LE JUGE
Aucun.
GUERCHARD, à la jeune fille qui s’éloigne.
Vous n’emportez que ce sac ?
SONIA, le lui tendant.
Oui… J’ai là mon argent… mon mouchoir.
GUERCHARD, plongeant son regard dans le sac.
Inutile. Je ne suppose pas qu’on ait eu l’audace…
(Sonia va pour sortir. Elle fait un pas, hésite, puis revient et prend son vêtement.)
GUERCHARD, vivement.
Voulez-vous me permettre ?
SONIA
Merci, je ne le mets pas.
GUERCHARD, doucereux et tout en insistant.
Oui… mais on a pu… avez-vous bien regardé dans les poches ?… Tenez, on dirait que celle-ci…
SONIA, effrayée, mettant sa main crispée sur la poche.
Mais, Monsieur, c’est abominable… Quoi !… vous avez l’air…
GUERCHARD
Je vous en prie, Mademoiselle, nous sommes parfois obligés…
LE DUC, sans bouger, la voix nette.
Mademoiselle Sonia, je ne vois vraiment pas en quoi cette petite formalité peut vous déplaire.…
SONIA
Mais !…
LE DUC, la regardant fixement.
Vous n’avez aucune inquiétude à avoir.
(Sonia regarde le duc et cesse de résister : Guerchard fouille dans la poche désignée. Il y trouve le papier, le déplie.)
GUERCHARD, entre ses dents.
Plus rien. (Tout haut.) Je vous adresse toutes mes excuses, Mademoiselle.
(Sonia va pour sortir et chancelle.)
LE DUC, se précipitant.
Vous vous trouvez mal ?
SONIA, bas.
Merci, merci, vous m’avez sauvée.
GUERCHARD
Je suis sincèrement désolé !
SONIA
Non, ça ne fait rien.
(Elle sort.)
GERMAINE, à son père.
Cette pauvre Sonia !… Je vais lui parler !
(Ils sortent tous trois.)
LE JUGE, à part.
Vous vous êtes lourdement trompé, Guerchard.
GUERCHARD, qui n’a cessé de tenir le papier entre ses mains et de l’examiner.
Je voudrais que personne ne sorte sans un mot de moi !
LE JUGE, souriant.
Personne excepté Mlle Sonia.
GUERCHARD
Elle moins que tout autre.
LE JUGE
Comprends pas.
L’AGENT, entrant vivement.
Monsieur le Juge ?
LE JUGE, se retournant.
Quoi ?
L’AGENT
Dans le jardin… on a trouvé ce lambeau d’étoffe au bord du puits. Les concierges ont reconnu que c’était un morceau d’une robe à Victoire.
LE JUGE
Sacrebleu !
(Il prend le morceau d’étoffe.)
GOURNAY
Voilà l’explication !… Un assassinat…
LE JUGE, vivement.
Il faut y aller… C’est possible après tout. D’autant plus qu’à propos du jardin il y a des traces de plâtre là sous ce livre. Je les ai découvertes. Oui, il faut y aller.
GUERCHARD, calmement, sans bouger.
Non, tout au moins il ne faut pas y aller pour chercher Victoire.
LE JUGE
Pardon, mon cher ! mais ce lambeau d’étoffe…
GUERCHARD, à Gournay-Martin.
Ce lambeau d’étoffe ?… Avez-vous un chien, ou plutôt un chat dans la maison ?
LE JUGE, indigné.
Guerchard.
GUERCHARD
Pardon, c’est très important.
GOURNAY
Oui, je crois, il y a une chatte, celle du concierge.
GUERCHARD
Eh bien, voilà, ce lambeau d’étoffe a été apporté ici par la chatte… tenez, regardez les griffes.
LE JUGE
Voyons ! c’est fou ! Ça ne tient pas debout. Il s’agit d’un assassinat, peut-être de l’assassinat de Victoire.
GUERCHARD
Victoire n’a jamais été assassinée.
LE JUGE
Mon cher, personne n’en sait rien.
GUERCHARD, dialogue très rapide.
Si… moi…
LE JUGE
Vous ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Alors, comment expliquez-vous qu’elle ait disparu !
GUERCHARD
Si elle avait disparu, je ne l’expliquerais pas.
LE JUGE, furieux.
Mais puisqu’elle a disparu.
GUERCHARD
Non.
LE JUGE
Vous n’en savez rien.
