Non… (Second coup de sonnette. À Charolais père avec des gestes d’une énergie précise.) Ton gilet… va ouvrir… (À Charolais fils.) Ferme la bibliothèque… (À Victoire.) Cache-toi donc, toi, tu veux donc nous perdre !…
Il sort précipitamment à gauche premier plan.
Victoire et les deux Charolais sortent premier plan à droite.
(Charolais fils a pressé un bouton. La bibliothèque glisse et vient masquer l’emplacement de l’ascenseur.)
Scène II
CHAROLAIS, DIEUSY, BONAVENT, puis LUPIN.
(Charolais qui a passé son gilet de livrée, vient par la droite et se dirige vers le vestibule.)
CHAROLAIS
Mais… monsieur le Duc…
(Bruit à la cantonade.)
DIEUSY
Allons… en voilà assez.
(Il entre en courant avec Bonavent.)
BONAVENT
Par où est-il parti ? Il n’y a pas deux minutes on était sur sa trace.
DIEUSY
Nous l’empêcherons toujours de rentrer chez lui.
BONAVENT
Mais tu es bien sûr que c’était lui ?
DIEUSY
Ah ! là là !… Je t’en réponds !…
CHAROLAIS
Mais, Messieurs, je ne peux pas vous laisser ici, M. le Duc n’est pas réveillé.
DIEUSY
Réveillé. Il galope depuis minuit, votre duc. Et même qu’il court rudement bien.
LUPIN, entrant. Il est en pantoufles de maroquin, chemise de nuit, pyjama foncé.
Vous dites ?
DIEUSY et BONAVENT
Hein ?
LUPIN
C’est vous qui faites tout ce tapage ? (Dieusy et Bonavent se regardent interdits.) Ah çà ! mais, je vous connais. Vous êtes au service de Guerchard ?
DIEUSY et BONAVENT
Oui.
LUPIN
Eh bien, vous désirez ?
DIEUSY
Plus… plus rien… On a dû se tromper.
LUPIN
Dans ce cas…
(Il fait un signe à Charolais. Celui-ci ouvre la porte.)
DIEUSY, sortant, à BONAVENT.
Quelle bourde ! Guerchard est capable d’en être révoqué !
BONAVENT
Je te l’avais dit : un duc ! c’est un duc !
Scène III
LUPIN seul, puis VICTOIRE, puis CHAROLAIS.
(Resté seul, Lupin qui déjà pendant la scène des agents chancelait de fatigue s’affaisse sur le canapé.)
VICTOIRE, rentrant de droite.
Mon petit !… (Lupin ne répond pas. Lui prenant la main.) Mon petit, remets-toi… Voyons… (À Charolais qui rentre de gauche.) Le déjeuner !… Il n’a rien pris ce matin !… (À Lupin.) Tu veux déjeuner ?
LUPIN
Oui.
VICTOIRE, irritée.
Ah ! si c’est Dieu possible, cette vie que tu mènes… Tu ne changeras donc pas… (Alarmée.) T’es tout pâle… pourquoi ne parles-tu pas ?
LUPIN, d’une voix brisée.
Ah ! Victoire ! Que j’ai eu peur !
VICTOIRE
Toi ! tu as eu peur ?
LUPIN
Tais-toi, ne le dis pas aux autres… mais cette nuit… Ah ! J’ai fait une folie… vois-tu… j’étais fou !… Une fois le diadème changé par moi sous le nez même de Gournay-Martin, une fois Sonia et toi hors de leurs griffes, je n’avais qu’à me défiler, n’est-ce pas ? Non, je suis resté par bravade, pour me payer la tête de Guerchard. Et après moi… moi qui suis toujours de sang-froid… eh bien, j’ai fait la seule chose qu’il ne fallait pas faire : au lieu de m’en aller tranquillement en duc de Charmerace… eh bien… j’ai fichu le camp… Oui je me suis mis à courir… comme un voleur… Ah ! au bout d’une seconde j’ai compris la gaffe… ça n’a pas été long… Tous les hommes de Guerchard étaient à mes trousses… et le diadème pigé sur moi… j’étais cuit !…
VICTOIRE
Guerchard… alors ?
LUPIN
Le premier affolement passé, Guerchard avait osé voir clair et regarder la vérité… l’esprit de l’escalier… de l’escalier que je descendais… que je dégringolais !… Alors quoi !… ç’a été la chasse. Il y en avait dix, quinze après moi. Je les sentais sur mes talons, essoufflés, rauques, violents, une meute, quoi… une meute… Moi la nuit d’avant je l’avais passée en auto… J’étais claqué… Enfin j’étais battu d’avance… puis ils gagnaient du terrain, tu sais…
VICTOIRE
Il fallait te cacher.
