LE DUC
C’est moi, je vous l’ai dit tout à l’heure.
GUERCHARD
Oui… oui… je sais. (Au téléphone.) Hier, après midi… oui, personne d’autre ?… Ah ! personne sauf le duc de Charmerace… Vous êtes bien sûr !… Tout à fait sûr ?… Tout à fait sûr… Oui, c’est tout, merci. (Il remet le cornet de l’appareil et, au duc.) Vous avez entendu, monsieur le Duc ?
LE DUC
Oui.
(Un silence encore.)
GOURNAY, entrant sa valise à la main.
Tu veux aller au Ritz ? Allons au Ritz. (Au duc.) Qu’est-ce que vous voulez ? Il était dit que je ne coucherai plus jamais chez moi.
LE DUC
Vous partez ? Qu’est-ce qui vous oblige à partir ?
GOURNAY
Le Danger ! Vous n’avez donc pas lu le télégramme de Lupin : « Viendrai ce soir entre minuit moins un quart et minuit prendre le diadème ! » Et vous croyez que j’allais l’attendre quand le diadème était dans ma chambre à coucher.
LE DUC
Mais il n’y est plus… Vous avez eu la bonté de me le confier, et nous l’avons changé de place ensemble.
GOURNAY
Oui et même je l’ai repris, je l’ai là dans ma valise, je l’emporte avec moi.
(Pendant ce dialogue, Guerchard est resté à part et réfléchit, puis il interroge Germaine.)
LE DUC
Hein !
GOURNAY
Quoi ?
LE DUC
Est-ce très prudent ?
GOURNAY
Quoi !
LE DUC
Si Lupin est décidé à s’emparer du diadème, même par la force, vous risquez gros.
GOURNAY
Ah ! c’est vrai. Je n’avais pas pensé à cela. Alors que faire ?
LE DUC
Il faut se méfier.
GOURNAY
De tout le monde, comme c’est vrai. Dites-moi. (À Guerchard qui s’avance,) Non, pardon, un instant ; dites-moi, vous avez confiance en Guerchard ?
LE DUC
En Guerchard !
GOURNAY
Vous croyez qu’on peut avoir en lui pleine confiance ?
LE DUC
Oh ! Je crois.
GOURNAY
Eh bien, alors, je vais lui confier le diadème. (Ouvrant sa valise.) Tenez, il est beau, n’est-ce pas ?
LE DUC, tenant le coffret ouvert.
Ah ! merveilleux !
GOURNAY, à Guerchard.
Monsieur Guerchard, il y a du danger, alors je vous confie le diadème. Ça ne vous ennuie pas ?
GUERCHARD
Au contraire. C’est précisément ce que je voulais vous demander.
LE DUC, lui tend le diadème très lentement. Tous deux ont les bras tendus et tiennent le coffret en même temps.
Il est beau, n’est-ce pas ? (Le duc abandonne le coffret.)
GUERCHARD
Ah ! merveilleux !
GOURNAY, au duc.
Ah ! Jacques, s’il y avait du nouveau, je suis au Ritz. Alors, n’est-ce pas ?…
(Il continue à causer avec lui.)
GUERCHARD, à Germaine.
Vous connaissez cette photographie du duc, Mademoiselle ? Elle date de dix ans.
GERMAINE
Elle date de dix ans ? Eh bien, ce n’est pas le duc.
GUERCHARD, vivement.
Quoi ?
GERMAINE
Comment ?
GUERCHARD
Rien… pourtant elle ressemble…
GERMAINE
Au duc, tel qu’il est, oui, un peu ; mais pas au duc tel qu’il était. Il a tellement changé.
GUERCHARD
Ah !
GERMAINE
Le voyage, la maladie… Vous savez qu’il a passé pour mort…
GUERCHARD
Oui.
GERMAINE
C’est même ce qui inquiétait papa quand il est parti. Maintenant il va très bien.
GUERCHARD
Vous partez aussi, monsieur le Duc ?
LE DUC
Oui, vous n’avez pas besoin de moi ?
GUERCHARD
Si !
LE DUC
C’est que j’ai à faire.
GUERCHARD
Vous avez peur ?
(Un silence. Le duc réfléchit. Puis comme s’il prenait son parti et qu’il se décidât à jouer le tout pour le tout.)
LE DUC
Ah ! monsieur Guerchard, vous avez trouvé le moyen de me faire rester.