GUERCHARD
Si.
LE JUGE
Hein ? Vous savez où elle est ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Mais dites-nous tout de suite que vous l’avez vue ?
GUERCHARD
Oui, je l’ai vue !
LE JUGE
Vous l’avez vue ! Quand ?
GUERCHARD
Il y a deux minutes.
LE JUGE
Mais sacrebleu, vous n’êtes pas sorti de cette pièce !
GUERCHARD
Non.
LE JUGE
Et vous l’avez vue ?
GUERCHARD
Oui.
LE JUGE
Mais sacré nom d’un chien, dites-nous alors où elle est, dites-nous-le.
GUERCHARD
Mais vous ne me laissez pas parler.
LE JUGE, hors de lui.
Alors, parlez.
GUERCHARD
Eh bien, voilà, elle est ici.
LE JUGE
Comment ici ? Comment serait-elle arrivée ici ?
GUERCHARD
Sur un matelas.
LE JUGE
Ah ! ça, Guerchard, vous vous foutez du monde !
GUERCHARD
Tenez. (Il va vers la cheminée, écarte les chaises et le paravent. On aperçoit Victoire bâillonnée, ligotée sur un matelas. Stupéfaction…) Hé là, elle dort bien. Il y a encore par terre le masque de chloroforme. (À l’agent.). Emportez-la.
LE JUGE, sévèrement au commissaire.
Vous n’aviez donc pas fouillé la cheminée, monsieur le Commissaire ?
LE COMMISSAIRE
Mais non.
LE JUGE
C’est une faute, monsieur le Commissaire, une faute impardonnable… Allons vite, qu’on l’emporte… Mais sapristi, vous avouez qu’il était matériellement impossible…
(L’agent et le commissaire emportent Victoire.)
GUERCHARD
À quatre pattes ; c’est possible. Quand on est à quatre pattes on voit deux talons qui dépassent. Alors, n’est-ce pas…
LE JUGE, à Guerchard.
Ça bouleverse tout. Dans ces conditions, je n’y comprends plus rien. Je suis complètement dérouté. Et vous ?
GUERCHARD, bonhomme.
Heu, heu !…
LE JUGE
Vous n’êtes pas dérouté, vous ?
GUERCHARD
Non. Est-ce que vous avez commencé votre enquête du côté du jardin ?
LE JUGE, sursautant.
J’allais la faire, naturellement ! D’autant que j’ai vu des choses très intéressantes, une maison en construction.
(Ils sortent.)
Scène VI
LE DUC, puis SONIA, puis GUERCHARD.
(Le duc jette un coup d’œil sur la pièce à côté pour regarder si on ne le voit pas, puis tire le pendentif de sa poche et le regarde.)
LE DUC, seul.
Une voleuse !
SONIA, entrant affolée.
Pardon ! Pardon !
LE DUC
Une voleuse, vous !
SONIA
Oh !
LE DUC
Prenez garde, ne restez pas là.
SONIA, même jeu.
Vous ne voulez plus me parler ?
LE DUC
Guerchard se doute de tout !… Il est dangereux que nous causions là.
SONIA
Quelle opinion avez-vous de moi, maintenant ? Ah ! mon Dieu ! Mon Dieu !
LE DUC
Parlez plus bas.
SONIA
Ah ! que m’importe ! J’ai perdu l’estime du seul être à qui je tenais, peu m’importe tout le reste.
LE DUC, regardant autour de lui.
Nous nous retrouverons… cela vaut mieux.
SONIA, assise.
Non, non, tout de suite… il faut que vous sachiez… il faut que je vous parle. Ah ! mon Dieu… je ne sais plus quoi vous dire. Et puis c’est trop injuste après tout. Elle, Germaine, elle a tout. Hier, devant moi, vous lui avez remis ce pendentif… elle a souri… elle était orgueilleuse… j’ai vu sa joie. Alors, oui, je l’ai pris, je l’ai pris, je l’ai pris, et si je pouvais lui prendre sa fortune… je la hais.
LE DUC, s’approchant.
Quoi ?
SONIA
Eh bien, oui… je la hais.
LE DUC
Comment ?
SONIA
Ah ! c’est une chose que je ne vous aurais pas dite… mais maintenant j’ose… j’ose parler… eh bien… oui… je… je vous… je vous… (Elle n’achève pas l’aveu, désespérée.) Je la hais.