LE DUC, s’inclinant un peu sur elle.
Sonia !
SONIA, confirmant.
Oh ! je sais, ça n’excuse rien, vous pensez : « C’est bien trouvé, mais elle n’est pas à son premier vol. » Oui, c’est vrai, c’est le dixième, le vingtième peut-être, oui, c’est vrai, je suis une voleuse, mais il y a une chose qu’il faut croire : depuis que vous êtes revenu, depuis que je vous ai connu, du premier jour où vous m’avez regardée ; eh bien, je n’ai plus volé.
LE DUC
Je vous crois.
SONIA
Et puis vous saviez comment cela a commencé… l’horreur de ça…
LE DUC
Je vous plains…
SONIA
Oui, vous me plaignez, en me méprisant, avec dégoût ! Ah ! il ne faut pas ! Je ne veux pas !
LE DUC
Calmez-vous, voyons.
SONIA
Écoutez… Avez-vous jamais été seul, seul au monde ?… Avez-vous jamais eu faim ?… Pourtant dans la grande ville où j’agonisais, aux étalages, quand on n’a qu’à tendre la main… Les pains… les pains… d’un sou, c’est banal… c’est banal, n’est-ce pas ?
LE DUC
Continuez.
SONIA
Eh bien, non, je ne l’ai pas fait. Mais ce jour-là, je mourais, vous entendez, je mourais… Une heure après je frappais à la porte d’un homme que je connaissais un peu. C’était ma dernière ressource… Je fus contente d’abord… il me donna à manger… à boire… du champagne… et puis il me parla, il m’offrit de l’argent…
LE DUC
Quoi ?
SONIA
Non, je n’ai pas pu… Alors je l’ai volé… j’aimais mieux ça ! C’était plus propre ! Ah ! j’avais des excuses alors. J’ai commencé à voler pour rester honnête femme… J’ai continué pour avoir l’air d’une femme honnête. Vous voyez… je plaisante. Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !
(Elle pleure.)
LE DUC
Pauvre petite !
SONIA
Oh ! vous avez pitié… vous êtes ému.
LE DUC, levant la tête.
Ma pauvre petite Sonia.
SONIA, se levant.
Ah !
(Ils se regardent un instant, très près l’un de l’autre.)
LE DUC
Adieu ! Adieu !
(Il hésite comme s’il allait parler, mais il entend du bruit et s’éloigne d’elle. Elle va pour sortir. Entre Guerchard.)
GUERCHARD
Ah ! Mademoiselle… je vous cherchais… (Sonia s’arrête.) Le juge a changé d’avis. Il est impossible que vous sortiez… C’est une mesure générale.
SONIA
Ah !
GUERCHARD
Nous vous serions même très obligés de monter dans votre chambre. On vous servira votre repas là-haut.
SONIA
Comment !… mais, Monsieur !… (Après un temps elle regarde le duc, il fait signe qu’elle peut obéir.) Bien… je vais monter dans ma chambre !
(Elle sort.)
Scène VII
LE DUC, GUERCHARD, LE JUGE LE COMMISSAIRE
LE DUC
Monsieur Guerchard… une pareille mesure…
GUERCHARD
Ah !… Monsieur le Duc, je suis désolé, mais c’est mon métier… ou si vous préférez mon… devoir… D’autant qu’il se passe des choses que je suis encore seul à savoir et qui ne sont pas claires. Votre futur beau-père vient de se mettre au lit ayant reçu ce télégramme.
(Il lui tend un télégramme.)
LE DUC, jetant un rapide coup d’œil et haussant les épaules.
Oh !… et vous avez coupé là-dedans… quelle fumisterie !
GUERCHARD
Euh ! Euh !
LE DUC, au juge et au commissaire.
Voyons, Messieurs, je vous fais juge. Mon futur beau-père a reçu ce télégramme et monsieur que voici le prend au sérieux.
LE JUGE
Ah ! Donnez… (Il lit.) « Mille excuses de n’avoir pu tenir promesse pour diadème, avais rendez-vous aux Acacias. Prière préparer ce soir diadème dans votre chambre. Viendrai sans faute le prendre entre minuit moins un quart et minuit. Votre affectueusement dévoué : Arsène Lupin. ». C’est idiot !… Comment, vous, Guerchard, un homme… Eh bien, où est-il passé ?
