Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Je ne savais pas, moi.

CHAROLAIS

Donnez-moi la lettre.

BOURSIN

Je dois la remettre en main propre à M. le Duc.

CHAROLAIS

Alors, attendez son retour… M. le Duc est parti chez vous, au Ritz. Ah ! non pas là… Attendez dans l’antichambre.

(Il le repousse dans l’antichambre, ferme la porte, traverse la scène et va rejoindre Victoire. Boursin passe la tête avec précaution, regarde, ressort, va ouvrir la porte d’entrée et appelle.)

BOURSIN

Dieusy !

DIEUSY, entrant.

Dis donc, Boursin, le téléphone de la petite a bien pris, hein ?… Il est parti au Ritz.

BOURSIN

Dans son auto !… Il sera rentré dans cinq minutes. Reste là ! Je vais couper le fil du téléphone.

(Il le coupe.)

DIEUSY, lui montrant la valise.

Eh, Boursin ! La valise !… Il doit y avoir gras là-dedans !…

BOURSIN, courant vers la valise.

Oui, peut-être… (Bruit à la porte de droite.) Trop tard ! Fais ce qui est convenu !

(Ils sortent. Charolais entre avec des journaux qu’il dépose sur la table. Coup de feu du côté de l’antichambre, mais en dehors.)

CHAROLAIS

Hein ?… (Bondissant, il ouvre la porte, traverse l’antichambre, où l’on aperçoit Boursin assis, et disparaît, laissant la porte ouverte. Boursin se lève en hâte, court vers la valise, prend le portefeuille et le glisse sous son dolman. Charolais revient.) Personne !… Qu’est-ce que ça veut dire ? (À Boursin.) Ta lettre toi… tu nous embêtes !…

(Il prend la lettre. Boursin va pour sortir. À ce moment Lupin entre par la porte de droite. Il a une petite boîte en carton sous le bras.)

LUPIN

Qu’est-ce que c’est ?… (Il dépose la boîte sur la table.) Ah ! du Ritz, un contre-ordre, probablement… On ne m’a pas reçu là-bas !

BOURSIN

J’ai remis la lettre… une lettre de M. Gournay-Martin.

LUPIN

Ah ! (Boursin va pour sortir.) Un instant… Vous êtes bien pressé…

BOURSIN

On m’a dit de revenir tout de suite.

LUPIN, qui a décacheté la lettre.

Non, il y a une réponse.

BOURSIN

Bien, Monsieur…

LUPIN

Attendez là… (À Charolais.) C’est de la petite : « Monsieur… M. Guerchard m’a tout dit, à propos de Sonia, je vous ai jugé : un homme qui aime une voleuse ne peut être qu’un fripon »… Elle manque de tact… « À ce propos, j’ai deux nouvelles à vous annoncer : la mort du duc de Charmerace, mort d’ailleurs depuis trois ans ! mes projets de fiançailles avec son cousin et seul héritier, M. de Relzières, lequel relèvera le nom et les armes… Pour Mlle Gournay-Martin, sa femme de chambre, Irma. » Hum ! (À Boursin qui s’est avancé peu à peu vers la sortie.) Restez donc là mon ami ! (À Charolais.) Écris, toi ! (Il lui dicte.) « Mademoiselle, j’ai une constitution extrêmement robuste, et mon malaise ne sera que passager. J’aurai l’honneur d’envoyer cet après-midi à la future Mme de Relzières mon humble cadeau de noces… Pour Jacques de Bartut, marquis de Relzières, prince de Vineux, duc de Charmerace. Son maître d’hôtel, Arsène. »

CHAROLAIS, stupéfait.

Faut écrire Arsène ?

LUPIN, tout en dictant, il s’est approché de la valise, et constatant qu’elle n’est pas fermée, il inspecte Boursin.

Pourquoi pas ?… ça y est ?… Donne !… (À Boursin.) Tenez, mon ami. (Il tend la lettre à Boursin qui la prend et fait un pas pour s’en aller. Lupin le saisit par le cou et le renverse.) Bouge pas, mon gros, ou t’as le bras cassé. (À Charolais.). Nos papiers, ils sont sous le dolman. (À Boursin.) C’est du jiu-jitsu, mon vieux, tu apprendras ça à tes collègues. (L’aidant à se relever et le poussant vers la porte.) Mais tu diras à ton patron que s’il a besoin de chasseur pour me fusiller, il faudra qu’il épaule lui-même… T’es pas pour gros gibier !… T’as une balle qui ne porte pas !…

BOURSIN

Le patron sera ici dans dix minutes.

(Il sort.)

LUPIN, le conduisant jusque dans l’antichambre.

