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A
A

Je suis perdue !

LE DUC

Non. Vous allez partir.

SONIA

Partir !… Mais comment ?… Guerchard ?

LE DUC

Écoutez. Je vous téléphonerai demain matin à…

VOIX DE GUERCHARD

Monsieur le Duc !

SONIA

Mon Dieu !

LE DUC

Chut !

VOIX DE GUERCHARD

Vous ne pourriez pas lever la lanterne un peu plus haut ?

LE DUC, dans la cheminée.

Attendez, je vais essayer… Ah ! non, je ne peux pas.

VOIX DE GUERCHARD

Alors un peu plus à droite.

(Le duc d’un geste impérieux fait signe à Sonia de venir prendre la lanterne. Tandis qu’elle la tient, il prend vivement le portefeuille de Guerchard dans le paletot, en tire une carte, écrit quelques mots et retourne à la cheminée, Sonia suit ses mouvements avec une stupeur craintive.)

LE DUC, parlant dans la cheminée.

Ça va comme ça ?

VOIX DE GUERCHARD

Oui, très bien.

LE DUC, à, Sonia.

Vous remettrez cette carte au planton de garde.

SONIA, regardant la carte.

Comment ! Mais… c’est…

LE DUC

Partez…

SONIA

Mon Dieu ! mais c’est fou !… quand Guerchard découvrira.

LE DUC

Ne vous inquiétez pas de ça… Ah ! dans le cas où il arriverait quelque chose… à huit heures et demie, demain matin, oui, c’est ça. Attendez… (Il court vers la cheminée et appelle.) Vous voyez assez clair ? (Pas de réponse.) Il est dans l’hôtel à côté. À huit heures et demie, puis-je vous téléphoner ?

SONIA

Oui. C’est un petit hôtel près de l’Étoile… Mais cette carte, je ne peux pas… pour vous-même…

LE DUC

L’hôtel a le téléphone ?

SONIA

Oui. 555.14.

LE DUC, inscrivant le numéro sur sa manchette.

Si je ne vous avais pas téléphoné à huit heures et demie, venez directement chez moi.

SONIA

Bien. Mais quand Guerchard saura… Si jamais Guerchard découvre…

LE DUC

Partez Sonia. Partez, partez !

SONIA, revenant au duc.

Ah ! comme vous êtes bon !

(Il la pousse vers la porte et sur le seuil de la porte, ils se regardent, hésitent… Il l’attire dans ses bras, elle s’y laisse tomber ; ils s’embrassent. On entend la voix de Guerchard, le duc se dégage.)

LE DUC

Pas maintenant, je t’adore. Pars, pars !

(Elle sort.)

Scène IV

GUERCHARD, LE DUC, BOURSIN, GERMAINE, GOURNAY-MARTIN

(Resté seul, le duc retourne en courant vers la cheminée et saisit la lanterne. À ce moment on entend le bruit sourd d’une porte qui se ferme. Il s’appuie avec émotion contre le manteau de la cheminée.)

GUERCHARD, tout en regardant le duc d’un air goguenard, et avec un étonnement soupçonneux.

Rien !… Eh bien ! Je n’y comprends rien. Je n’ai rien trouvé !

LE DUC

Vous n’avez rien trouvé ?

GUERCHARD

Non. Vous êtes sûr d’avoir vu le mouchoir dans la petite pièce du troisième étage ?

LE DUC

Certain… Vous n’avez pas vu de mouchoir ?

GUERCHARD

Non.

LE DUC, avec une nuance d’ironie.

Vous n’avez pas bien cherché… À votre place, je retournerais voir.

GUERCHARD

Non… mais tout de même ; c’est assez drôle… (Le regardant.) Vous ne trouvez pas ça drôle ?

LE DUC

Si… Je trouve ça drôle.

(Guerchard fait quelques pas, puis il sonne. Entre Boursin.)

GUERCHARD

Boursin… Mlle Krichnoff… il est temps.

BOURSIN

Mlle Krichnoff ?

GUERCHARD

Oui, il est temps… qu’on l’emmène.

BOURSIN

Mais Mlle Krichnoff est partie, patron.

GUERCHARD, sursautant.

Partie ! Comment, partie ?

BOURSIN

Mais oui, patron.

GUERCHARD

Voyons, voyons… tu es fou ?

BOURSIN

Non, patron.

GUERCHARD

Partie !… Qui l’a laissée partir ? Qui ?

