LE JUGE
Ah !
GERMAINE
Oui, depuis trois ans.
LE JUGE.
Ah ! par exemple… mais il eût fallu nous prévenir ! C’est très intéressant, voyez, c’est capital ! Et c’est Victoire que vous soupçonnez ?
GERMAINE
Oh ! non, les deux derniers vols ont été commis au château et Victoire se trouvait à Paris.
LE JUGE, après un silence.
Tant mieux… tant mieux. Voici qui confirme notre hypothèse…
GOURNAY-MARTIN
Laquelle ?
LE JUGE, pensif.
Laissez ! Eh bien, voyons, Mademoiselle, ces vols ont commencé chez vous, il y a trois ans ?
GERMAINE
Vers le mois d’octobre.
LE JUGE
Et c’est au mois d’octobre 1905 que Gournay-Martin, après une première lettre de menaces était, comme aujourd’hui, victime d’un cambriolage.
GOURNAY-MARTIN
Ah ! Oui ! Les canailles !
LE JUGE
Il serait donc intéressant de savoir quel est celui de vos domestiques qui est entré à votre service il y a trois ans ?…
GOURNAY-MARTIN
Victoire n’est chez nous que depuis un an.
LE JUGE, dérouté, après un temps.
Précisément ! (À Germaine.) Mademoiselle, quel est le dernier vol dont vous avez été victime ?
GERMAINE
Il remonte à deux mois. On m’a volé une broche avec des perles et pouvant former pendentif… un peu comme le pendentif que vous m’avez donné, Jacques.
LE JUGE, à Germaine.
Ah ! pourrais-je voir ce pendentif ?
GERMAINE
Oui. (Au duc.) Vous l’avez, n’est-ce pas ?
LE DUC
Je l’ai… j’ai l’écrin.
GERMAINE
Comment l’écrin ?
LE DUC
Oui, l’écrin était vide.
GERMAINE
Vide ? Non, c’est impossible.
LE DUC
À peine étiez-vous sortie… j’ai ouvert l’écrin sur le chiffonnier et il était vide.
LE JUGE
Ce pendentif, ne l’aviez-vous pas déjà surpris aux mains du jeune Charolais ?
LE DUC
Oui… Trois quarts d’heure auparavant, il pouvait être 6 heures.
GERMAINE
Je réponds qu’à 7 heures et demie, quand je suis montée m’habiller, dix minutes avant de partir, le pendentif était dans l’écrin sur le chiffonnier.
GOURNAY-MARTIN
Un vol ! on l’a volé !
LE DUC
Mais non… C’est Irma certainement qui l’aura emporté pour vous, ou bien Mlle Krichnoff.
GERMAINE
Pas Mlle Krichnoff, toujours… puisqu’elle m’a dit dans le train : pourvu que le duc n’ait pas oublié d’emporter votre pendentif !
LE DUC
Alors, c’est Irma.
GERMAINE, appelant.
Irma ! Irma !
IRMA, entrant à gauche.
Mademoiselle…
GERMAINE
Ah ! justement, Irma…
LE JUGE
Non, pardon. (À Irma.) Mademoiselle, approchez… ne vous troublez pas… Avez-vous emporté le pendentif pour votre maîtresse ?
IRMA
Moi… non, Monsieur.
LE JUGE
Vous êtes sûre ?
IRMA
Dame !… oui ! Monsieur. D’ailleurs, est-ce que Mademoiselle ne l’avait pas laissé sur le chiffonnier ?
LE JUGE
Comment savez-vous ça ?
IRMA
Parce que Mademoiselle, en partant, a crié à M. le Duc, d’emporter l’écrin. Même que j’ai fait la réflexion que c’était peut-être Mlle Krichnoff qui aurait pu le mettre dans son sac.
LE DUC, vivement.
Mlle Krichnoff ! Dans quel but ?
IRMA
… Dans le but de le rapporter pour Mademoiselle.
LE JUGE
Et pourquoi aviez-vous pensé cela ?
IRMA
Parce que j’ai vu Mlle Krichnoff devant le chiffonnier.
LE JUGE
Ah ! et c’est sur le chiffonnier qu’était le pendentif ?
IRMA
Oui, Monsieur.
(Un silence.)
LE JUGE
Vous êtes au service de Mademoiselle depuis longtemps ?
IRMA
Depuis six mois, Monsieur.
