LUPIN
Tu les connais ? (Il se lève.) Fatalité ! (Il fait deux ou trois gestes, détache les menottes et les jette à terre.) Et celui-là, est-ce que tu le connais. Je te l’apprendrai un jour que tu m’inviteras à déjeuner.
GUERCHARD, furieux.
Allons, en voilà assez… Boursin ! Dieusy !
LUPIN, l’arrête et d’un ton saccadé.
Guerchard, écoute et je ne blague plus. Si Sonia, tout à l’heure, avait eu un geste, une parole de mépris pour moi, eh bien, j’aurais cédé… à moitié seulement, car, plutôt que de tomber entre tes pattes triomphantes je me faisais sauter le caisson ! J’ai maintenant à choisir entre le bonheur, la vie avec Sonia ou la prison. Eh bien, j’ai choisi : je vivrai heureux avec elle, ou bien, mon petit Guerchard, je mourrai avec toi. Maintenant, fais entrer tes hommes, je les attends !
GUERCHARD
Allons-y ! (Il court vers l’antichambre.)
LUPIN
Je crois que ça va barder !
GUERCHARD
Tu parles !
LUPIN
Charles…
(Tandis que Guerchard est dans l’antichambre, il saute vers la boîte et en sort une bombe. En même temps, il a pressé le bouton. La bibliothèque glisse, les volets se lèvent et l’ascenseur apparaît.)
GUERCHARD, rentrant avec ses hommes.
Ligotez-le !
LUPIN, terrible.
Arrière vous autres ! (Tous reculent, tumulte.) Les mains en l’air !… Vous connaissez ça les enfants ?… Une bombe ! C’est mon passage à tabac, moi. Eh bien, venez donc me ligoter maintenant !… (À Guerchard.) Toi aussi, les mains en l’air !
GUERCHARD
Poules mouillées ! Vous croyez donc qu’il oserait…
LUPIN
Viens-y voir !
GUERCHARD
Oui donc ! (Il s’avance.)
TOUS, se jetant sur lui terrifiés.
Patron ! vous êtes fou ! Regardez ses yeux… il est enragé !
LUPIN, tout en gardant la bombe à la main.
Nom de nom que vous êtes laids ! Vous avez des gueules de forçats ! (Mouvement de Guerchard.) Hep ! (Il lève le bras, tous reculent.) Dommage qu’il n’y ait pas un photographe. Et maintenant, voleur, rends-moi mes papiers.
GUERCHARD
Jamais !
BOURSIN
Patron, prenez garde.
LUPIN
Tu veux donc les faire crever tous ?… Regardez, les enfants, si j’ai l’air de blaguer.
DIEUSY
Faut céder, patron.
BOURSIN
Faut céder.
(Ils entourent tous Guerchard.)
GUERCHARD
Jamais !
BOURSIN
Allons ! patron, allons donnez-les-moi.
(Il lui arrache le portefeuille.)
LUPIN
Sur la table… Bien. Et maintenant gare la bombe.
(Mouvement de panique. Il saute dans l’ascenseur.)
BOURSIN, à Guerchard.
Il va filer !
GUERCHARD
L’issue est gardée !
(Les volets descendent. Tous se précipitent. Trop tard. Ils se heurtent aux volets. Affolement. Ils courent de tous côtés.)
GUERCHARD, essayant d’enfoncer les volets.
La porte ! il faut l’ouvrir ! (À Dieusy et aux autres hommes.) Vous autres, dans la rue… à l’issue secrète ! (Les hommes sortent précipitamment par la porte de droite.) La porte, c’est une question de minutes. Il doit lutter avec nos hommes dans la rue !
(À ce moment les volets remontent d’eux-mêmes. Guerchard et Boursin se précipitent dans l’ascenseur. Guerchard pousse un bouton, l’ascenseur s’élève. Affolement de Guerchard.)
GUERCHARD
Mais nous montons, nom de nom ! nous montons ! Nom de nom ! Le bouton d’arrêt ! Le bouton d’arrêt, nom de nom !
(L’ascenseur monte lentement. On entend les cris de Guerchard. Lupin apparaît dans un second compartiment inférieur, identique à l’autre. Il est assis devant une table de toilette. Au moment où la plate-forme est de plain-pied, il pousse un déclic : « Bloqués ! » Et il continue à s’arranger devant la glace, met un pardessus et un chapeau pareils à ceux de Guerchard, un large foulard blanc. Il apparaît : c’est Guerchard à s’y tromper.)
