VICTOIRE
Oui, mais si Guerchard m’arrête ?…
LUPIN
Non ! Il entre, tu te dissimules derrière la porte, et puis tu ne comptes pas pour lui…
VICTOIRE
Pourtant, s’il m’arrête ?… (Lupin ne répond pas. On entend un deuxième coup de sonnette.)
LUPIN, un temps, tout bas.
Vas-y tout de même, Victoire…
VICTOIRE
J’y vais, mon petit.
(Elle sort de l’antichambre.)
Scène VI
LUPIN, seul.
LUPIN, seul, il tombe assis, défaillant.
Pourvu qu’elle arrive à temps… Que Victoire l’empêche… Ah ! Sonia, ma petite Sonia… (Se dominant,) Hein ! mais je deviens gâteux, moi !… Guerchard est là et au lieu de… Ah ! mais non ! Ah !… mais non !… (Il se relève.) Ah ! mais non…
(Il prend la boîte et va la déposer sur un des rayons de la bibliothèque.)
Scène VII
LUPIN, puis GUERCHARD, puis BOURSIN, puis SONIA
GUERCHARD, entrant rapidement et s’arrêtant court sur le seuil.
Bonjour, Lupin.
LUPIN
Bonjour, ma vieille.
GUERCHARD
Tu m’attendais ?… je n’ai pas été trop long ?
LUPIN, maîtrisant son émotion.
Non, le temps a passé très vite.
GUERCHARD
C’est gentil chez toi.
LUPIN
C’est central… Seulement excuse-moi, je ne peux pas te recevoir comme je voudrais. Tous mes domestiques sont partis.
GUERCHARD
Ne t’inquiète pas de ça, je les rattraperai. (Un temps.) Et Victoire est toujours là…
LUPIN, chancelant sous le coup, la voix altérée.
Elle est arrêtée ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Ah ! (Un temps… À Guerchard qui a gardé son chapeau sur la tête.) Reste donc couvert. (Ils s’assoient tous deux l’un en face de l’autre, lentement sans se quitter des yeux.) D’où viens-tu ? (Avec gaminerie.) Tu as été faire signer ton petit mandat ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN, même jeu.
Tu l’as sur toi ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Contre Lupin, dit Charmerace ?
GUERCHARD
Contre Lupin, dit Charmerace.
LUPIN
Alors, qu’est-ce que t’attends pour m’arrêter ?
GUERCHARD
Rien, mais ça me fait tellement plaisir que je veux savourer cette minute dans toute sa plénitude. Lupin !
LUPIN
Soi-même.
GUERCHARD
Je n’ose pas y croire.
LUPIN
Comme tu as raison !
GUERCHARD
Oui, je n’ose pas y croire. Toi, vivant ! là, à ma merci.
LUPIN
Oh ! pas encore !
GUERCHARD
Si !… Et bien plus encore que tu ne le crois… (Se penchant vers lui.) Sais-tu où est Sonia Krichnoff, en ce moment ?
LUPIN
Hein ?
GUERCHARD
Je te demande si tu sais où est Sonia Krichnoff ?
LUPIN, bouleversé.
Et toi ?
GUERCHARD
Moi je le sais.
LUPIN
Dis voir.
GUERCHARD
Dans un petit hôtel, près de l’Étoile…
LUPIN, bouleversé.
Dans un petit hôtel près de l’Étoile…
GUERCHARD
Qui a le téléphone.
LUPIN
Ah ! quel numéro ?
GUERCHARD
555-14… Veux-tu lui téléphoner ?
LUPIN, se levant brusquement.
Eh bien, après ?
GUERCHARD
Après… rien… voilà.
LUPIN, avec dans la voix de l’émotion, de la violence contenue, parfois une sorte de supplication menaçante.
Évidemment, rien… car qu’est-ce que ça peut te faire, cette petite ? Ce n’est pas elle qui t’intéresse, n’est-ce pas ? C’est moi que tu cherches… que tu hais… C’est moi qu’il te faut… Je t’ai joué assez de tours pour ça, hein ! vieux brigand ? Alors, cette petite, tu vas la laisser tranquille… Tu ne vas pas te venger sur elle… Tu as beau être policier, tu as beau me détester ; il y a des choses qui ne se font pas… Tu ne vas pas faire ça, Guerchard… tu ne feras pas ça… Moi… tout ce que tu voudras… mais elle, faut pas y toucher.