BOURSIN

Mais le planton de garde.

GUERCHARD, violemment.

Quoi ! Quoi… le planton de garde ?

BOURSIN

Mais ?

GUERCHARD

Il fallait mon visa… mon visa sur ma carte.

BOURSIN

La voilà… votre carte… et voilà le visa…

GUERCHARD, stupéfait.

Hein ? Un faux ? Ah ! ça… (Un assez long jeu de scène où il cherche à comprendre, où il entrevoit la complicité du duc dans cette évasion.) C’est bien ! (Sort Boursin, un temps. Il va vers son paletot, en tire son portefeuille, compte les cartes, s’aperçoit qu’il en manque une. Le duc est près de lui, séparé de lui par l’écran, les mains sur cet écran et se balançant. Guerchard met son paletot. Le duc lui propose de l’aider, ce qu’il refuse. Puis il sonne de nouveau.) Boursin… Victoire a bien été embarquée dans la voiture cellulaire, n’est-ce pas ?

BOURSIN

Il y a belle lurette, patron. La voiture attendait dans la cour depuis 9 heures et demie.

GUERCHARD

Neuf heures et demie !… Mais la voiture ne devait arriver que maintenant, à dix heures et demie. Enfin c’est bien.

BOURSIN

Alors, on peut renvoyer l’autre voiture ?

GUERCHARD

Quelle autre voiture ?

BOURSIN

La voiture cellulaire qui vient d’arriver ?

GUERCHARD

Quoi ? Qu’est-ce que tu me chantes ?

BOURSIN

Vous n’aviez pas commandé deux voitures cellulaires ?

GUERCHARD, bouleversé.

Deux voitures ! Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?

BOURSIN

Mais si, patron…

GUERCHARD

Tonnerre ! Dans quelle voiture a-t-on installé Victoire ? dans laquelle ?

BOURSIN

Dame ! dans la première, patron.

GUERCHARD

Tu as vu les agents, le cocher ? Tu les connaissais ?… Tu les as reconnus ?

BOURSIN

Non.

GUERCHARD

Non ?

BOURSIN

Non, ça devait être des nouveaux, ils m’ont dit qu’ils venaient de la Santé.

GUERCHARD

Bougre d’idiot ! C’est toi qui en as, une santé.

BOURSIN

Comment, alors ?

GUERCHARD

Nous sommes roulés, c’est un tour de… un tour de…

LE DUC

De Lupin ?

GUERCHARD

Ah ! mais… Ah ! mais… (À Boursin.) Eh bien, quand tu resteras là, la bouche ouverte, quand tu resteras là. Fouille la chambre de Victoire.

BOURSIN

Bonavent l’a fouillée, patron.

GUERCHARD

Ah ! Eh bien, où est-il ? qu’il entre !

(Entre Bonavent.)

BOURSIN

Bonavent !

GUERCHARD

Tu as fouillé les malles de Victoire ?

BONAVENT

Oui, rien que du linge, des vêtements… sauf ça.

GUERCHARD

Donne… un livre de messe, c’est tout ?

BONAVENT

Il y a une photographie dedans.

GUERCHARD

Ah ! une photographie de Victoire… presque effacée… une date… Il y a dix ans… Tiens ! quel est ce garçon, qu’elle tient par le cou… Ah çà ! Ah ! çà !

(Jeu de scène très lent. Assailli de pensées, il regarde la photo, l’éloigne, la rapproche, regarde de côté vers le duc, sans toutefois fixer ses yeux sur lui. Le duc est toujours près de la cheminée, il se dresse sur la pointe des pieds pour voir la photo. Se sentant découvert il cherche un instant des yeux, avec une certaine anxiété, par où il pourrait s’enfuir le cas échéant, Guerchard se rapproche et le regarde en se frottant les mains.)

LE DUC

Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai quelque chose qui ne va pas… ma cravate…

(Guerchard continue de le regarder sans répondre. On sonne au téléphone. Le duc fait mine d’y aller.)

GUERCHARD

Non, je vous en prie… (Au téléphone) Allô ! oui, c’est moi, l’inspecteur principal de la Sûreté. (Au duc.) Le jardinier de Charmerace, monsieur le Duc.

LE DUC

Ah ! vraiment ?

GUERCHARD

Allô, oui, vous m’entendez bien… bon. Je voudrais savoir qui a pénétré hier dans la serre ? Qui a pu cueillir du Salvia rose ?…

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