs ? Qui ça ?
FIRMIN
Ah ! je n’ai pas la mémoire des noms.
LE DUC, en riant.
C’est commode…
GERMAINE
Ce n’est pas les deux Charolais au moins ?
FIRMIN
Ça ne doit pas être ça.
GERMAINE
Enfin, faites entrer.
(Firmin sort.)
LE DUC
Charolais ?
GERMAINE
Oui. Figurez-vous que tout à l’heure, on nous a annoncé deux messieurs ; j’ai cru que c’étaient Georges et André du Buit…, oui, ils nous avaient promis de venir prendre le thé tout à l’heure. Je dis à Alfred de les introduire…, et nous avons vu surgir… (Elle se retourne et voit Charolais et son fils.) Oh !
Scène V
LES MÊMES, LES QUATRE CHAROLAIS
CHAROLAIS
Mademoiselle, mes civilités.
(Il salue. Le fils salue également et démasque un troisième individu.)
SONIA, à Germaine.
Tiens, il y en a un de plus.
CHAROLAIS, présentant.
Mon second fils, établi pharmacien.
(Le second fils salue.)
GERMAINE
Monsieur, je suis désolée… Mon père n’est pas encore rentré.
CHAROLAIS père.
Ne vous excusez pas… il n’y a pas de mal.
(Ils s’installent.)
GERMAINE, un instant de stupeur et coup d’œil à Sonia.
Il ne rentrera peut-être que dans une heure. Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.
CHAROLAIS
Oh ! il n’y a pas de mal. (Avisant le duc.) Maintenant, en attendant… si monsieur est de la famille on pourrait peut-être discuter avec lui le dernier prix de l’automobile.
LE DUC
Je regrette, ça ne me regarde en aucune façon.
FIRMIN, entrant et s’effaçant devant un nouveau visiteur.
Si monsieur veut pénétrer par ici…
CHAROLAIS
Comment ! Te voilà ? Je t’avais dit d’attendre à la grille du parc.
BERNARD CHAROLAIS
Je voulais voir l’auto aussi.
CHAROLAIS
Mon troisième fils. Je le destine au barreau.
(Bernard salue.)
GERMAINE
Ah ! ça, mais combien sont-ils ?
LA FEMME DE CHAMBRE
Monsieur vient d’arriver, Mademoiselle.
GERMAINE
Eh bien, tant mieux. (À Charolais.) Si vous voulez me suivre, Messieurs, vous allez pouvoir parler à mon père tout de suite.
(Pendant ce temps, Charolais et ses fils se sont levés. Bernard est resté debout près de la table. Germaine sort suivie par Charolais et ses deux, fils. Bernard qui paraît admirer le salon empoche deux objets qui sont sur la table et va pour sortir.)
LE DUC, vivement à Bernard.
Non, pardon jeune homme.
BERNARD CHAROLAIS
Quoi ?
LE DUC
Vous avez pris un porte-cigarettes.
BERNARD CHAROLAIS
Moi, mais non. (Le duc empoigne le bras du jeune homme et fouille dans la casquette qu’il tient à la main. Il en sort le porte-cigarettes. Feignant la stupeur.) C’est… C’est… par mégarde.
(Il veut sortir.)
LE DUC, le retenant, sortant un écrin de la poche intérieure de Bernard.
Et ça, c’est par mégarde aussi ?
SONIA
Mon Dieu ! le pendentif !
BERNARD CHAROLAIS, avec égarement.
Pardonnez-moi, je vous en supplie, ne me trahissez pas.
LE DUC
Vous êtes un petit misérable !
BERNARD CHAROLAIS
Je ne recommencerai plus jamais… par pitié… si mon père savait… par pitié…
LE DUC
Soit !… pour cette fois… (Le poussant vers la porte.) ! Allez au diable !
BERNARD, sort en répétant.
Merci… merci… merci…
Scène VI
SONIA, LE DUC
LE DUC
C’est en effet là qu’il ira, ce petit… Il ira loin. Ce pendentif… c’eût été dommage !… (Il le pose sur le chiffonnier.) Ma foi, j’aurais dû le dénoncer.
SONIA, vivement.
Non, non, vous avez bien fait de pardonner.
LE DUC
Qu’avez-vous donc ? Vous êtes toute pâle !
SONIA
Ça m’a bouleversée… le malheureux enfant.
LE DUC
Vous le plaignez ?
SONIA
Oui, c’est affreux. Il avait des yeux si terrifiés, et si jeune… et puis être pris là… en volant… sur le fait… Oh ! c’est odieux.
LE DUC