GUERCHARD, nettement.
Ça dépend de toi.
LUPIN
Ça dépend de moi ?
GUERCHARD
J’ai à te proposer un petit marché.
LUPIN
Ah !…
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Qu’est-ce que tu veux ?
GUERCHARD
Je t’offre…
LUPIN
Tu m’offres ? Alors, c’est pas vrai… Tu me roules.
GUERCHARD
Rassure-toi. À toi personnellement, je ne t’offre rien.
LUPIN
Rien ?
GUERCHARD
Rien !
LUPIN
Alors, tu es sincère. Et à part ça ?…
GUERCHARD
Je t’offre la liberté.
LUPIN
Pour qui ? Pour mon concierge ?
GUERCHARD
Ne fais pas l’idiot, une seule personne t’intéresse, je te tiens par elle : Sonia Krichnoff !
LUPIN
C’est-à-dire que tu me fais chanter.
GUERCHARD
Tu l’as dit.
LUPIN
Soit, pour l’instant tu es le plus fort. Ça ne durera pas. Mais tu m’offres la liberté de la petite ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Sa liberté entière… Ta parole d’honneur ?
GUERCHARD, vivement.
Oui.
LUPIN, vivement.
Tu le peux ?
GUERCHARD
Je m’en charge.
LUPIN, vivement.
Comment feras-tu ?
GUERCHARD, vivement.
Je mettrai les vols sur ton dos.
LUPIN
Oui, j’ai bon dos… Et en échange… qu’est-ce qu’il te faut ?
GUERCHARD
Ah ! tout. Tu vas me rendre les tableaux, les tapisseries, le mobilier Louis XIV, le diadème, et l’acte de décès de Charmerace.
LUPIN
Oui, foutu. Je serai foutu… Veux-tu aussi ma sœur ? Enfin quoi ! tu veux ma peau ?
GUERCHARD
Oui, je veux ta peau.
LUPIN
La peau !
GUERCHARD
Tu ne veux pas ?
LUPIN
Je peux te donner un verre de porto, mais c’est tout ce que je peux faire pour toi.
GUERCHARD
Soit !
(On sonne. Il va à la porte.)
LUPIN, courant.
Attends ! Attends !
GUERCHARD, à Boursin qui entre.
Qu’est-ce que c’est ?
LUPIN, fortement.
J’accepte, j’accepte tout.
BOURSIN, à Guerchard.
C’est un fournisseur.
LUPIN
Un fournisseur ? Je refuse.
(Boursin se retire.)
GUERCHARD
Je vais coffrer la petite.
LUPIN
Pas pour longtemps.
GUERCHARD
Tu connais ton code : minimum, cinq ans.
LUPIN
Tu mens ! tu ne peux pas !
GUERCHARD
… Article 386.
LUPIN, après un instant.
Au fait, si je te rends tout… j’en serai quitte pour tout reprendre un de ces jours…
GUERCHARD, ironique.
Parbleu ! quand tu sortiras de prison.
LUPIN
Il faudra d’abord que j’y entre.
GUERCHARD
Ah ! mais pardon, si tu acceptes, je pense t’arrêter !
LUPIN
Évidemment, tu m’arrêtes si tu peux…
GUERCHARD
Tu acceptes ?
LUPIN
Eh bien…
GUERCHARD
Eh bien ?
LUPIN, violemment.
Eh bien ! non !…
GUERCHARD
Ah !
LUPIN
Non. Tu veux m’avoir… tu me la fais… tu te fiches de Sonia au fond… Tu ne l’arrêteras pas… Et puis même… tu l’arrêtes… soit ! j’admets… C’est pas tout d’arrêter, il faut prouver. As-tu des preuves ? Oui, je sais, le pendentif, eh bien ! prouve-le. Non, Guerchard, après dix ans que j’échappe à tes griffes, me faire piger pour sauver cette petite qui n’est même pas en danger. Je refuse.
GUERCHARD
Soit. (On sonne.) Encore… On sonne beaucoup chez toi, ce matin. (À Boursin qui entre.) Qu’est-ce que c’est ?
BOURSIN
Mlle Krichnoff.
GUERCHARD
Ah ! Empoigne-la… Voilà le mandat… Empoigne-la…
LUPIN, sautant à la gorge de Boursin.