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LE DUC

À vous. (Ils s’assoient. Un temps. Désignant une porte.) On vient là.

GUERCHARD, écoutant.

Ah ?… Non.

LE DUC

Si… tenez, on frappe !

GUERCHARD

C’est vrai. Vous avez l’oreille encore plus fine que moi. D’ailleurs vous avez montré en tout ceci des qualités de véritable policier. (Guerchard sans quitter le duc des yeux, va ouvrir la porte.) Entre, Boursin. (Boursin entre.) Tu as les menottes ?

BOURSIN, lui remettant les menottes.

Oui, faut-il que je reste ?

GUERCHARD

Non… Il y a nos hommes dans la cour ?

BOURSIN

Oui.

GUERCHARD

L’hôtel voisin ?…

BOURSIN

Plus de communication possible. Tout est gardé.

GUERCHARD

Si quelqu’un essaie d’entrer. (Coup d’œil au duc.) N’importe qui, qu’on l’empoigne… (Au duc, en riant.) Au besoin qu’on tire dessus.

(Sort Boursin.)

LE DUC

Fichtre ! Vous êtes ici dans une forteresse.

GUERCHARD

Monsieur le Duc, c’est plus vrai encore que vous ne pensez, j’ai des hommes à moi derrière chacune de ces portes.

LE DUC, l’air ennuyé.

Ah !

GUERCHARD

Cela paraît vous ennuyer.

LE DUC

Beaucoup, sapristi ! Mais alors, jamais Lupin ne pourra pénétrer dans cette pièce !

GUERCHARD

Difficilement… à moins qu’il ne tombe du plafond… ou à moins…

LE DUC

À moins qu’Arsène Lupin ne soit vous.

GUERCHARD

En ce cas vous en seriez un autre.

(Ils rient tous deux.)

LE DUC

Elle est bonne. Eh bien, sur ce, je m’en vais.

GUERCHARD

Hein ?

LE DUC

Dame ! Je restais pour voir Lupin… du moment qu’il n’y a plus moyen de le voir…

GUERCHARD

Mais si… Mais si… restez donc…

LE DUC

Ah ! vous y tenez !

GUERCHARD

Nous le verrons.

LE DUC

Bah !

GUERCHARD, en confidence.

Il est déjà ici.

LE DUC

Lupin ?

GUERCHARD

Lupin !

LE DUC

Où ça ?

GUERCHARD

Dans la maison !

LE DUC

Déguisé, alors ?

GUERCHARD

Oui.

LE DUC

Un de vos agents, peut-être ?

GUERCHARD

Je ne crois pas.

LE DUC.

Alors, s’il est déjà ici, nous le tenons… Il va venir.

GUERCHARD

J’espère, mais osera-t-il ?

LE DUC

Comment ?

GUERCHARD

Dame ! Vous l’avez dit vous-même, c’est une forteresse. Lupin était peut-être décidé à entrer dans cette pièce, il y a une heure, mais maintenant.

LE DUC

Eh bien ?

GUERCHARD

Eh bien, maintenant c’est qu’il faudrait un rude courage, vous savez. Il faudrait risquer le tout pour le tout et jeter bas le masque. Lupin ira-t-il se jeter dans la gueule du loup ? je n’ose pas y croire ? Votre avis ?

LE DUC

Dame ! Vous devez être plus au courant que moi, vous le connaissez depuis dix ans, vous !… Tout au moins sa réputation…

GUERCHARD, s’énervant peu à peu.

Je connais aussi sa manière d’agir. Depuis dix ans, j’ai appris à démêler ses intrigues, ses manœuvres… Oh ! son système est habile… Il attaque l’adversaire… Il le trouble… (souriant) tout au moins il essaie. C’est un ensemble de combinaisons enchevêtrées, mystérieuses ; moi-même, j’y ai été pris souvent. Vous souriez ?

LE DUC

Ça me passionne !

GUERCHARD

Moi aussi. Mais cette fois, j’y vois clair. Plus de ruses, plus de sentiers dérobés, c’est au grand jour que nous combattons !… Lupin a peut-être du courage, il n’a que le courage des voleurs…

LE DUC

Oh !

GUERCHARD

Mais oui, les gredins n’ont jamais beaucoup de vertu.

LE DUC

On ne peut pas tout avoir.

GUERCHARD

Leurs embûches, leurs attaques, leur belle tactique, tout cela, c’est bien court.

LE DUC

Vous allez un peu loin.

GUERCHARD

Mais non, monsieur le Duc, croyez-moi, il est très surfait, ce fameux Lupin.

LE DUC

Pourtant… il a fait des choses qui ne sont pas trop mal.