LE JUGE
C’est bien, vous pouvez vous retirer… Non par ici, j’aurai peut-être besoin de vous tout à l’heure. (Sort Irma à droite. Au commissaire.) Nous allons interroger Mlle Krichnoff.
LE DUC, vivement.
Mlle Krichnoff est au-dessus de tout soupçon.
GERMAINE
Oui, c’est mon avis.
LE JUGE
Mlle Krichnoff est entrée chez vous depuis combien de temps, Mademoiselle ?
GERMAINE, réfléchissant.
Tiens.
LE JUGE
Quoi donc ?
GERMAINE
Il y a précisément trois ans.
LE JUGE
Précisément au moment où les vols ont commencé ?
GERMAINE
Oui.
(Sensation.)
LE JUGE, à l’agent.
Priez Mlle Krichnoff de venir.
L’AGENT
Bien, Monsieur…
LE DUC
Non, je sais où elle est, je vais sortir.
(Il va pour sortir.)
GUERCHARD, apparaissant en haut de l’échelle.
Ah !… Mais non !…
TOUS, se retournant.
Hein ?
GUERCHARD, à l’agent.
Agent, allez-y !
(Sort l’agent.)
LE DUC
Pardon, mais…
GUERCHARD, descendant de l’échelle.
Ne vous froissez pas, monsieur le Duc… Mais M. le Juge est de mon avis ; ce serait tout à fait irrégulier.
(Il va vers le juge et lui donne la main.)
LE DUC, se rapprochant.
Mais, Monsieur…
GUERCHARD
Monsieur Guerchard, inspecteur principal de la Sûreté.
LE DUC
Ah ! enchanté. Nous vous attendions avec impatience.
(Ils se donnent la main.)
LE JUGE
Que faisiez-vous donc, sur cette échelle !
GUERCHARD
J’écoutais… Et je vous félicite. Vous avez mené l’enquête d’une façon remarquable. Nous différons d’avis sur deux ou trois petits points… mais c’est remarquable. (Saluant.) Monsieur Gournay-Martin, mon cher commissaire.
(Ils s’installent autour de la table. L’agent de police entre et vient dire quelques mots au juge.)
LE JUGE, surpris, bas.
Elle sortait donc ?
L’AGENT
Elle demandait à sortir.
LE JUGE, bas.
Montez dans sa chambre et fouillez sa malle.
GUERCHARD, qui a entendu.
Ce n’est pas la peine.
LE JUGE
Ah ! (Il répète à l’agent d’un ton vexé.) Ce n’est pas la peine.
Scène V
LES MÊMES, SONIA
(Sonia est entrée. Elle a gardé son costume de voyage et son manteau sur le bras. Elle s’arrête étonnée.)
LE JUGE
Approchez, Mademoiselle… (Commençant l’interrogatoire.) Mademoiselle…
GUERCHARD, doucement, avec tant de déférence que le juge ne peut refuser.
Voulez-vous me permettre ? (Le juge furieux s’efface et tourne le dos. Guerchard à Sonia, avec bonhomie.) Mademoiselle, il se passe un fait sur lequel M. le Juge a besoin de quelques renseignements. On a volé le pendentif que M. le Duc a donné à Mlle Gournay-Martin.
SONIA
On a volé !… Vous êtes sûr ?
GUERCHARD
Absolument, le vol s’est produit dans des conditions très déterminées. Mais nous avons tout lieu de supposer que le coupable, pour n’être pas pris sur le fait, a caché le bijou dans le sac ou la valise d’une autre personne, de sorte que…
SONIA, vivement.
Ma valise est dans ma chambre, Monsieur, voici la clef.
(Pour prendre la clef dans son sac, elle dépose son vêtement sur le canapé. Il glisse à terre. Le duc qui ne l’a pas quittée des yeux s’approche, ramasse le vêtement, fouille dans les poches et retire un papier de soie, le déplie, trouve le pendentif, remet le papier, pose le vêtement et s’éloigne.)
GUERCHARD
C’est absolument inutile. Vous n’avez pas d’autres bagages ?
SONIA
Si, ma malle… elle est là-haut, ouverte.
GUERCHARD
Mais vous alliez sortir, je crois ?
SONIA
Je demandais la permission… deux ou trois courses à faire.
GUERCHARD
Monsieur le Juge, vous ne voyez aucun inconvénient à laisser sortir Mademoiselle ?