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LUPIN

Oh ! du sucre !

VICTOIRE

Oui, ça a commencé par du sucre, puis ça a été des confitures, puis des sous. Oh ! à c’t’époque, ça allait ! Un voleur tout petit, c’est mignon, mais maintenant, vingt-huit ans.

LUPIN

Tu es crevante, Victoire !

VICTOIRE

Je sais bien, t’es pas corrompu, tu ne voles que les riches, t’as toujours aimé les petites gens… Ah ! oui, pour ce qui est du cœur, t’es un brave garçon.

LUPIN

Eh bien, alors ?

VICTOIRE

Eh bien, tu devrais avoir d’autres idées en tête. Pourquoi voles-tu ?

LUPIN

Tu devrais essayer, Victoire.

VICTOIRE

Ah ! Jésus-Marie !

LUPIN

Je t’assure… Moi, j’ai tâté de tout. J’ai fait ma médecine, mon droit, j’ai été acteur, professeur de jiu-jitsu. J’ai fait comme Guerchard, partie de la Sûreté. Ah ! quel sale monde !… Puis je me suis lancé dans la société. J’ai été duc. Eh bien, pas un métier ne vaut celui-là, même pas celui de duc ! Que d’imprévu, Victoire… Comme c’est varié, terrible, passionnant ! Et puis comme c’est rigolo !

VICTOIRE

Rigolo ! ! !

LUPIN

Ah ! oui… les richards, les bouffis, tu sais, dans leur luxe, quand on les allège d’un billet de banque, la gueule qu’ils font !… T’as bien vu le gros Gournay-Martin quand on l’a opéré de ses tapisseries… quelle agonie ! Il en râlait. Et le diadème ! Dans l’affolement déjà préparé à Charmerace, puis à Paris, dans l’affolement de Guerchard, le diadème, je n’ai eu qu’à le cueillir. Et la joie, la joie ineffable de faire enrager la police ! et l’œil bouilli que fait Guerchard quand je le roule !… Et enfin contemple… (Il montre l’appartement.) Duc de Charmerace, ça mène à tout, ce métier-là !… ça mène à tout, à condition de n’en pas sortir… Ah ! vois-tu, quand on ne peut pas être un grand artiste ou un grand guerrier, il n’y a plus qu’à être un grand voleur.

VICTOIRE

Ah ! tais-toi ! Ne parle pas comme ça. Tu te montes, tu te grises. Et tout ça, c’est pas catholique. Tiens ! Tu devrais avoir une idée, qui te fasse oublier toutes ces voleries… de l’amour… ça te changerait… j’en suis sûre… ça ferait de toi un autre homme. Tu devrais te marier.

LUPIN, pensif.

Oui… peut-être… ça ferait de moi un autre homme, tu as raison.

VICTOIRE, joyeuse.

C’est vrai, tu y penses ?

LUPIN

Oui.

VICTOIRE

Oui, mais pas de blagues ! plus de poulettes d’un soir, une vraie femme… une femme pour la vie…

LUPIN

Oui.

VICTOIRE, toute contente.

C’est sérieux, mon petit, tu as de l’amour au cœur, du bon ?

LUPIN

Oui, du vrai amour.

VICTOIRE

Ah ! mon petit !… Et comment est-elle ?

LUPIN

Elle est jolie, Victoire.

VICTOIRE

Ah ! pour ça, je me fie à toi. Et elle est brune, blonde ?

LUPIN…

Oui, blonde. Et mince, avec un teint à peine rose, l’air d’une petite princesse.

VICTOIRE, sautant de joie.

Ah ! mon petit ! Et qu’est-ce qu’elle fait de son métier ?

LUPIN

Ah bien voilà ! Elle est voleuse !

VICTOIRE, éplorée.

Ah ! Jésus-Marie !

CHAROLAIS, entrant.

Je peux enlever le petit déjeuner ?

(Sonnerie du téléphone.)

LUPIN

Chut !… (À Charolais qui fait un mouvement.) Laisse… Allô !… Oui… Comment… C’est vous ?… (À Charolais, bas.) La petite Gournay-Martin… Si j’ai passé une bonne nuit ?… Excellente !… Vous voulez me parler tout de suite… vous m’attendez au Ritz…

VICTOIRE

N’y va pas !

LUPIN

Chut !… (téléphonant.) Dans dix minutes ?

CHAROLAIS

C’est un piège.

LUPIN

Sapristi !… C’est donc bien grave ?… Eh bien, je prends ma voiture et j’arrive… À tout à l’heure !

