Non, jamais, pas ça ! Ne la touche pas, nom de Dieu !…
GUERCHARD
Alors, tu acceptes ? (Un grand silence. Lupin, pâle, défait, s’appuie contre la table sans répondre. Enfin il fait un signe de tête – à Boursin.) Fais attendre Mlle Krichnoff… (Boursin sort – revenant vers Lupin.) L’acte de décès de Charmerace.
LUPIN, tirant un papier du portefeuille.
Voilà !
(Guerchard déplie vivement le papier.)
GUERCHARD
Enfin ! mais les tableaux ?… les tapisseries ?
LUPIN, tirant un bout de papier plié.
Voilà le reçu.
GUERCHARD
Hein ?
LUPIN
J’ai tout mis au garde-meuble.
GUERCHARD, jetant un coup d’œil sur le papier que lui a remis Lupin.
Le diadème n’y est pas ?
LUPIN
T’as un pied dessus.
GUERCHARD
Quoi ?
(Il se baisse, ouvre le petit banc et en retire le diadème.)
LUPIN
Veux-tu l’écrin ? (Guerchard examine le diadème avec méfiance.) T’as le souvenir !
GUERCHARD, après avoir soupesé le diadème est rassuré.
Oui… celui-là est vrai.
LUPIN
Si tu le dis !… Et maintenant as-tu fini de me saigner ?
GUERCHARD
Tes armes ?
LUPIN, jetant son revolver sur la table.
Voilà.
GUERCHARD
C’est tout. Qu’est-ce que tu as là ?
LUPIN
Un canif.
GUERCHARD
Il est gros ?
LUPIN
Moyen.
GUERCHARD Fais voir !… (Lupin sort un énorme coutelas.)
LUPIN, fouillant ses poches.
Un cure-dents… Alors ça y est ! J’ai ta parole !
GUERCHARD, sortant les menottes.
Tes mains d’abord.
LUPIN
Ta parole !
GUERCHARD
Tes mains. Ah ! veux-tu la liberté de la petite, oui ou non ?
LUPIN
As-tu de la veine que je sois aussi poire, aussi peu Charmerace, aussi peuple ! Hein ! pour être aussi amoureux, faut-il que je sois peu homme du monde !
GUERCHARD
Allons, tes mains.
LUPIN
Je verrai la petite une dernière fois ?
GUERCHARD
Oui.
LUPIN
Arsène Lupin, pigé, et par toi ! es-tu assez veinard ! Tiens ! (Il tend les mains. Guerchard lui met les menottes.) Veinard ! C’est pas possible, t’es marié !
GUERCHARD, goguenard.
Oui… oui… Boursin !… (Entre Boursin.) Mlle Krichnoff est libre, dis-le-lui, et laisse-la entrer !
LUPIN, sursautant.
Avec ça aux mains… jamais !… et pourtant (Boursin s’arrête.) Pourtant… j’aurais bien voulu… car si elle part comme ça… je ne sais pas quand, moi… Eh bien, oui, oui, je veux la voir… (Boursin et Guerchard passent dans l’antichambre.) Non, non…
GUERCHARD, qui n’a pas entendu revient avec Sonia.
Vous êtes libre, Mademoiselle. Vous pouvez remercier le duc. C’est à lui que vous devez cela.
SONIA
Libre ! Et c’est vous ! C’est à lui !
GUERCHARD
Oui.
SONIA, à Lupin.
C’est à vous ? Je vous devrai donc tout ! Ah ! merci, merci ! (Pour qu’elle ne voie pas ses menottes, Lupin se détourne. Sonia désespérée.) Ah ! j’ai eu tort, j’ai eu tort de venir ici, j’avais cru hier… je me suis trompée… pardon, je m’en vais…
LUPIN, douloureux.
Sonia…
SONIA
Non, non, je comprends, c’était impossible. Et si vous saviez pourtant, si vous saviez avec quelle âme transformée j’étais venue ici !… Ah ! je vous le jure maintenant, je vous le jure, tout mon passé, je le renie, et la seule présence d’un voleur me soulèverait de dégoût.
LUPIN
Sonia, taisez-vous !
SONIA
Oui, vous avez raison. Peut-on effacer ce qui a été ! Je restituerais tout ce que j’ai pris, je passerais des années de remords, de repentir, à vos yeux, j’aurais beau faire, Sonia Krichnoff, monsieur le Duc, qu’est-ce que c’est ? C’est une voleuse.
LUPIN
Sonia !
