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A
A

GERMAINE

N’allez pas recommencer à m’agacer…

LE DUC

Non, non.

GERMAINE

Et Relzières, est-ce qu’il est blessé ?

LE DUC

Six mois de lit.

GERMAINE

Ah ! mon Dieu !

LE DUC

Ça lui fera beaucoup de bien… Il a une entérite… et pour l’entérite, le repos, c’est excellent. Ah ! nom d’un chien, ce sont des invitations, tout ça ?

GERMAINE

Ça n’est que la lettre V.

LE DUC

Et il y en vingt-cinq dans l’alphabet ! Mais vous allez inviter la terre entière, il faudra faire agrandir la Madeleine.

GERMAINE

Ce sera un mariage très bien, On s’écrasera ! Il y aura sûrement des accidents.

LE DUC

À votre place, j’en organiserais… Mademoiselle Sonia, voulez-vous être un ange ? Jouez-moi un peu de Grieg. Je vous ai entendue hier. Personne ne joue du Grieg comme vous.

GERMAINE

Pardon, mon cher, mais Mlle Krichnoff a à travailler.

LE DUC

Cinq minutes d’arrêt, quelques notes, je vous en prie.

GERMAINE

Soit, mais j’ai une chose très importante à vous dire.

LE DUC

Tiens ! au fait, moi aussi. J’ai là le dernier cliché que j’ai pris de vous et de Mlle Sonia. (Germaine hausse les épaules.) Avec vos robes claires en plein soleil, vous avez l’air de deux grandes fleurs.

GERMAINE

Oui, et vous trouvez que c’est important ?

LE DUC

C’est important comme tout ce qui est puéril. Tenez, admirez.

GERMAINE

Affreux ! Nous faisons des grimaces épouvantables.

LE DUC

Vous faites des grimaces, mais elles ne sont pas épouvantables. Mademoiselle Sonia, je vous fais juge… Les figures je ne dis pas… mais les silhouettes… Regardez le mouvement de votre écharpe…

GERMAINE, gravement.

Mon cher…

LE DUC

C’est vrai… La chose importante…

GERMAINE

Victoire a téléphoné, de Paris.

LE DUC

Ah ! Ah !

GERMAINE

Nous avons reçu un encrier Louis XVI et un coupe-papier.

LE DUC

Bravo !

GERMAINE

Et un collier de perles.

LE DUC

Bravo !

GERMAINE

Je vous dis un collier de perles, vous dites bravo. Je vous dis un coupe-papier, vous dites : bravo ! Vous n’avez vraiment pas le sentiment des nuances.

LE DUC

Pardon. Ce collier de perles est d’un ami de votre père, n’est-ce pas ?

GERMAINE

Oui, pourquoi ?

LE DUC

Mais l’encrier Louis XVI et le coupe-papier doivent être extrêmement gratin ?

GERMAINE

Oui. Eh bien ?

LE DUC

Eh bien, alors, ma petite Germaine, de quoi vous plaignez-vous ? Ça rétablit l’équilibre… On ne peut pas tout avoir.

GERMAINE

Vous vous fichez de moi.

LE DUC

Je vous trouve adorable.

GERMAINE

Jacques, vous m’agacez. Je finirai par vous prendre en grippe.

LE DUC, riant.

Attendez que nous soyons mariés. (Un temps. À Sonia qui regarde un portrait.) Vous regardez ce Clouet… Il a du caractère, n’est-ce pas ?…

SONIA

Oui, beaucoup. C’est un de vos ancêtres, n’est-ce pas ?

GERMAINE

Naturellement, tout ça, c’est des portraits d’ancêtres, il n’y a ici que des Charmerace, et papa a tenu à ce qu’on ne déplace aucun des portraits de cette salle.

LE DUC

Aucun, sauf le mien (Sonia et Germaine le regardent étonnées). Oui, à la place de cette tapisserie il y avait un portrait de moi, jadis. Qu’est-ce qu’il est devenu ?

GERMAINE

C’est une blague, n’est-ce pas ?

SONIA

C’est vrai, monsieur le Duc, vous n’êtes pas au courant ?

GERMAINE

Nous vous avons écrit tous les détails et envoyé tous les journaux. Il y a trois ans de cela. Vous n’avez donc rien reçu ?

LE DUC

Il y a trois ans… j’étais perdu dans les terres polaires.

GERMAINE

Mais c’est tout un drame, mon cher, tout Paris en a parlé. On l’a volé, votre portrait.

LE DUC

Volé ? Qui ça ?

GERMAINE

Tenez, vous allez comprendre. (Elle écarte la tapisserie. On voit écrit à la craie le nom d’Arsène Lupin.) Que dites-vous de cet autographe ?

