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SONIA

C’est dimanche, les magasins ne font pas de livraisons ce jour-là.

JEANNE

Le beau duc ne vient pas goûter ?

GERMAINE

Mais si, je l’attends à quatre heures et demie. Il a dû sortir à cheval avec les deux frères du Buit. Les du Buit viennent goûter ici.

MARIE

Il est sorti à cheval avec les du Buit ? Quand ça ?

GERMAINE

Mais cet après-midi.

MARIE

Ah ! non… Mon frère est allé après déjeuner chez les du Buit pour voir André et Georges. Ils étaient sortis depuis ce matin en voiture, et ils ne devaient rentrer que tard dans la soirée.

GERMAINE

Tiens, mais… qu’est-ce qu’il m’a raconté ?

IRMA, entrant.

On est là de Paris, Mademoiselle.

GERMAINE, vivement.

Chic, c’est le concierge ?

IRMA

C’est Victoire, la femme de charge.

GERMAINE, au téléphone.

Allô, c’est vous Victoire… Ah ! on a envoyé quelque choseEh bien, qu’est-ce que c’est ? Un coupe-papier… encore ! Et l’autre ? Un encrier Louis XVI, encore… Oh ! là ! là ! De qui ? (avec fierté) Comtesse de Rudolphe et baron de Valéry… oui et c’est tout ? Non, c’est vrai ? (à Sonia) Sonia, un collier de perles ! (au téléphone) Il est gros ? les perles sont grosses ? Oh ! mais c’est épatant ! Qui a envoyé ça… (désappointée) Oh ! oui, un ami de papa. Enfin, c’est un collier de perles… Fermez les portes, n’est-ce pas ? et serrez-le dans l’armoire secrète… Oui, merci ma bonne Victoire, à demain (à Jeanne et Marie). C’est inouï, les relations de papa me font des cadeaux merveilleux et tous les gens chics m’envoient des coupe-papier. Il est vrai que Jacques est au-dessous de tout. C’est à peine si dans le faubourg on sait que nous sommes fiancés.

JEANNE

Il ne fait aucune réclame ?

GERMAINE

Vous plaisantez, mais c’est que c’est vrai. Sa cousine, Mme de Relzières me le disait encore l’autre jour au thé qu’elle a donné en mon honneur, n’est-ce pas Sonia ?

JEANNE, bas à Marie.

Elle en a plein la bouche de son thé.

MARIE

À propos de Mme de Relzières, vous savez qu’elle est aux cent coups. Son fils se bat aujourd’hui.

SONIA

Avec qui ?

MARIE

On ne sait pas, elle a surpris une lettre des témoins…

GERMAINE

Je suis tranquille pour Relzières. Il est de première force à l’épée, il est imbattable.

JEANNE

Il était intime avec votre fiancé, autrefois ?

GERMAINE

Intime. C’est même par Relzières que nous avons connu Jacques.

MARIE

Où ça ?

GERMAINE

Dans ce château.

MARIE

Chez lui, alors ?

GERMAINE

Oui. Est-ce drôle, la vie ! Si quelques mois après la mort de son père, Jacques ne s’était pas trouvé dans la dèche et obligé, pour les frais de son expédition au pôle Sud, de bazarder ce château ; si papa et moi, nous n’avions pas eu envie d’avoir un château historique, et enfin, si papa n’avait pas souffert de rhumatismes, je ne m’appellerais pas dans un mois la duchesse de Charmerace.

JEANNE

Quels rapports ont les rhumatismes de votre père ?

GERMAINE

Un rapport direct. Papa craignait que ce château ne fût humide. Pour prouver à papa qu’il n’avait rien à craindre, Jacques, en grand seigneur, lui a offert l’hospitalité, ici, à Charmerace pendant trois semaines ; par miracle papa s’y est guéri de ses rhumatismes. Jacques est tombé amoureux de moi ; papa s’est décidé à acheter le château, et moi, j’ai demandé la main de Jacques.

MARIE

Mais vous aviez seize ans ?

GERMAINE

Oui, seize ans, et Jacques partait pour le pôle Sud.

JEANNE

Alors ?

GERMAINE

Alors, comme papa trouvait que j’étais beaucoup trop jeune pour me marier, j’ai promis à Jacques d’attendre son retour. Seulement, entre nous, si j’avais su qu’il devait rester si longtemps au pôle Sud…

MARIE

C’est vrai. Partir pour trois ans, et rester sept ans là-bas.

