GUERCHARD
Ah ! Si quelqu’un pouvait t’entendre !
LE DUC
Ne te frappe pas… Ça ne prouverait rien. D’abord, le juge d’instruction te l’a dit. Quand il s’agit de Lupin, tu perds la boule. Tiens ! Le juge d’instruction voilà un garçon intelligent.
GUERCHARD
En tout cas le diadème, ce soir…
LE DUC
Attends, mon vieux… Attends. (Se levant.) Sais-tu ce qu’il y a derrière cette porte ?
GUERCHARD, sursautant.
Hein ?
LE DUC
Froussard, va.
GUERCHARD
Nom de nom !
LE DUC
Je te dis que tu vas être pitoyable !
GUERCHARD
Cause toujours.
LE DUC
Pitoyable ! De minute en minute et à mesure que l’aiguille se rapprochera de minuit, tu seras plus éprouvé… (Violemment.) Attention !
GUERCHARD, bondissant.
Quoi ?
LE DUC
Ce que tu as la trouille !
GUERCHARD
Cabot !
LE DUC
Oh ! tu n’es pas plus lâche qu’un autre… mais qui peut supporter l’angoisse de ce qui va survenir et qu’on ne connaît pas ? (Avec force.) J’ai raison, tu le sens, tu en es sûr. Il y a au bout de ces minutes comptées un événement fatal implacable. Ne hausse donc pas les épaules, tu es vert.
GUERCHARD
Mes hommes sont là… je suis armé.
LE DUC
Enfant ! Mais souviens-toi, souviens-toi que c’est toujours quand tu avais tout prévu, tout combiné, tout machiné, souviens-toi que c’est alors que l’accident jetait bas tout ton échafaudage. Rappelle-toi, c’est toujours au moment où tu vas triompher, qu’il te bat et il ne te laisse atteindre le sommet de l’échelle que pour mieux te flanquer par terre.
GUERCHARD
Mais avoue-le donc que tu es Lupin.
LE DUC
Je croyais que tu en étais sûr…
GUERCHARD, tirant ses menottes.
Ah ! je ne sais pas ce qui me retient, mon petit.
LE DUC, vivement et avec hauteur.
Assez, n’est-ce pas.
GUERCHARD
Hein ?
LE DUC
En voilà assez, je veux bien jouer à ce qu’on se tutoie tous les deux, mais ne m’appelez pas votre petit.
GUERCHARD
Va, va… Tu ne m’en imposeras plus longtemps.
LE DUC
Si je suis Lupin, arrêtez-moi.
GUERCHARD
Dans trois minutes ! ou alors, c’est qu’on n’aura pas touché au diadème.
LE DUC
Dans trois minutes on aura volé le diadème et vous ne m’arrêterez pas.
GUERCHARD
Ah ! je jure bien… je jure…
LE DUC
Ne fais pas de serments imprudents. Plus que deux minutes.
(Il tire son revolver.)
GUERCHARD
Hein ! Ah ! mais non.
(Il prend aussi son revolver.)
LE DUC
Voyons ! Vous ne m’avez pas recommandé de tirer sur Lupin !
GUERCHARD
Eh bien !
LE DUC
Eh bien ! J’apprête mon revolver puisqu’il va venir… Plus qu’une minute…
GUERCHARD, allant vers la porte.
Nous sommes en nombre !
LE DUC
Ah ! Poule mouillée !
GUERCHARD
Eh bien, non, moi tout seul.
LE DUC
Imprudent !
GUERCHARD
Au moindre geste que vous ferez… au moindre mouvement… je fais feu.
LE DUC
Je m’appelle le duc de Charmerace, vous serez arrêté le lendemain.
GUERCHARD
Je m’en fous.
LE DUC
Plus que cinquante secondes.
GUERCHARD
Oui.
LE DUC
Dans cinquante secondes le diadème sera volé.
GUERCHARD
Non.
LE DUC
Si !
GUERCHARD
Non, non, non. (La pendule se met à sonner ; ils se mesurent du regard. Deux fois le duc esquisse un mouvement. Guerchard à chaque fois se précipite. Au douzième coup, s’élancent tous deux. Le duc prend son chapeau qui est à côté du diadème et Guerchard saisit le diadème.) Ah ! je l’ai… Enfin… Ai-je gagné ? Suis-je roulé cette fois-ci ! Lupin a-t-il pris le diadème ?
