LE DUC
C’est une façon de parler… Ils communiquent par l’ouverture que Lupin et sa bande ont pratiquée dans le corps de la cheminée.
GUERCHARD
Oui. C’est un truc assez connu. Les vols chez les grands bijoutiers s’opèrent parfois ainsi. Mais ce qui donne au procédé un cachet assez nouveau et de prime abord déroutant, c’est que les bandits ont eu l’audace de percer à trois mètres du foyer un orifice assez large, pour pouvoir cambrioler tout un mobilier.
LE DUC
C’est vrai, l’orifice s’ouvre en véritable baie dans une pièce de l’immeuble voisin, au deuxième étage. Ces brigands sont capables de tout, même d’un travail de maçonnerie…
GUERCHARD
Oh ! tout cela a été préparé de longue main ; mais maintenant je suivrais leur piste, chacun de leurs pas, les yeux fermés. Car toutes les preuves nous les avons… fragments de cadres dorés, fils de tapisserie, etc. Une fois le cambriolage effectué, l’immeuble voisin étant vide, ils ont pu descendre tranquillement par l’escalier et sortir par la grande porte.
LE DUC
Ils sont descendus par l’escalier, vous croyez ?
GUERCHARD
Je ne crois pas, j’en suis sûr. Tenez, ces fleurs, je les ai trouvées dans l’escalier, elles sont encore fraîches.
LE DUC
Hein ! mais j’ai cueilli des fleurs semblables hier à Charmerace. C’est du Salvia.
GUERCHARD
Du Salvia rose, monsieur le Duc ! Je ne connais qu’un jardinier qui ait réussi à obtenir cette nuance. C’est le jardinier de M. Gournay-Martin.
LE DUC
Mais alors… les voleurs de cette nuit… mais oui… ça ne peut être…
GUERCHARD
Allez… dites votre idée.
LE DUC
Les Charolais.
GUERCHARD
Parbleu !
LE DUC
C’est vrai… C’est passionnant. Ah ! si on pouvait avoir une preuve !
GUERCHARD
Nous l’aurons tout à l’heure.
LE DUC
Comment ça ?
GUERCHARD
Oui, j’ai téléphoné à Charmerace. Le jardinier était absent, mais dès mon retour, il m’appellera au téléphone. Nous saurons alors qui a pénétré dans les serres.
LE DUC
C’est passionnant ! Ces indices… ces pistes qui se croisent… Chaque fait qui peu à peu reprend sa place normale… Passionnant !… Une cigarette ?
GUERCHARD
C’est du caporal ?
LE DUC
Non, du tabac jaune, du Mercédès.
GUERCHARD
Merci.
LE DUC, allumant une cigarette.
Oui, passionnant. Alors, les voleurs venaient de Charmerace… Ce sont les Charolais… ils sont sortis par l’hôtel voisin et c’est par là qu’ils sont entrés.
GUERCHARD
Ah ! non…
LE DUC
Non ?
GUERCHARD
Non, ils sont entrés par la porte de l’hôtel où nous sommes.
LE DUC
Mais qui leur aurait ouvert ? Un complice, alors ?
GUERCHARD
Oui.
LE DUC
Qui ?
GUERCHARD, il sonne. À Boursin qui entre.
Fais venir Victoire, la femme de charge.
(Boursin sort.)
LE DUC
Comment ! Victoire ! Le juge d’instruction l’a interrogée cet après-midi ; il semblait croire à son innocence.
GUERCHARD
Oui… comme il semblait aussi n’ajouter qu’une importance secondaire à la piste de la cheminée, celle que nous venons de vérifier ensemble. L’innocence de Victoire ! Monsieur le Duc, il y a certainement un innocent dans tout ceci. Savez-vous qui c’est ?
LE DUC
Non.
GUERCHARD
Le juge d’instruction.
Scène II
LES MÊMES, VICTOIRE
(Boursin fait entrer Victoire.)
VICTOIRE, entrant, à Boursin.
On va encore me cuisiner ? (Elle entre, à Guerchard.) C’est-y qu’on va encore me cuisiner ?
GUERCHARD
Asseyez-vous. Vous couchez dans une mansarde, dont la lucarne donne sur le toit…
VICTOIRE
À quoi ça sert tout ça, à quoi ça sert ?
GUERCHARD
Voulez-vous me répondre ?