GUERCHARD

Oh !

LE DUC

Si… Il faut être juste… Ainsi le cambriolage de cette nuit, ce n’est pas inouï, mais enfin, ce n’est pas mal. Ce n’est pas si bête, l’escroquerie des automobiles.

GUERCHARD

Peuh !

LE DUC

Ce n’est pas mal, dans une seule semaine : un vol à l’ambassade d’Angleterre, un autre au ministère des Finances et le troisième chez M. Lépine.

GUERCHARD

Oui.

LE DUC

Et puis rappelez-vous le jour où il s’est fait passer pour Guerchard. Allons, voyons…, entre nous, sans parti pris… Ça n’est pas mal.

GUERCHARD

Non. Mais il a fait mieux récemment… Pourquoi ne parlez-vous pas de ça ?

LE DUC

Ah ! de quoi ?

GUERCHARD

Du jour où il s’est fait passer pour le duc de Charmerace.

LE DUC

Il a fait ça ? Oh ! le bougre ! Mais vous savez, je suis comme vous, moi. Je suis si facile à imiter.

GUERCHARD

Pourtant, monsieur le Duc, ce qui eût été amusant, c’eût été d’arriver jusqu’au mariage…

LE DUC

Oh ! s’il le voulait… mais vous savez, pour Lupin, la vie d’un homme marié…

GUERCHARD

Une grande fortune… une jolie fille.

LE DUC

Il doit en aimer une autre…

GUERCHARD

Une voleuse, peut-être…

LE DUC

Qui se ressemble… Puis, voulez-vous mon avis ? sa fiancée doit l’embêter…

GUERCHARD

C’est égal, c’est navrant, pitoyable, avouez-le, que la veille du mariage, il ait été assez bête pour se démasquer. Et au fond, hein ! est-ce assez logique ? Lupin perçant sous Charmerace, il a commencé par prendre la dot au risque de ne plus avoir la fille.

LE DUC

C’est peut-être ce qu’on appellera le mariage de raison.

GUERCHARD

Quelle chute ! Être attendu à l’Opéra demain soir dans une loge et passer cette soirée-là au dépôt… Avoir voulu dans un mois, comme duc de Charmerace monter en grande pompe les marches de la Madeleine et dégringoler les escaliers du beau-père, ce soir (avec force), oui, ce soir, le cabriolet de fer aux poignets… Hein ! est-ce assez la revanche de Guerchard ! de cette vieille ganache de Guerchard ?… Le Brummel des voleurs en bonnet de prison… Le gentleman cambrioleur sous les verrous !… Pour Lupin ça n’est qu’un petit ennui, mais pour un duc, c’est un désastre… Allons ! voyons, à votre tour, sans parti pris, vous ne trouvez pas ça amusant ?…

LE DUC, qui est assis devant lui, relève la tête et froidement.

T’as fini ?…

GUERCHARD

Hein ?

(Ils se dressent l’un devant l’autre.)

LE DUC

Moi, je trouve ça amusant.

GUERCHARD

Et moi, donc.

LE DUC

Non, toi tu as peur.

GUERCHARD

Peur ? Ah ! Ah !

LE DUC

Oui, tu as peur. Et si je te tutoie, gendarme, ne crois pas que je jette un masque… Je n’en porte pas. Je n’ai rien à démasquer. Je suis le duc de Charmerace.

GUERCHARD

Tu mens ! Tu t’es évadé, il y a dix ans de la Santé. Tu es Lupin ! Je te reconnais maintenant.

LE DUC

Prouve-le.

GUERCHARD

Oui.

LE DUC

Je suis le duc de Charmerace.

GUERCHARD

Ah !

LE DUC

Ne ris donc pas. Tu n’en sais rien.

GUERCHARD

On se tutoie, pourtant.

LE DUC

Qu’est-ce que je risque ? Peux-tu m’arrêter ? Tu peux arrêter Lupin… mais arrête donc le duc de Charmerace, honnête homme, dandy à la mode, membre du Jockey-Club, de l’Union, demeurant en son hôtel, 34 bis, rue de l’Université ; arrête donc le duc de Charmerace, fiancé à Mlle Gournay-Martin.

GUERCHARD

Misérable !

LE DUC

Eh bien ! Vas-y !… sois ridicule, fais-toi fiche de toi par tout Paris… Fais-les entrer tes flics… As-tu une preuve ?… Une seule ? Non, pas une…

GUERCHARD

Oh ! j’en aurai.

LE DUC

Je crois… Tu pourras m’arrêter dans huit jours… après-demain, peut-être… peut-être jamais… mais pas ce soir, c’est certain…

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