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(11) L 'école jouxte la mairie.

Le français est donc une langue où la construction transitive a une très grande extension. 11 en va de même en général dans les langues indo-européennes d'Europe occidentale. Il semble même qu'en anglais la construction s'étende plus loin encore qu'en français. En revanche, en rosse l'emploi de la construction transitive est sensiblement plus limitée. Beaucoup de procès ou de relations qui s'expriment en français et d'autres langues d'Europe occidentale au moyen de la construction transitive sont rendus en russe au moyen d'autres constructions, ex.

(12) et (13).

(12) U menja est' kniga.

«J'ai un livre».

(13) V komnate paxnet jablokami.

«La chambre sent la pomme».

(12) illustre un type d'expression, où «avoir» s'exprime par le tour inverse, «être à/chez». Ce type est répandu dans de nombreuses langues: ce sont plutôt les langues possédant un verbe «avoir» (transitif), qui paraissent exceptionnelles. Quant à (13), c'est une construction sans sujet au nominatif comme il y en a différentes sortes en russe (v., p. ex., [Guiraud-Weber 1984]). Cette langue fait partie de celles qui limitent ou tendent à limiter la construction transitive à l'expression de procès agentifs.

L'emploi de la CBM peut en principe se trouver, dans certaines langues, strictement borné à l'expression d'actions prototypiques. Les langues caucasiques du nord-est ne sont pas loin de ce cas limite. Le lezghien, par exemple, a de nombreuses constructions biactancielles. La construction transitive est caractérisée par le module actanciel ERGA-TIF — ABSOLUTIF (v. ci-dessus, § 5), augmenté éventuellement d'un troisième cas dans les constructions transitives «élargies» [39]. A côté de cette construction, il en existe une série d'autres, dites intransitives, définies par divers modules actanciels: ABSOLUTIF — DATIF, ABSOLUTIF — ADESSIF, ABSOLUTIF — ADELATIF, ABSOLUTIF — POSTESSIP, DATIF — ABSOLUTIF, ERGATIF — DATIF, etc. [Haspelmath 1993:269,280, 284], utilisées pour l'expression de diverses sortes de procès qui s'écartent peu ou prou de l'action prototypique. La construction transitive est limitée à celles des actions qui sont conformes au prototype ou qui s'en rapprochent.

On peut ainsi dresser une échelle typologique, sur laquelle les langues, selon qu'elles donnent plus ou moins d'extension à la construction transitive, se situent à différents niveaux entre un minimum, dont le lezghien est proche, et un maximum relatif, représenté par les langues d'Europe occidentale (cf. [Lazard 1997: 252–255; réimpr. 2001:282–285]). Il y a là matière à une étude extensive.

7. Autres développements

La problématique et la méthode exposées ci-dessus ouvrent encore des perspectives sur d'autres points, que je ne peux pas développer ici: je me contenterai d'esquisser très brièvement deux d'entre elles.

7.1. La zone objectale.La conception traditionnelle de la phrase transitive inclut les notions de sujet et d'objet. Ces notions sont aussi confuses que celle de transitivité, mais ne doivent pas plus qu'elle être regardées comme dépourvues de sens. Il y a au contraire lieu de penser qu'elles recouvrent des phénomènes importants, qu'il importe de mettre au clair. Je laisserai ici de côté celle de sujet, qui met en jeu un ensemble complexe de faits dont une partie déborde le cadre de la phrase simple (cf. [Lazard 1994: 100–122; 19986: 97—118]), pour ne considérer que celle d'objet.

A partir des prémisses que nous avons adoptées il est facile de définir l'objet. Quand la CBM (ou construction transitive) exprime une action prototypique, les deux actants désignent l'un un agent, l'autre un patient. Nous appellerons objet celui qui représente le patient, et aussi tout actant traité de même quand cette construction exprime un procès autre qu'une action prototypique.

(14) Définition: L'objetest, parmi les deux actants de la construction biactancieîle majeure (ou construction transitive), celui qui désigne le patient quand cette construction exprime une action prototypique.