VICTOIRE
J’ai déjà répondu, oui, à un autre juge. Même que celui-là est bien conciliant ; mais vous, je sais point ce que vous avez après moi !…
GUERCHARD
Vous avez donc passé la nuit dans votre mansarde, et vous n’avez entendu aucun bruit sur le toit…
VICTOIRE
Sur le toit, maintenant… Vlà un malheur…
GUERCHARD
Vous n’avez rien entendu ?
VICTOIRE
J’ai dit ce que j’ai dit ; j’ai entendu des bruits qu’étaient pas catholiques et qui sortaient des escaliers… Je suis entrée dans ce salon, et j’ai vu ce que j’ai vu.
GUERCHARD
Mais qu’avez-vous vu ?
VICTOIRE
Des maraudeurs… Ils s’enfuyaient par la fenêtre avec des sacs d’objets.
GUERCHARD
Par la fenêtre ?
VICTOIRE
Oui.
GUERCHARD
Pas par la cheminée ?…
VICTOIRE
La cheminée… Vlà encore un malheur !
LE DUC, à Guerchard.
Elle a l’air d’une brave femme pourtant.
GUERCHARD, à Victoire.
Tout à l’heure, où étiez-vous placée ?
VICTOIRE
Dans la cheminée derrière l’écran…
GUERCHARD
Mais quand vous êtes entrée…
VICTOIRE
Oh !… l’écran n’était point là.
GUERCHARD
Montrez-moi où il était… Déplacez-le… Attendez ! Ah ! il ne faut pas perdre l’emplacement exact des quatre pieds. Voyons… de la craie… Ah ! vous êtes peu coutumière ici, n’est-ce pas, ma brave femme ?
VICTOIRE
Oui. C’est moi qui raccommode pour les domestiques et qui m’occupe de la couture.
GUERCHARD
Parfait. Alors, vous devez bien avoir sur vous un bout de craie de savon !
VICTOIRE
Oh ! ça, toujours… (Elle relève sa jupe, va fouiller dans la poche de son jupon, se ravise effarée et dit :) J’sais point pourquoi j’ai dit ça… Ah ! non, j’en ai point.
GUERCHARD
Vous êtes sûre ? Voyons donc ça.
(Il fouille dans la poche de son tablier.)
VICTOIRE
Ben quoi ! v’là des manières, voulez-vous me laisser ; mais voulez-vous… vous me chatouillez…
GUERCHARD, trouvant un morceau de craie bleue.
Enfin, ça y est ! ! !… Boursin ! embarque-la.
VICTOIRE
Quoi !… mais Jésus-Marie ! Je suis innocente. C’est pas parce qu’on a du savon, de la craie de savon, qu’on est une voleuse.
GUERCHARD
C’est entendu ! Boursin, dès que la voiture cellulaire sera là, embarque-moi ça au dépôt.
VICTOIRE
Jésus-Marie ! Jésus-Marie !
(Elle sort.)
GUERCHARD
Et d’une ! ! !
Scène III
LE DUC, GUERCHARD, BOURSIN, BONAVENT
LE DUC
Victoire !… Je n’en reviens pas. Alors, cette craie… C’était la même que sur ces murs ?…
GUERCHARD
Oui, de la craie bleue. Voyez-vous, monsieur le Duc, ça et la fleur de Salvia… (À Boursin qui revient.) Qu’est-ce que c’est ?
BOURSIN
C’est Bonavent, qui a du nouveau.
GUERCHARD
Ah !… (Entre Bonavent) qu’est-ce qu’il y a ?
BONAVENT, entrant.
Voilà, patron… trois auto-camions ont stationné cette nuit devant l’hôtel voisin…
GUERCHARD
Ah ! comment le sais-tu ?
BONAVENT
Par un chiffonnier. Il a vu les camions s’éloigner vers 5 heures du matin…
GUERCHARD
Ah ! Ha ! C’est tout ?
BONAVENT
Un homme est sorti de l’hôtel en tenue de chauffeur…
GUERCHARD et LE DUC, vivement.
Ah !
BONAVENT
À vingt pas de l’hôtel, il a jeté sa cigarette. Le chiffonnier l’a ramassée.
LE DUC
Et il l’a fumée ?
BONAVENT
Non, la voici.
GUERCHARD
Une cigarette à bout d’or… et comme marque « Mercédès »… Tiens, monsieur le Duc, ce sont vos cigarettes…
LE DUC
Allons donc ! Ça c’est inouï !…
GUERCHARD
Mais c’est très clair, et mon argumentation se resserre. Vous aviez de ces cigarettes-là à Charmerace ?