GOURNAY
Oui. Restez. Vous n’êtes pas trop de deux. Et merci… Mais quand pourrai-je enfin coucher chez moi ?
(Il serre la main à Guerchard et sort.)
GERMAINE, qui rentre à droite
Vous ne venez pas ?
LE DUC
Non, je reste avec M. Guerchard.
GERMAINE
Eh bien, vous serez frais demain matin pour aller à l’Opéra. Déjà vous n’avez pas dormi cette nuit. (Guerchard tressaille.) Partir à huit heures du soir de Bretagne pour arriver à six heures du matin en automobile.
GUERCHARD, avec un sursaut.
En automobile.
GERMAINE
Mais je vous préviens. Malade ou non, vous m’accompagnerez à l’Opéra, je veux voir « Faust », c’est le jour chic.
(Ils sortent.)
Scène V
LE DUC, GUERCHARD, BOURSIN
GUERCHARD, à lui-même, lentement, avec une joie farouche.
En automobile !… mais voilà… tout s’explique… mais oui… voilà… (Il pose sur la table le coffret dans lequel se trouve le diadème. Le duc revient en scène.) Je ne savais, monsieur le Duc… vous avez eu cette nuit une panne en automobile… Si j’avais su, je me serais fait un scrupule.
LE DUC
Une panne…
GUERCHARD
Oui, parti à 8 heures, hier soir, vous n’êtes arrivé à Paris qu’à 6 heures du matin. Vous n’aviez donc pas une forte machine.
LE DUC
Si, une cent-chevaux.
GUERCHARD
Bigre ! Vous avez dû avoir une sacrée panne !
LE DUC
Oui, une panne de trois heures.
GUERCHARD
Et personne ne se trouvait là pour vous aider à la réparer.
LE DUC
Dame non ; il était deux heures du matin.
GUERCHARD
Oui, il n’y avait personne.
LE DUC
Personne.
GUERCHARD
C’est fâcheux.
LE DUC
Très fâcheux. J’ai dû réparer moi-même. C’est ce que vous vouliez dire, n’est-ce pas ?
GUERCHARD
Certainement.
LE DUC
Une cigarette ? Ah non, je sais que vous ne fumez que du caporal.
GUERCHARD
Si, si, tout de même. (Il prend une cigarette et la regarde.) C’est égal, tout ça est bien curieux.
LE DUC
Quoi ?
GUERCHARD
Tout, – vos cigarettes… ces fleurs de Salvia… la petite photo qu’on m’a remise… cet homme en tenue de chauffeur et… enfin, votre panne.
LE DUC
Ah çà ! Monsieur, vous êtes ivre…
(Il va prendre son pardessus.)
GUERCHARD, se levant et lui barrant le chemin.
Non, ne sortez pas.
LE DUC
Vous dites ? (Un silence.) Ah çà ! Que dites-vous ?
GUERCHARD, passant sa main sur son front.
Non… je vous demande pardon… je suis fou ! je suis fou !
LE DUC
En effet !…
GUERCHARD
Aidez-moi… voilà ce que je veux dire… Aidez-moi… il faut que vous restiez ici… pour m’aider contre Lupin. Vous comprenez… vous voulez bien ?
LE DUC
Cela, volontiers. Mais vous n’avez pas l’esprit bien calme… vous êtes inquiétant !…
GUERCHARD
Encore une fois excusez-moi.
LE DUC
Soit !… mais qu’allons-nous faire ?
GUERCHARD
Eh bien ? le diadème… il est dans ce coffret ?
LE DUC
Je sais bien qu’il y est, puisque je l’ai changé de place cet après-midi. M. Gournay-Martin m’en avait prié.
GUERCHARD
Oui, enfin, vous voyez… Il y est.
LE DUC
Oui, oui, je vois, alors ?
GUERCHARD
Alors, nous allons attendre.
LE DUC
Qui ?
GUERCHARD
Lupin.
LE DUC
Lupin ! Alors, décidément comme dans les contes de fées, vous croyez que lorsque cette horloge aura sonné douze coups, Lupin entrera et prendra le diadème.
GUERCHARD
Oui, je le crois.
LE DUC
C’est palpitant !
GUERCHARD
Ça ne vous ennuie pas ?
LE DUC
Au contraire. Faire la connaissance de l’invisible gaillard qui vous roule depuis dix ans, c’est une soirée charmante.
GUERCHARD
À qui le dites-vous ?