LE DUC, gaiement, mettant son paletot.
J’avais bien cru… Mais es-tu bien sûr ?
GUERCHARD
Hein !
LE DUC, se retenant de rire et tout en sonnant.
Tiens ! rien qu’au poids… Il ne te semble pas un peu léger ?
GUERCHARD
Quoi ?
LE DUC, pouffant.
Celui-là est faux !
GUERCHARD
Tonnerre de Dieu ! ! !
LE DUC, à part, entrouvrant son paletot qui cache le diadème. Celui-là est vrai. (Aux agents qui entrent.) On a volé le diadème.
(Il s’enfuit par la porte de gauche.)
GUERCHARD, se réveillant de sa torpeur.
Tonnerre de Dieu ! Où est-il ?
BOURSIN
Qui ça ?
GUERCHARD
Mais le duc !
LES HOMMES
Le duc ?
GUERCHARD, affolé.
Mais empêchez-le de sortir. Suivez-le… Arrêtez-le. Rattrapez-le avant qu’il ne rentre chez lui.
Rideau
ACTE IV
La scène représente un fumoir très élégant. Table de travail sur laquelle se trouve un téléphone, divans, secrétaire, etc.
Au lever du rideau, face au public, grande baie donnant sur une cage d’ascenseur. À gauche de cette cage, une bibliothèque.
Au fond, à droite et en pan coupé, porte donnant sur le vestibule. Cette porte est grande ouverte. À gauche 2 e plan, une fenêtre donnant sur la rue. À droite ou à gauche 1 er plan, une porte.
Scène première
VICTOIRE, CHAROLAIS, CHAROLAIS fils.
CHAROLAIS, à la fenêtre, se retournant.
Foutu ! on a sonné.
CHAROLAIS fils.
Non. C’est la pendule.
VICTOIRE, accourant.
Six heures… six heures… mais où est-il ?… Le coup doit être fait depuis minuit… Où est-il ?
CHAROLAIS, près de la fenêtre.
On doit le filer… il n’ose pas rentrer.
VICTOIRE
J’ai envoyé l’ascenseur en bas, au cas où il arriverait par l’issue secrète.
CHAROLAIS
Mais alors, nom de nom ! baissez les volets, comment voulez-vous que l’ascenseur monte si la porte reste ouverte !
VICTOIRE
Oui… J’ai la tête perdue… (Elle appuie sur un bouton. Les volets tombent. La cage de l’ascenseur est masquée.) Si on téléphonait à Justin, à la maison de Passy.
CHAROLAIS
Justin n’en sait pas plus que nous.
CHAROLAIS fils.
On ferait mieux de grimper là-haut.
VICTOIRE
Non. Il va rentrer. J’espère encore.
CHAROLAIS
Mais si on sonne, nom de nom !… si on vient fouiller les papiers… il ne nous a rien dit… on n’est pas préparé… Qu’est-ce que nous allons faire ?
VICTOIRE
Et moi est-ce que je me plains ?… si on vient m’arrêter ?
CHAROLAIS fils.
On l’a peut-être arrêté, lui.
VICTOIRE
Ah ! ne dites pas ça !… (Un temps,). Les deux agents sont toujours là ?
CHAROLAIS
Vous approchez pas de la fenêtre, vous on vous connaît… (Regardant à la fenêtre.) Oui… devant le café… en face… Tiens !…
VICTOIRE
Quoi ?
CHAROLAIS
Deux types qui courent.
VICTOIRE
Deux types qui courent ? Ils viennent par ici ?
CHAROLAIS
Non.
VICTOIRE
Ah !
CHAROLAIS
Ils s’approchent des flics, ils leur parlent ! Tonnerre ! Ils traversent tous la rue en courant !…
VICTOIRE
De ce côté ?… Ils viennent de ce côté ?
CHAROLAIS
Oui, ils viennent ! ils viennent !… ils viennent ! ! !
VICTOIRE
Et lui qui n’est pas là ! Pourvu qu’ils ne viennent pas… pourvu qu’il ne sonne pas… pourvu…
(Coup de sonnette au vestibule. Ils restent tous pétrifiés. Mais les volets de l’ascenseur se lèvent. Paraît Lupin, visage défait, méconnaissable, col arraché, etc. Les volets se rabaissent.)
VICTOIRE
Tu es blessé ?
LUPIN