LUPIN
Ils étaient trop près, je te dis, à 3 mètres, puis ç’a été 2 mètres puis 1 mètre… Ah ! Je n’en pouvais plus… Tiens, à ce moment, je me rappelle, c’était la Seine… je passai sur le pont… j’ai voulu… Ah ! oui… plutôt que d’être pris, j’ai voulu en finir, me jeter…
VICTOIRE, affolée.
Ma Doué ! Et alors ?
LUPIN
Alors, j’ai eu une révolte, j’ai pensé…
VICTOIRE
À moi ?…
LUPIN
Oui, à toi aussi… Je suis reparti, je m’étais donné une minute, la dernière… J’avais mon revolver sur moi… Ah ! pendant cette minute, tout ce que j’avais d’énergie, je l’ai employé… J’ai regardé derrière moi… c’est moi maintenant qui gagnais du terrain… Ils s’échelonnaient… ils étaient crevés eux aussi… tiens !… ça m’a redonné du courage… J’ai regardé autour de moi où j’étais… Machinalement, à travers tant de rues, par instinct, je crois, je m’étais dirigé vers chez moi… Un dernier effort, j’ai pu arriver jusqu’ici au coin de la rue, ils m’ont perdu de vue… l’issue secrète était là… personne ne la connaît… J’étais sauvé !… (Un temps, puis avec un sourire défait.) Ah ! ma pauvre Victoire, quel métier !
CHAROLAIS, entrant avec un plateau.
Vlà votre petit déjeuner, patron !
LUPIN, se levant.
Ah ! ne m’appelle pas patron… C’est comme cela que les flics appellent Guerchard… ça me dégoûte !…
CHAROLAIS
Vous vous êtes rudement bien tiré d’affaire. Vous l’avez échappé belle.
LUPIN
Oui, jusqu’à présent, ça va bien, mais tout à l’heure, ça va barder… (Sort Charolais. Pendant que Victoire le sert, il examine le diadème.) Il n’y a pas à dire, c’est une jolie pièce…
VICTOIRE
Je t’ai mis deux sucres. Veux-tu que je t’habille ?
LUPIN
Oui… (Il s’installe pour déjeuner. Sort Victoire.) Ces œufs sont délicieux, le jambon aussi… ça m’avait creusé… C’est très sain, au fond cette vie-là…
VICTOIRE, entrant et apportant les bottines.
Je vais te les mettre.
(Elle s’agenouille pour les lui mettre.)
LUPIN, s’étirant.
Victoire, ça va beaucoup mieux !
VICTOIRE
Oh ! je sais bien… l’émotion… tu veux te tuer… puis t’es jeune… tu reprends le dessus… Et cette vie de menteries, de vols, les choses pas propres, ça recommence !
LUPIN
Victoire, la barbe !
VICTOIRE
Non, non ! ça finira mal. Être voleur, c’est pas une position. Ah ! quand je pense à ce que tu m’as fait faire cette nuit et la nuit d’avant.
LUPIN
Ah ! parlons-en ! T’as fait que des gaffes !
VICTOIRE
Qu’est-ce que tu veux ! moi je suis honnête.
LUPIN
C’est vrai… Je me demande même comment tu peux rester avec moi.
VICTOIRE
Ah ! c’est ce que je me demande tous les jours, moi aussi, mais j’sais point… C’est peut-être parce que je t’aime trop…
LUPIN
Moi aussi, ma brave Victoire, je t’aime bien.
VICTOIRE
Puis, vois-tu, il y a des choses qui ne s’expliquent pas. J’en parlais souvent avec ta pauv’mère !… Ah ! ta pauvre mère ! Tiens, v’là ton gilet !
LUPIN
Merci.
VICTOIRE
Tout petit, tu nous étonnais… t’étais déjà d’une autre espèce, t’avais des mines délicates, des petites manières à toi, c’était aut’chose… Alors, tu pouvais pas cultiver la terre, n’est-ce pas, comme ton papa, qui avait les mains calleuses et qui vendait des betteraves.
LUPIN
Pau’papa !… N’empêche que s’il me voyait, ce qu’il serait fier.
VICTOIRE
À sept ans, t’étais déjà mauvais garçon, faiseur de niches… et tu volais déjà !…