SONIA
Et pourtant si j’avais été une voleuse comme tant d’autres… mais vous savez pourquoi j’ai volé. Je ne cherche pas à m’excuser, mais enfin, tout de même, c’était pour me garder intacte et quand je vous aimais, ce n’était plus le cœur d’une voleuse qui battait, c’était le cœur d’une pauvre fille qui aimait… voilà tout… qui aimait…
LUPIN, bouleversé.
Vous ne pouvez pas savoir, vous me torturez, taisez-vous !
SONIA
Enfin, je pars ; nous ne nous reverrons jamais. Alors, voulez-vous au moins me donner la main ?
LUPIN, torturé.
Non.
SONIA
Vous ne voulez pas ?
LUPIN, très bas.
Non.
SONIA
Ah !
LUPIN
Je ne peux pas.
SONIA
Ah ! vous n’auriez pas dû… vous ne devriez pas me quitter ainsi, vous avez eu tort hier.
(Elle va pour sortir.)
LUPIN, à voix basse, balbutiant.
Sonia ! (Sonia s’arrête.) Sonia ! vous avez dit quelque chose… Vous avez dit que la présence d’un voleur vous soulèverait de dégoût… est-ce vrai ?
SONIA
Oui, je vous le jure.
LUPIN
Et si je n’étais pas celui que vous croyez ?
SONIA
Quoi ?
LUPIN
Si je n’étais pas le duc de Charmerace ?
SONIA
Quoi ?
LUPIN
Si je n’étais pas un honnête homme ?
SONIA
Vous ?
LUPIN
Si j’étais un voleur ?… Si j’étais…
GUERCHARD, goguenard.
Arsène Lupin.
SONIA, balbutiant.
Arsène Lupin… (Elle aperçoit ses menottes et pousse un cri.) C’est vrai ?… mais alors, vous vous êtes livré à cause de moi ?… et c’est à cause de moi que vous allez être mis en prison ? Ah ! mon Dieu que je suis heureuse. (Elle se jette sur lui et l’embrasse.)
GUERCHARD, avec un grand geste.
Et voilà ce que les femmes appellent le repentir.
(Tout en surveillant Lupin, il passe dans l’antichambre donner des ordres.)
LUPIN, à Sonia, transporté de joie comme un enfant.
Ah ! vois-tu, laisse-le dire, c’est inoubliable ça… malgré tout, et sachant que tu m’aimes assez pour m’aimer encore… je ne sais pas si je suis touché de la grâce, je ne sais pas si j’ai des remords, je ne sais pas si c’est ça qu’on peut appeler du repentir, mais je dois être changé, je dois être meilleur, je dois être devenu honnête… Ah ! je suis trop heureux !
GUERCHARD, revenant.
En voilà assez.
LUPIN
Ah ! Guerchard, je te dois, après tant d’autres, la meilleure minute de ma vie.
BOURSIN, entrant essoufflé.
Patron !
GUERCHARD, à part.
Quoi ?
BOURSIN
L’issue secrète… on l’a trouvée… c’est par les caves…
GUERCHARD
Ah ! cette fois, ça y est, nous le tenons.
(Boursin sort.)
SONIA, à part.
Mais alors il va t’emmener, nous allons être séparés.
LUPIN
Ah ! maintenant, moi ça m’est égal.
SONIA
Oui, mais moi pas.
LUPIN, nettement.
Va-t’en, sois tranquille, je n’irai pas en prison.
GUERCHARD
Allons, la petite, il faut filer.
LUPIN
Va-t’en, Sonia ! va-t’en. (Elle s’éloigne. Lupin bondit. Guerchard se précipite mais Lupin se baisse.) Elle avait laissé tomber son mouchoir. (Il le lui rend. Elle sort. Alors tranquillement Lupin va s’étendre sur le canapé.)
GUERCHARD
Allons lève-toi. Voilà qui va te faire retomber de ton rêve, la voiture cellulaire est en bas.
LUPIN
Tu as des mots vraiment malheureux.
GUERCHARD
Tu ne veux pas sortir avec moi ? Tu ne veux pas sortir ?
LUPIN
Si.
GUERCHARD
Alors viens.
LUPIN
Ah ! non, c’est trop fort. (Il se recouche.) Je déjeune à l’ambassade d’Angleterre.
GUERCHARD
Ah ! Prends garde… les rôles sont changés maintenant. Tu te raccroches à une dernière branche, c’est pas la peine. Tous tes trucs, je les connais, tu entends, voyou, je les connais.