Scène VIII
LUPIN, SONIA
LUPIN
Ah ! voir la gueule de Guerchard !… Oui, faites du boucan, là-haut… l’immeuble est à moi… ça n’attire personne !… Ah ! sapristi ! qu’est-ce que j’ai fait de la bombe ?… (Il rentre dans l’ascenseur, prend une bombe et, l’élevant au bout de son bras.) Tragédiante. (Il laisse tomber la bombe qui rebondit. Il la met sur la table.) Comédiante !… Ah !… maintenant… bien que j’aie cinq bonnes minutes… célérité ! (Il se précipite vers la porte de l’antichambre et regarde par la serrure.) Un agent et Victoire… Pauvre Victoire !… (Il pousse le verrou, puis il va à droite et entend du bruit.) Hein !… des agents !… il en pousse donc ! (Il reprend la bombe et élève le bras.)
(Paraît Sonia.)
SONIA
Ah ! mon Dieu !… monsieur Guerchard !
LUPIN, vivement.
Non, c’est moi.
SONIA
Vous ! oh !
LUPIN
Regardez comme je lui ressemble ! Hein ? Suis-je assez moche ?
SONIA
Oh !
LUPIN
Cette fois, le duc de Charmerace est mort.
SONIA
Non, mon ami, c’est Lupin.
LUPIN
Lupin.
SONIA
Oui, ça vaut mieux.
LUPIN
Ce serait une perte, vous savez… une perte pour la France !
SONIA
Non.
LUPIN
Faut-il que je vous aime !…
SONIA
Vous ne volerez plus ?
LUPIN
Est-ce que j’y pense encore. Vous êtes là… Guerchard est dans l’ascenseur… Je ne désire plus rien… Toi là, j’ai l’âme d’un amoureux, et c’est encore l’âme d’un voleur, j’ai envie de voler tes baisers, tes pensées, de voler tout ton cœur. Ah ! Sonia, si tu ne veux pas que je vole autre chose, il n’y a qu’à plus me quitter…
SONIA
Tu ne voleras plus… (Ils s’embrassent.) Du bruit !
LUPIN se précipite vers la cage de l’ascenseur.
Non. Ce n’est rien. C’est Guerchard qui tape du pied.
SONIA
Comment ?
LUPIN
Je t’expliquerai… c’est rigolo. Ah ! je suis heureux… non… je ne volerai plus… je… Tiens… (tirant un objet de sa poche) le chronomètre à Guerchard. Je le lui ai pris. C’est pratique. Tu le veux ?
SONIA, avec reproche.
Déjà !…
LUPIN
Oui, c’est vrai… pardon, mais comme c’est difficile ! On le lui laisse, n’est-ce pas ?
SONIA
Dépêche-toi… il faut nous sauver…
LUPIN
Nous sauver ! jamais ; chut ! (Il ouvre la porte.) Agent ?
L’AGENT
Patron.
LUPIN, changeant de voix et tournant le dos à l’agent.
Agent !… Lupin est dans l’ascenseur arrêté par Boursin : il va descendre.
L’AGENT
Lupin ?
LUPIN
Oui, et ne vous laissez pas rouler par ses déguisements. Il ne peut y avoir dans l’ascenseur que Boursin et Lupin. Guettez-le et sautez dessus.
L’AGENT
Bien patron.
LUPIN
Et vous porterez cette bombe au laboratoire municipal. (Il fait jouer le bouton de l’ascenseur. Puis entraînant Sonia et Victoire chacune par un bras.) Allons, vous deux, au Dépôt. Et vous pouvez considérer qu’Arsène Lupin est mort… mais c’est l’amour qui l’a tué.
(Ils disparaissent.) Guerchard descend de l’ascenseur, se précipite à la suite de Lupin.)
L’AGENT, braquant son revolver.
Halte ! ou je fais feu !
GUERCHARD
Hein ?
L’AGENT
Ah ! vous vous faites la tête du patron…
(Guerchard se dégage et court vers la porte.)
BOURSIN
Idiot ! crétin ! mais c’est celui-là, le patron, l’autre, c’était Lupin !
L’AGENT
Quoi ?
GUERCHARD
Fermée ! trop tard ! Hein ? (On entend la corne d’une automobile. Guerchard s’élance vers la fenêtre. Avec un grand cri.) Et il fout le camp dans mon automobile !…