Ah ! merci du renseignement !

Scène V

LUPIN, CHAROLAIS, puis VICTOIRE

LUPIN, revenant en courant.

Bougre d’idiot ! T’avais donc rien vu ?

CHAROLAIS

Sous le dolman ?

LUPIN

Mais non, imbécile, dans la valise. Et maintenant, on est bon, Guerchard sera ici dans dix minutes avec un mandat d’arrêt ! (Impérieux.) Fichez le camp, tous !

CHAROLAIS

Mais par où ?… Il y a des flics partout !… Ils ont reçu du renfort… Il y en a à la porte d’entrée, et dans la rue parallèle.

LUPIN

Mais là, devant, dans l’avenue.

CHAROLAIS, regardant.

Libre.

LUPIN

Filez par l’escalier de service. Je vous rejoins… Rendez-vous à la maison de Passy…

(Ils sortent.)

VICTOIRE

Et toi, tu viens aussi ?

LUPIN, téléphonant.

Dans un instant, je passerai par là… Ils n’ont pas encore trouvé l’issue secrète.

VICTOIRE

Qu’en sais-tu ? Mais tu es fou, tu téléphones ?…

LUPIN

Oui. Si je ne téléphone pas, Sonia va venir, elle s’enferrerait dans Guerchard.

VICTOIRE

Sonia, mais…

LUPIN, s’exaspérant.

On ne répond pas. Allô… elles sont sourdes.

VICTOIRE, effarée.

Passons chez elle, mais fuyons d’ici…

LUPIN, avec une agitation croissante.

Chez elle… est-ce que je connais son adresse ! Ah ! j’ai perdu la tête hier soir… Allô… C’est un petit hôtel près de l’Étoile… mais il y a vingt hôtels près de l’Étoile… Allô… (Hors de lui.) Ah ! ce téléphone… On lutte, on se bat contre un meuble… (Il soulève l’appareil. Avec un cri de rage.) Ah ! on m’a joué le tour du téléphone… C’est Guerchard… Ah ! la fripouille !…

VICTOIRE

Eh bien, alors… maintenant ?

LUPIN

Quoi, maintenant ?

VICTOIRE

Tu n’as plus rien à faire ici, puisque tu ne peux plus téléphoner.

LUPIN, lui tenant le bras, tout tremblant de fièvre et d’anxiété.

Mais tu ne comprends donc pas que, puisque je n’ai pas téléphoné, elle vient ! Elle est en route, tu entends, elle va venir.

VICTOIRE

Mais toi ?

LUPIN

Mais elle !…

VICTOIRE

Mais à quoi ça avance, ma doué, c’est vous perdre tous les deux !

LUPIN

Ah ! j’aime mieux ça…

VICTOIRE

Mais ils vont te prendre…

LUPIN

Me prendre !… (Posant la main sur la boîte qu’il a rapportée.) Ah ! pas vivant, je te le jure.

VICTOIRE, terrifiée.

Tais-toi ! Tais-toi !… Ah ! la maudite chose que tu as là-dedans… Je le sais bien, t’es capable de tout… et eux aussi, ils te donneront un mauvais coup… Non, vois-tu, il faut t’en aller… la petite, on ne lui fera rien… elle en sera quitte pour pas grand-chose. Tu vas t’en aller, n’est-ce pas ?

LUPIN

Non, Victoire !

VICTOIRE, s’asseyant.

Alors, comme il plaît à Dieu…

LUPIN

Quoi ! tu ne vas pas rester, toi !

VICTOIRE

Ah ! fais-moi bouger si tu peux, je t’aime autant qu’elle, tu sais… (On sonne, ils se regardent, la voix sourde, avec une angoisse effrayante.) C’est elle ?

LUPIN, bas, immobile.

Non.

VICTOIRE, bas, immobile.

Alors ?

LUPIN, bas, immobile.

Alors, oui, c’est Guerchard !

VICTOIRE, bas, immobile.

Ne bougeons pas… peut-être…

LUPIN, après un silence.

Écoute, va lui ouvrir.

VICTOIRE, épouvantée.

Quoi ! tu veux ?

LUPIN, avec un sang-froid impressionnant et une autorité extrême, lentement, gravement, tout son être tendu.

Comprends-moi bien, tu attendras qu’il soit rentré, tu feras le tour, tu t’en iras par l’escalier de service, tu la guetteras pas loin de la maison… Oh ! tu la reconnaîtras… elle est si jolie… Et puis tu verras bien quand elle voudra franchir la porte… (la voix tremblante et impérieuse) Victoire, empêche-la d’entrer, empêche-la.

24
{"b":"273772","o":1}