LE DUC

Arsène Lupin.

SONIA

Il a laissé sa signature… il paraît que c’est ce qu’il fait toujours…

LE DUC

Ah ! qui ça ?

GERMAINE

Mais, Arsène Lupin ! Je pense que vous savez qui est Arsène Lupin ?

LE DUC

Ma foi non.

GERMAINE

On n’est pas pôle-sud à ce point-là ! Vous ne savez pas qui est Lupin ! le plus fantaisiste, le plus audacieux, le plus génial des filous.

SONIA

Depuis dix ans, il met la police aux abois. C’est le seul bandit qui ait pu dépister notre grand policier Guerchard.

GERMAINE

Enfin, quoi ! notre voleur national. Vous ne le connaissez pas ?

LE DUC

Pas même assez pour l’inviter au restaurant. Comment est-il ?

GERMAINE

Comment est-il ? Personne n’en sait rien. Il a mille déguisements. Il a dîné deux soirs de suite à l’Ambassade d’Angleterre.

LE DUC

Si personne ne le connaît, comment l’a-t-on su ?

GERMAINE

Parce que le second soir, vers dix heures, on s’est aperçu qu’un des convives avait disparu, et avec lui, tous les bijoux de l’Ambassadrice.

LE DUC

Hein ?

GERMAINE

Lupin a laissé sa carte avec ces simples mots : « Ce n’est pas un vol, c’est une restitution. Vous nous avez bien pris la collection Wallace. »

LE DUC

C’est une blague, n’est-ce pas ?

SONIA

Non, monsieur le Duc ! Et il a fait mieux. Vous vous souvenez de l’affaire de la banque Daray, l’épargne des petits.

LE DUC

Le financier qui avait triplé sa fortune au détriment d’un tas de pauvres diables, deux mille personnes ruinées ?

SONIA

Parfaitement. Eh bien, Lupin a dévalisé l’hôtel de Daray et lui a pris tout ce qu’il avait en caisse. Et il n’a pas gardé un sou de l’argent.

LE DUC

Qu’est-ce qu’il en a fait ?

SONIA

Il l’a distribué à tous les pauvres diables que Daray avait ruinés.

LE DUC

Mais c’est un grand philanthrope que votre Lupin.

GERMAINE

Oh ! pas toujours. Exemple : l’histoire arrivée à papa.

LE DUC

Ce vol-là n’est pas digne de votre héros. Mon portrait n’avait aucune valeur.

GERMAINE

Aussi, si vous croyez qu’il s’en est contenté. Toutes les collections de papa ont été pillées.

LE DUC

Les collections de votre père ? mais elles sont mieux gardées qu’au Louvre. Votre père y tient comme à la prunelle de ses yeux.

GERMAINE

Justement, il y tenait trop. C’est pourquoi Lupin a réussi.

LE DUC

Il y avait donc des complices dans la place ?

GERMAINE

Oui… un complice.

LE DUC

Qui ça ?…

GERMAINE

Papa.

LE DUC

Hein ? Je ne comprends plus du tout.

GERMAINE

Vous allez voir. Un matin, papa reçoit une lettre… attendez… (À Sonia.) Sonia, dans le secrétaire, le dossier Lupin.

SONIA

Je vous l’apporte.

(Elle va au secrétaire.)

LE DUC, riant.

Vous avez un dossier Lupin ?

GERMAINE

Naturellement, une affaire pareille, nous avons tout gardé.

SONIA, qui a tiré du secrétaire un carton-chemise, et qui a sorti une enveloppe.

Voici l’enveloppe : Monsieur Gournay-Martin, collectionneur, en son château de Charmerace. Ille-et-Vilaine.

(Germaine remet l’enveloppe au duc.)

LE DUC

L’écriture est curieuse.

GERMAINE

Lisez la lettre, lisez à haute voix.

LE DUC, lisant.

« Monsieur, excusez-moi de vous écrire, sans que nous ayons été présentés, mais je me flatte que vous me connaissiez au moins de nom… Il y a dans la galerie qui réunit vos deux salons, un Murillo d’excellente facture et qui me plaît infiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre Van Dyck. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, la tapisserie de Beauvais, le guéridon Empire, la pendule signée Boulle et divers objets, sans grande importance. Je tiens surtout à ce diadème que vous avez acheté à la vente de la marquise de la Ferronaye et qui fut porté jadis par la malheureuse marquise de Lamballe. Ce diadème a pour moi un grand intérêt… d’abord, les souvenirs charmants et tragiques qu’il évoque pour un poète épris d’histoire, ensuite, mais est-ce la peine de parler de ces choses-là, sa valeur intrinsèque ? J’estime en effet que les pierres de votre diadème, valent, au bas mot, cinq cent mille francs.

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