LE COMMISSAIRE
Il a dû sortir.
LE JUGE
Tant mieux, nous pourrons dire deux mots librement. Messieurs, il faut nous défier de Guerchard. Quand il croit avoir affaire à Lupin, il perd la boule. Ah çà ! Messieurs, si Lupin était venu cette nuit, si Lupin avait convoité le diadème, il aurait cambriolé, tout au moins essayé de cambrioler, soit le coffre-fort de la chambre de Gournay-Martin dans lequel se trouve le diadème, soit ce coffre-fort (allant au coffre-fort) qui est ici et dans lequel se trouve la seconde clef.
LE COMMISSAIRE
Évidemment.
LE JUGE, continuant.
S’il n’a rien essayé cette nuit, quand il avait la partie belle, que l’hôtel était vide, il n’essaiera pas maintenant que nous sommes prévenus, que la police est sur pied et que l’hôtel est cerné !… Messieurs, cette dernière supposition est enfantine et inquiétante pour la mentalité de Guerchard !
(Il s’est appuyé sur le coffre-fort. À ce moment il chancelle, la porte s’est ouverte brusquement. Guerchard sort du coffre-fort.)
TOUS
Hein ?
GUERCHARD
Vous savez qu’on entend très bien d’ici.
LE JUGE
Nom de nom ! Comment êtes-vous entré là-dedans ?
GUERCHARD
Entrer n’est rien… c’est sortir qui est dangereux. On avait laissé une cartouche source. J’ai failli sauter avec la porte.
LE JUGE
Comment êtes-vous entré, sacrebleu ?
GUERCHARD
Par le cabinet noir ; il n’y a plus rien derrière…
TOUS
Allons donc.
(Guerchard rentre dans le coffre et disparaît.)
TOUS
Ah !
(Guerchard réapparaît par la porte de droite au premier plan.)
TOUS
Ah !
GUERCHARD
On a fait sauter la plaque de tôle… ah ! c’est de la belle ouvrage !…
LE JUGE
Et la clef ? La clef du coffre-fort de là-haut, lequel contient le diadème. Cette clef y est, n’est-ce pas ?
GUERCHARD
Ah ! non… mais j’ai trouvé mieux.
TOUS
Quoi ?
GUERCHARD
Je vous le donne en mille !
LE JUGE
Voulez-vous parler !
GUERCHARD
Votre langue au chat ?
LE JUGE, furieux.
Guerchard !
GUERCHARD, élevant un carton entre ses doigts.
La carte d’Arsène Lupin !
LE JUGE
Nom de nom !
Rideau
ACTE III
(Il n’y a pas d’entracte entre le deuxième et le troisième acte.)
Même décor. La nuit : lampes allumées. La fenêtre du fond est fermée. La scène est vide.
Scène première
GUERCHARD, LE DUC
GUERCHARD, penché sous le manteau de la cheminée.
Ça va, monsieur le Duc. Ça n’est pas trop lourd ?
LE DUC, dans la cheminée, invisible.
Non.
GUERCHARD
Le passage est suffisant ? Vous tenez bien la corde ?
LE DUC
Oui… Attention !
(Guerchard fait un bond en arrière. On entend un bruit formidable dans la cheminée, c’est un bloc de marbre qui est tombé.)
GUERCHARD
Nom d’un chien ! Encore un peu… j’y étais ! Ouf ! J’ai eu chaud. Vous avez donc lâché la corde ?
LE DUC
C’est elle qui a lâché. Vous l’aviez mal attachée. (Il est descendu et apparaît recouvert d’un cache-poussière qu’il enlève. Il est en habit.) Mais vous avez raison, la piste est claire.
GUERCHARD
Mais oui ! L’autre était enfantine. Les traces de pas dans le jardin, l’échelle, le guéridon sur le rebord de la fenêtre… C’est une piste qui ne tenait pas debout. C’est une piste pour juge d’instruction. Nous avons perdu toute une journée.
LE DUC
Alors, la piste vraie ?…
GUERCHARD
Nous venons de la voir ensemble. Les deux hôtels, celui-ci et l’immeuble voisin, lequel est inoccupé, communiquant.