Mon mari est un honnête homme, Monsieur, vous n’avez qu’à demander à monsieur le Duc !
LE JUGE
Je vous en prie ! (Au concierge.) Vous avez eu une première condamnation à un jour de prison avec sursis et une deuxième condamnation, où vous avez fait trois jours de prison. (Au commissaire.) Oui, regardez…
LE CONCIERGE
Dame ! Monsieur le Juge, je ne peux pas nier, mais c’est de la prison honorable.
LE JUGE
Comment ?
LE CONCIERGE
Oui, monsieur le Juge, la première fois, j’étais alors valet de chambre, c’est pour avoir crié le 1er mai : « Vive la Grève ! »
LE JUGE
Vous étiez valet de chambre, chez qui ?
LE CONCIERGE
Chez M. Jaurès.
LE JUGE
Ah ! bon, et votre deuxième condamnation ?
LE CONCIERGE
C’est pour avoir crié sur le seuil de Sainte-Clotilde : « Mort aux vaches ! »
LE JUGE
Hein ! Et vous serviez alors chez M. Jaurès ?
LE CONCIERGE
Non, chez M. Baudry d’Asson.
LE JUGE
Vous n’avez pas de convictions politiques bien arrêtées.
LE CONCIERGE
Si ! Je suis dévoué à mes maîtres.
LE JUGE
C’est bien, vous pouvez vous retirer. (Ils sortent.) Ces imbéciles-là disent l’absolue vérité, ou je ne m’y connais plus.
LE DUC
Oh ! Je crois que ce sont de braves gens.
LE JUGE, au commissaire.
Sur ce, Commissaire, nous allons visiter la chambre de Victoire… Ce lit défait ne m’inspire qu’une médiocre confiance. (Au duc, citant.) Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille.
LE DUC
Je vous accompagne ? Je ne suis pas indiscret ?
LE JUGE
Vous plaisantez ! Tout ceci vous touche, d’assez près.
(Ils sortent. La scène reste vide un moment.)
Scène III
GUERCHARD, UN AGENT
L’AGENT, empressé.
Je vais prévenir M. le Juge de l’arrivée de M. Guerchard.
GUERCHARD
Non, ce n’est pas la peine, ne dérangez personne pour moi. Je n’ai aucune importance.
L’AGENT, protestant.
Oh !
GUERCHARD, inspectant des yeux.
Aucune… Pour l’instant c’est le juge d’instruction qui est tout… Je ne suis qu’un auxiliaire.
L’AGENT
Le juge d’instruction et le commissaire visitent la chambre de la femme de charge. C’est tout là-haut, on prend l’escalier de service, on tourne par le corridor. Monsieur l’inspecteur veut-il que je l’y mène ?
GUERCHARD, sortant son mouchoir.
Non, je sais où c’est.
L’AGENT
Ah !
GUERCHARD
Oui. (Il se mouche.) J’en viens.
L’AGENT, avec admiration.
Ah ! Monsieur Guerchard est plus malin à lui tout seul que tous les juges d’instruction réunis.
GUERCHARD, se levant.
Il ne faut pas dire ça, mon ami. Je ne puis vous empêcher de le penser, mais il ne faut pas le dire.
(Il se dirige vers la fenêtre.)
L’AGENT, montrant l’échelle.
Monsieur l’inspecteur a remarqué. Il est possible que c’est par cette échelle que sont arrivés et repartis les cambrioleurs.
GUERCHARD, patiemment.
Merci, mon ami.
L’AGENT
Ils ont même laissé un guéridon sur le rebord de la fenêtre.
GUERCHARD, agacé, mais poli, souriant.
Oui, merci.
L’AGENT
Et on ne croit pas que ce soit Lupin. On croit que c’est un truc.
GUERCHARD
Je vous remercie.
L’AGENT
Monsieur Guerchard n’a plus besoin de moi ?
GUERCHARD, souriant.
Non, au contraire.
(Sort l’agent. Guerchard, resté seul, allume une cigarette, va vers le coffre, puis ramasse un bouton qu’il examine, tout en restant accroupi. Il se dirige jusqu’à la cheminée, jette un regard sous le paravent, se relève en souriant, comme s’il comprenait, va vers le livre, le soulève, voit des traces de plâtre, calcule la distance vers la fenêtre à l’aide de pas égaux, examine les traces de plâtre qui sont sur la fenêtre, pareilles à celles qui sont sous le livre, aperçoit la maison en construction, enjambe et disparaît aux premiers mots du juge qui revient.)
