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que l’on entend partout sur les pentes du mont.

Dès lors, à chaque fois que les désirs l’assiègent

ou d’autres passions, l’ombre en ressent les coups:

et voilà la raison de ton étonnement.»

Nous étions arrivés au dernier des détours,

et nous avions tourné en avançant à droite,

et déjà d’autres soins occupaient nos regards [284].

Là-haut, du flanc du mont jaillit un mur de flammes;

mais la corniche lance un souffle dans les airs,

qui les rabat et fraie un couloir de passage.

Nous fûmes obligés de passer à la file

par ce dégagement; j’avais bien peur du feu

d’une part, et de l’autre un ravin me guettait.

Mon guide me disait: «C’est ici qu’il te faut

une vue assez prompte à te bien seconder,

car il te suffirait d’un seul pas pour tout perdre.»

On entendait Summae Deus clementiae [285]

que l’on chantait du sein de ce grand incendie,

et je voulus savoir, malgré tout, qui chantait.

J’aperçus des esprits qui marchaient dans les flammes

et, regardant toujours vers eux et sous mes pieds,

mes yeux de çà de là ne faisaient que courir.

À peine venaient-ils de terminer leur chant,

qu’ils crièrent bien fort: «Virum non cognosco»

et reprirent bientôt leur hymne à voix plus basse.

Puis, terminant leur chant, ils s’écriaient: «Diane,

qui vivait dans les bois, chassa loin d’elle Hélice [287],

qui du fruit de Vénus avait senti le goût.»

Ensuite, reprenant leur antienne, ils nommaient

les femmes, les maris qui demeurèrent chastes,

comme le mariage et la vertu le veulent.

Je pense que cela remplit suffisamment

tout l’espace de temps où le feu les rôtit;

car tel est l’aliment, telles sont les pratiques

qui peuvent corriger, à la longue, l’erreur.

CHANT XXVI

Pendant que nous marchions ainsi, l’un devant l’autre,

sur le bord de la route, et que souvent mon maître

disait: «Attention! Ne sors pas du sentier!»

le soleil qui tombait sur mon épaule gauche

baignait de ses rayons le bord de l’Occident,

sur sa couleur d’azur mettant des teintes blanches,

et mon ombre ajoutait à la flamme des tons

plus sombres; et je vis que beaucoup de ces âmes

avaient, tout en marchant, remarqué ce détail.

C’est la raison qui fit qu’à la fin ils parlèrent,

et le commencement fut de se dire entre elles:

«Celui-ci n’a pas l’air d’avoir un corps fictif.»

Ensuite certains d’eux s’approchèrent de moi

d’aussi près qu’on pouvait, tout en prenant bien soin

de ne pas esquiver le feu qui les brûlait.

«Ô toi qui marches seul après les autres deux,

sans doute par respect et non pas par paresse,

réponds-nous, les brûlés dans la soif et le feu!

Je ne suis pas le seul qui désire t’entendre;

nous pendons à ta lèvre avec bien plus d’envie

qu’on n’a d’eau fraîche en Inde ou dans l’Éthiopie.

Dis-nous, comment fais-tu pour nous cacher ainsi

le soleil? on dirait que tu n’es pas encore

tombé dans les filets que dispose la mort.»

C’est ainsi que parlait l’un d’entre eux; j’aurais dit

qui j’étais, quand soudain m’apparut, surprenante,

une autre nouveauté qui m’appelait ailleurs.

En effet, au milieu de la route embrasée

s’en venaient d’autres gens au-devant de ceux-ci

et, pour les observer, je gardai le silence.

Je vis des deux côtés les ombres se presser,

courir à la rencontre, échanger des baisers,

sans s’arrêter, au gré de leurs brèves rencontres:

telles, lorsque leurs rangs noirâtres s’entrecroisent,

s’accolent les fourmis, et dans leur tête-à-tête

semblent se raconter leur route et leur moisson.

Et tout de suite après cet accueil amical,

avant le premier pas qui les doit séparer,

chaque troupeau s’écrie aussi fort qu’il le peut.

La foule d’arrivants dit: «Sodome et Gomorrhe!»

l’autre: «Pasiphaé s’abrita dans la vache,

afin que le taureau contentât sa luxure.» [288]

Puis, comme se sépare une bande de grues

pour partir vers le sable ou vers les monts Riphées [289],

selon qu’elles vont loin du froid ou du soleil,

les uns vont d’un côté et les autres de l’autre,

les hymnes reprenant aussi bien que les larmes

et le cri qui convient le mieux à leur état.

Lors les mêmes esprits qui m’avaient demandé

de parler avec eux s’en revinrent vers moi,

et dans leurs yeux brillait leur désir d’écouter.

Moi, qui savais déjà quelle était leur envie,

je leur dis donc: «Esprits que remplit l’assurance

de trouver tôt ou tard la paix des bienheureux,

mes membres ne sont pas restés là-bas, sur terre,

tendres ni mûrs: ils font avec moi compagnie,

ainsi que tout mon sang et toutes mes jointures.

Je vais ainsi là-haut, pour ne plus être aveugle;

je dois aux oraisons d’une dame du Ciel

de promener chez vous ma dépouille mortelle.

Et puisse être comblé votre plus grand désir

bien vite, et que le Ciel vous reçoive à demeure,

lui, si riche en amour et qui n’a pas de bornes!

Dites-moi cependant, car je voudrais l’écrire,

qui vous êtes vous-mêmes, et quelle est cette foule

qui s’éloigne de vous en vous tournant le dos.»

Pareil au montagnard qui se trouble, ahuri,

et regarde partout, lorsqu’il descend en ville

de son hameau sauvage, et ne peut dire un mot,

tel me parut alors l’aspect de ces esprits;

mais, ayant quelque peu secoué leur stupeur,

qui ne dure jamais dans les âmes bien nées,

celui qui tout d’abord m’avait parlé me dit:

«Que tu peux être heureux, toi qui dans nos provinces

t’en viens pour tout savoir de l’art de bien mourir!

La foule qui s’éloigne a commis autrefois

le péché pour lequel César, dans son triomphe,

s’entendait appeler reine par ses soldats [290].

C’est ce qui fait qu’au cri de: «Sodome!» ils s’en vont,

se réprouvant tout seuls, comme tu vis tantôt,

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