L'objet est une entité morphosyntaxique. Il est donc défini en termes morphosyntaxiques (c'est l'un des actants d'une certaine construction), mais à partir d'un ancrage sémantique qui permet de l'identifier en toute langue.

Il y a cependant des cas problématiques. En voici quelques-uns:

a) Marquage différentiel de l'objet, ex. (15) en persane:

(15a) ketâb-râ xând-am

livre-OBJ lire-lSG

«J'ai lu le livre».

(15b) ketâb xând-am

«J'ai lu un/des livres».

Nous avons ici deux formes d'objet, l'une marquée par un morphème spécifique (la postposition râ) dans (15a), l'autre non marquée dans (15b). C'est la première qui répond à la définition, car l'objet y est défini, donc mieux individué que dans la seconde. Dans les phrases exprimant des actions prototypiques, l'objet est marqué par râ. Il y a donc deux types d'objet dans cette langue (et beaucoup d'autres): l'un marqué, qu'on peut appeler «objet prototypique», l'autre non marqué.

b) Deux objets dans la même proposition, ex. (16) en persan aussi:

(16a) ketâb-râ motâlee kard-amétude faire-lSG

«J'ai étudié (litt. fait étude) le livre».

(16b) ketâb motâlee kard-am

«J'ai étudié un/des livre(s)».

(16a) comprend un objet prototypique et un autre, (16b) comprend deux objets non prototypiques.

c) Dans certaines langues on trouve, avec des verbes classés comme intransitifs, un terme nominal sans marque qui ressemble à un objet, ex. (17b) en wargamay, langue ergative:

(17a) rjad'a wagun ganda-Hu

lsg: ERG bois brûler-PERRTRANS

«J'ai brûlé le bois».

(17b) rjayba mala ganda-gi

lsg: NOM main brûler- PERF:1NTR

«Je me suis brûlé la main».

Dans (17a), la construction est la CBM, avec un premier actant à l'ergatif représentant un agent, un objet prototypique à l'absolutif et un verbe morphologiquement marqué comme transitif. Dans (17b), le verbe est morphologiquement intransitif, le premier actant est à l'absolutif, et il y a en outre une sorte de quasi-objet à l'absolutif également.

Ces faits et d'autres conduisent à poser, à côté de l'objet prototypique, des actants qui en sont grammaticalement voisins, quoique distincts, c'est-à-dire à concevoir une «zone objectale», qui comprend l'objet prototypique et aussi, au voisinage de celui-ci, d'autres sortes d'objets ou quasi-objets [Lazard 1994: 84—100; 1998a: 80–96].

7.2. La transitivité généralisée.En considérant l'existence d'objets non-prototypiques, ainsi que d'autres faits qui ne peuvent être examinés ici, on est amené à concevoir la transitivité, non plus comme un propriété qu'un verbe (ou une phrase) possède ou ne possède pas, mais comme une grandeur graduelle. Cette notion a été aperçue et abondamment documentée par Hopper et Thompson [1980], mais par une démarche intuitive, plus suggestive que démonstrative. On peut la fonder en théorie par une recherche menée selon une méthode plus rigoureuse [Lazard 1994: 244–260; 1998a: 232–245; 19986; réimpr. 2001: 299–324].

Cette conception est parfaitement compatible avec celle que nous avons développée ci-dessus [40]: elle n'en est qu'un élargissement. Dans la perspective de la transitivité graduelle, les verbes (ou phrases) que nous avons définis comme transitifs, c'est-à-dire ceux qui admettent la CBM, deviennent les plus transitifs, et, parmi les verbes considérés comme intransitifs, certains, lorsqu'ils sont accompagnés de deux actants, se laissent analyser comme seulement moins transitifs, ils désignent des procès à deux participants qui s'écartent plus ou moins de l'action prototypique.

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39

Comme «appuyer le doigt sur le boulon», dont le module est erga-TIF — SUPERESSDF — ABSOLUTIF [Haspelmath 1993:268].

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40

Et que nous appelons «théorie de la transitivité restreinte», par opposition à la «théorie de la transitivité généralisée».

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