Scène IV
LE DUC, LE JUGE, L’AGENT, puis GOURNAY-MARTIN GERMAINE, puis GUERCHARD.
LE JUGE, toujours très important.
C’est certain, le désordre de la chambre et du lit est voulu… Nous tenons un complice. Nous aurons au moins cette bonne nouvelle à annoncer à M. Gournay-Martin. À propos, à quelle heure arrive-t-il ?
LE DUC
Je ne sais pas, il devait prendre le train de 8 heures 12.
LE JUGE
Ils arriveront toujours assez tôt.
L’AGENT, entrant, solennel.
Messieurs, c’est la famille.
(Gournay-Martin arrivant par la porte de gauche avec Germaine.)
GOURNAY, d’une voix étranglée.
Misérables ! (il va vers le petit salon.) Bandits ! ! (Il revient, voit le reste de la pièce.) Canailles ! ! !
(Il s’effondre.)
GERMAINE
Papa, ne crie plus, tu es enroué !
GOURNAY-MARTIN
Oui ! oui ! ça ne sert à rien ! (Criant de nouveau.) Mon mobilier Louis XIV !… tous mes tableaux… mes merveilleux tableaux !…
LE JUGE
Monsieur Gournay-Martin… je suis désolé… je suis tout à fait désolé ! (Gournay-Martin le regarde en hochant la tête. Il se présente.) Monsieur Formery, juge d’instruction.
GOURNAY-MARTIN
C’est une tragédie, monsieur le Juge, c’est une tragédie.
LE JUGE
Ne vous désolez pas. Nous les retrouverons vos chefs-d’œuvre. Et puis, quoi, ils auraient pu faire pis. Votre diadème n’a pas été enlevé.
LE DUC, près du coffre.
Non. On n’a pas touché à ce coffre-fort. Voyez, il est intact.
GOURNAY-MARTIN
C’est ça qui m’est égal… il était vide !
LE DUC
Vide… mais votre diadème ?…
GOURNAY-MARTIN, se retournant vers le juge, la voix sourde, terrifiée.
Ah ! mon Dieu !… On me l’a pris ?
LE DUC, se rapprochant.
Mais non, mais non… puisque ce coffre-fort…
GOURNAY-MARTIN
Mais le diadème n’a jamais été dans ce coffre-fort là… Il était (bas au juge)… A-t-on cambriolé ma chambre ?
LE JUGE
Non.
LE DUC
On a pénétré dans aucun des appartements du premier.
GOURNAY-MARTIN
Ah !… Alors je suis tranquille… le coffre-fort dans ma chambre n’avait que deux clefs… En voici une et l’autre est dans ce coffre-fort là !
LE JUGE, important comme s’il avait sauvé le diadème.
Vous voyez !
GOURNAY-MARTIN
Je vois, je vois… (éclatant) je vois qu’on m’a dévalisé ! pillé ! Où est Guerchard ? Avez-vous une piste, un indice ?
LE JUGE, d’un air entendu.
Oui, Victoire, la femme de charge.
GERMAINE
Victoire ?
GOURNAY-MARTIN
Où est-elle ?
LE JUGE
Elle a disparu.
GOURNAY-MARTIN
Disparu ! mais il n’y a plus une seconde à perdre… il faut…
LE JUGE
Voyons ! calmez-vous, calmez-vous. Je suis là.
LE DUC
Oui, calmez-vous, voyons !
GOURNAY-MARTIN
Vous avez raison, je suis calme.
LE JUGE
Nous avons tout lieu de croire qu’il y a d’autres complices, que ce cambriolage a été préparé de longue main et à coup sûr par des gens qui, non seulement, connaissent votre maison, mais encore sont au courant de vos habitudes.
GOURNAY-MARTIN
Oui !…
LE JUGE
Je désirerais savoir si auparavant, il n’y a jamais eu de vol commis chez vous ? Vous a-t-on déjà volé ?
GOURNAY-MARTIN
Il y a trois ans…
LE JUGE
Je sais…
GOURNAY-MARTIN
Mais, depuis, ma fille, elle, a été volée.