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Qui te rend si hardi d’escalader des cimes?

Ne savais-tu donc pas qu’ici l’on est heureux?»

Je baissais mon regard vers la source limpide;

mais, n’y voyant que moi, je le tournai vers l’herbe,

tel était sur mon front le poids de la vergogne.

Une mère est parfois trop dure avec son fils:

et telle elle semblait alors, car la pitié

que n’accompagne pas la douceur est amère.

Elle se tut enfin, et les anges chantèrent

soudain, en chœur: «In te, Domine, speravi»;

mais leur chanson prit fin avec pedes meos [327].

Comme parmi les mâts encor vivants des bois

la neige vient durcir le dos de l’Italie

sous le souffle glacé de tous les vents slavons,

puis après elle fond et coule goutte à goutte,

dès qu’arrive un vent chaud de la terre sans ombre

comme une flamme fond le suif de la chandelle,

je demeurais ainsi, sans larmes ni soupirs,

pendant le chant divin de ceux dont la musique

suit toujours le concert des sphères de là-haut.

Mais lorsque j’eus compris qu’ils me compatissaient

dans leur suave accord mieux que s’ils n’avaient dit:

«Dame, pourquoi donc être envers lui si sévère?»

la glace qui d’abord accablait ma poitrine

devint soupir et larme, et angoisseusement

rejaillit de mon cœur par la bouche et les yeux.

Mais elle, se tenant toujours aussi rigide

de ce côté du char, après un long silence

adressa la parole à ce chœur de pitié:

Elle dit: «Vous veillez dans un jour éternel;

le sommeil ou la nuit ne vous volent jamais

un seul pas que le monde esquisse dans sa marche.

Ma réponse n’est pas pour vous, mais elle vise

celui qui pleure là, car il doit bien m’entendre,

pour que la pénitence égale ses erreurs.

Non seulement du fait de ces sphères célestes

qui mènent les mortels vers une fin certaine,

selon qu’elle est écrite au concours des étoiles,

mais aussi par l’effet de la faveur divine,

dont la source descend de si hautes vapeurs

que les regards mortels ne sauraient la trouver,

cet homme-ci fut tel, du temps de sa jeunesse,

que virtuellement les bonnes habitudes

auraient pu le conduire aux meilleurs résultats.

Mais une terre inculte, aux mauvaises semences,

est d’autant plus sauvage et devient plus maligne

qu’elle cache en son sein plus de force et vigueur.

Je l’ai pourtant, un temps, aidé de ma présence,

et en lui faisant voir de mes yeux la jeunesse,

j’obtins qu’il me suivît le long du droit chemin.

Cependant, arrivé à peine sur le seuil

de mon âge second, j’ai dû changer de vie,

et il m’abandonna, pour se donner à d’autres.

Alors que je montais de la chair à l’esprit

et qu’augmentaient d’autant ma vertu, ma beauté,

je devins à ses yeux moins chère et moins aimable;

Et il porta ses pas sur une fausse route,

poursuivant le reflet de ce bonheur trompeur

qui ne donne jamais ce qu’il nous a promis.

En vain j’ai demandé des inspirations,

par lesquelles je l’ai bien souvent visité

en songe et autrement, car il n’en avait cure.

Il est tombé si bas, qu’enfin tous les moyens

paraissaient impuissants pour obtenir sa grâce,

si ce n’est en voyant les races condamnées.

C’est pour cela qu’au seuil des morts j’ai fait visite,

pour porter à celui qui l’a conduit ici

les larmes de mes yeux à l’appui des prières.

Pourtant, c’est transgresser l’ordonnance divine,

que de vouloir goûter, franchissant le Léthé,

un pareil aliment, sans avoir à payer

l’écot d’un repentir qui coûte bien des pleurs.» [328]

CHANT XXXI

«Toi, qui restes au bord de la sainte rivière,

reprit, tournant vers moi la pointe d’un discours

dont déjà le tranchant m’atteignait durement,

la dame, et poursuivant sans s’être interrompue,

dis, dis si tout cela n’est pas vrai! Que l’aveu

s’ajoute maintenant aux accusations!»

Mon esprit se trouvait tellement confondu,

que je voulus parler, mais ma voix s’éteignit

avant de se lancer hors de son propre organe.

Bien vite elle épuisa sa patience et dit:

«Que penses-tu? Réponds! Les mauvais souvenirs

en toi n’ont pas encore été touchés par l’eau».

La crainte qui se mêle à la confusion

arracha de mes lèvres un «oui» si mal formé,

qu’on l’entendait des yeux bien mieux que par l’ouïe.

Et comme ayant bandé trop fort une arbalète,

lorsqu’il faut décocher, la corde et l’arc se cassent

et les flèches s’en vont sans force vers le but,

à la fin j’éclatai sous ce poids accablant,

faisant place soudain aux soupirs et aux larmes,

cependant que ma voix s’étouffait dans ma gorge.

Elle me dit alors: «Au milieu de mes vœux

qui devaient te conduire vers l’amour de ce bien

auprès duquel plus rien n’est digne qu’on en rêve,

quelle chaîne ou fossé sur ta route tendus

avais-tu rencontrés, qui t’ont fait ainsi perdre

tout espoir de poursuivre en avant ton chemin?

Quelles facilités, ou bien quel avantage

avais-tu découverts, écrits au front des autres,

pour ressentir si fort le besoin de leur plaire?»

Avalant avec peine un soupir d’amertume,

ce n’est qu’avec effort que j’ai pu lui répondre,

et ma bouche forma péniblement des mots.

Je lui dis en pleurant: «Les objets corporels

avec leurs faux plaisirs détournèrent mes pas,

dès que votre regard se fut caché pour moi.»

«Que tu taises, dit-elle, ou même que tu nies

ce que tu reconnais, ta faute pour autant

n’en est pas moins connue, et ton juge la sait.

Mais lorsque des péchés l’aveu sort de lui-même

des lèvres du pécheur, la meule se retourne,

dans notre tribunal, contre le fil du glaive.

Et pour que maintenant tu ressentes la honte

de ton erreur passée, et pour qu’une autre fois

tu te montres plus fort avec d’autres sirènes,

laisse à présent sécher tes larmes, et écoute:

tu comprendras comment ma chair ensevelie

aurait dû te montrer un tout autre chemin.

La nature ni l’art ne t’ont jamais offert

de plaisir comparable à celui des beaux membres

qui me portaient jadis, et sont cendre à présent.

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