JEANNE

Toute votre belle jeunesse…

GERMAINE, piquée.

Merci…

JEANNE

Dame ! Vous avez vingt-trois ans, c’est d’ailleurs la fleur de l’âge.

GERMAINE

Vingt-trois ans à peu près… Enfin, j’ai eu tous les malheurs, le duc est tombé malade, on l’a soigné à Montevideo. Une fois bien portant, comme personne n’est plus entêté que lui, il a voulu reprendre son expédition, il est parti pour deux ans, et brusquement plus de nouvelles, plus aucune nouvelle. Vous savez que pendant six mois nous l’avons cru mort ?

SONIA

Mort ! Mais vous avez dû être très malheureuse ?

GERMAINE

Ah ! ne m’en parlez pas. Je n’osais plus mettre une robe claire.

JEANNE, à Marie.

C’est un rien.

GERMAINE

Heureusement, un beau jour, les lettres ont réapparu, il y a trois mois un télégramme a annoncé son retour et, enfin, depuis deux mois, le duc est revenu.

JEANNE, à part, imitant le ton affecté de Germaine.

Le duc !

MARIE

C’est égal. Attendre un fiancé pendant près de sept ans, quelle fidélité !

JEANNE

L’influence du château.

GERMAINE

Comment ?

JEANNE

Dame ! Posséder le château de Charmerace et s’appeler mademoiselle Gournay-Martin, ça n’est pas la peine.

MARIE, sur un ton de plaisanterie.

N’empêche, que d’impatience, mademoiselle Germaine, pendant ces sept ans, a failli se fiancer avec un autre.

(Sonia se retourne.)

JEANNE, sur le même ton.

Qui n’était que baron.

SONIA

Comment ! c’est vrai, Mademoiselle ?

JEANNE

Vous ne saviez pas, mademoiselle Sonia ? Mais oui, avec le cousin du duc, précisément, Monsieur de Relzières. Baronne de Relzières, c’était moins bien.

SONIA

Ah !

GERMAINE, sur le même ton.

Mais étant le cousin et le seul héritier du duc, Relzières aurait relevé le titre et les armes, et j’aurais été tout de même duchesse, mes petites.

JEANNE

Évidemment, c’était l’important. Sur ce, je me sauve, ma chérie.

GERMAINE

Déjà ?

JEANNE, avec emphase.

Oui, nous avons promis à la vicomtesse de Grosjean de lui faire un bout de visite. (Négligemment.) Vous connaissez la vicomtesse de Grosjean ?

GERMAINE

De nom. Papa a connu son mari à la Bourse quand il s’appelait encore simplement monsieur Grosjean. Papa, lui, a préféré garder son nom intact.

JEANNE, sortant, à Marie.

Intact. C’est une façon de parler. Alors, à Paris ? Vous partez toujours demain ?

GERMAINE

Oui, demain.

MARIE, l’embrassant.

À Paris, n’est-ce pas ?

GERMAINE

Oui, à Paris.

(Sortent les deux jeunes filles.)

ALFRED, entrant.

Mademoiselle, il y a là deux messieurs ; ils ont insisté pour voir Mademoiselle.

GERMAINE

Ah oui, messieurs du Buit.

ALFRED

Je ne sais pas, Mademoiselle.

GERMAINE

Un monsieur d’un certain âge et un plus jeune ?

ALFRED

C’est cela même, Mademoiselle.

GERMAINE

Faites entrer.

ALFRED

Mademoiselle n’a pas d’ordres pour Victoire ou pour les concierges de Paris ?

GERMAINE

Non. Vous partez tout à l’heure ?

ALFRED

Oui, Mademoiselle, tous les domestiques… par le train de sept heures. Et il est bien de ce pays-ci : on n’est rendu à Paris qu’à neuf heures du matin.

GERMAINE

Tout est emballé ?

ALFRED

Tout. La charrette a déjà conduit les gros bagages à la gare. Ces messieurs et ces demoiselles n’auront plus qu’à se préoccuper de leurs valises.

GERMAINE, à la porte.

Parfait. Faites entrer messieurs du Buit (Il sort.) Oh !

SONIA

Quoi ?

GERMAINE

Un des carreaux de la baie a été enlevé, juste à la hauteur de l’espagnolette, on croirait qu’il a été coupé.

SONIA

Tiens ! Oui, juste à la hauteur de l’espagnolette.

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