VICTOIRE

Et puis si elle sait tout !… si elle se venge… si elle t’attire là-bas pour te faire arrêter…

CHAROLAIS

Mais oui… le juge d’instruction doit être au Ritz avec Gournay-Martin… Ils doivent tous y être !

LUPIN, après un instant de réflexion.

Vous êtes fous ! S’ils voulaient m’arrêter, s’ils avaient la preuve matérielle qu’ils n’ont pas encore, Guerchard serait déjà ici.

CHAROLAIS

Alors, pourquoi vous ont-ils poursuivi ?

LUPIN, montrant le diadème.

Et ça, c’est donc pas une raison ? Au lieu de cela, les flics arrivent et on me réveille… c’est même plus moi qu’on a suivi… Alors les preuves… les preuves matérielles, où sont-elles ?… il n’y en a pas, ou plutôt c’est moi qui les ai… (Ouvrant un des tiroirs de la bibliothèque et prenant un portefeuille.) La liste de mes correspondants de province et de l’étranger… l’acte de décès du duc de Charmerace… il y a là tout ce qu’il faudrait à Guerchard pour décider le juge d’instruction à marcher… (À Charolais.) Ma valise… (Il les met dans la valise.) Je mets ça là… Si nous avons à filer, c’est plus sûr… puis si jamais on me pince, je ne veux pas que ce gredin de Guerchard m’accuse d’avoir tué le duc. Je n’ai encore assassiné personne !

VICTOIRE, qui a été chercher le paletot et le chapeau de Lupin.

Ça pour ce qui est du cœur…

CHAROLAIS

Pas même le duc de Charmerace, et, quand il était si malade c’était si facile, une petite potion…

LUPIN, s’habillant pour sortir.

Tu me dégoûtes !

CHAROLAIS

Au lieu de ça, vous lui avez sauvé la vie.

LUPIN, même jeu.

C’est vrai. Je l’aimais bien ce garçon-là. D’abord, il me ressemblait. Je crois même qu’il était mieux que moi.

VICTOIRE

Non. C’était pareil. On aurait dit deux frères jumeaux.

LUPIN

Ça m’a donné un coup la première fois que j’ai vu son portrait… tu te souviens, il y a trois ans, le jour du premier cambriolage chez Gournay-Martin…

CHAROLAIS

Si je me souviens !… C’est moi qui vous l’ai signalé. Je vous ai dit « Patron, c’est vous tout craché ! » Et vous m’avez répondu : « Il y a quelque chose à faire avec ça »… c’est alors que vous êtes parti pour les neiges et les glaces, et que vous êtes devenu l’ami du duc, six mois avant sa mort.

LUPIN

Pauvre Charmerace ! C’était un grand seigneur ! Avec lui un beau nom allait s’éteindre… je n’ai pas hésité, je l’ai continué… (Consultant sa montre et d’une voix posée.)… Sept heures et demie… J’ai le temps de passer rue Saint-Honoré prendre mon viatique.

VICTOIRE

Grand Dieu ! Toujours cette idée !

LUPIN

Ah ! je file !

VICTOIRE, vivement.

Sans même un déguisement ?… Sans même regarder au dehors si t’es épié ?…

LUPIN

Non, je serais en retard. La petite Gournay-Martin pourra, un jour, me reprocher une certaine muflerie. Je n’y ajouterai pas une incorrection.

CHAROLAIS

Mais…

LUPIN

Je n’ai jamais fait attendre les femmes… Victoire, range le diadème… tiens, dans ce tabouret.

(Il sort.)

VICTOIRE

C’est un chevalier. Il y a quelques années il aurait fait la croisade, au jour d’aujourd’hui, il barbote des diadèmes. Si c’est pas malheureux !

(Elle se baisse, ouvre un petit tabouret et cache le diadème.)

CHAROLAIS

Il est capable de tout avouer à la petite par chic. On n’a que le temps de faire ses paquets, allez !

VICTOIRE

Oui. Il y a un bon Dieu ! Et ça finira mal. (Ils vont pour sortir. On sonne au vestibule. Avec effroi.) On a sonné.

CHAROLAIS

Filez ! J’ouvre.

(Elle sort. Il passe dans le vestibule. La scène reste vide.)

Scène IV

BOURSIN, CHAROLAIS, DIEUSY, puis LUPIN

CHAROLAIS, dans l’antichambre.

Vous ne pouviez pas monter par l’escalier de service ?

BOURSIN, apparaissant déguisé en chasseur de l’hôtel Ritz.

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