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et l’aveu de leur honte augmente leurs brûlures.

Et quant à nos péchés, ils sont hermaphrodites [291];

nous n’avons pas gardé la loi d’humanité,

suivant notre appétit comme des animaux;

et nous disons tout haut, pour accroître l’opprobre,

quand nous partons d’ici, le nom de cette femme

qui devint animal sous l’airain de la bête.

Ainsi, tu sais de quoi nous sommes tous coupables;

et si tu veux savoir par nos noms qui nous fûmes,

je n’en ai pas le temps et ne saurais les dire.

Je te réponds, du moins, pour ce qui me concerne:,

Guido Guinizelli fut mon nom [292]; le regret

que j’eus de ma conduite, avant ma mort, me sauve.»

Comme, lors de ce deuil dont fut frappé Lycurgue,

accouraient les deux fils pour rejoindre leur mère [293],

j’aurais voulu courir, mais sans pouvoir le faire,

quand j’entendis ainsi dire son propre nom

mon père et de tous ceux qui, bien mieux que moi-même,

ont composé de doux et jolis vers d’amour.

Pendant de longs instants je poursuivis la marche,

et je le regardais sans parler ni l’entendre;

mais le feu m’empêchait de m’avancer vers lui.

Et lorsque de le voir je fus rassasié,

je finis par lui faire offre de mes services,

en choisissant les mots qui font que l’on vous croit.

Il répondit alors: «Ce que tu viens de dire

s’imprime en moi si fort et si visiblement,

que Léthé ne le peut supprimer ou ternir.

Si tout est aussi vrai que le dit ton serment,

dis, pour quelle raison m’aimes-tu donc autant

que le montre ton dire, ainsi que ton regard?»

Et moi, je répondis: «Ce sont tes vers si doux

que, tant que durera l’usage d’aujourd’hui,

l’encre qui les écrit en deviendra sans prix.»

«Frère, dit-il alors, celui que je te montre

du doigt (me désignant un esprit devant lui)

du parler maternel fut bien meilleur orfèvre.

Soit qu’il chante l’amour ou conte des romans,

il les dépasse tous: et laisse dire aux sots

qui prétendent donner la palme au Limousin [294].

Ils restent bouche bée au bruit plutôt qu’au fond,

et de cette façon fondent leur jugement

sans vouloir écouter la règle ou la raison.

C’est ce qu’ont fait beaucoup d’anciens, avec Guitton [295],

dont le renom croissait, passant de bouche en bouche;

pourtant, la vérité finit par l’emporter.

Mais puisque tu détiens un pareil privilège

qui te permet ainsi d’arriver jusqu’au cloître

du couvent dont le Christ est lui-même l’abbé.

devant lui pense dire un Pater pour moi-même,

jusqu’à l’endroit qui sert pour le monde d’ici,

qui ne possède plus le pouvoir de pécher.» [296]

Puis, désirant peut-être à ceux qui le suivaient

laisser la place libre, il plongea dans le feu,

comme un poisson dans l’eau pique et descend au fond.

Je vins près de l’esprit qu’il m’avait désigné [297]

et lui dis qu’à son nom je préparais déjà,

du moins dans mes souhaits, un séjour plus heureux.

Alors il commença courtoisement à dire:

«Tan m’abellis vostre cortes deman

qu’ieu no me puesc ni voill a vos cobrir.

Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan;

consiros vei la pasada folor

e vei jausen lo joi qu’esper, denan.

Ara vos prec, per aqueîa valor

que vos guida aï sont de Vescalina,

sovenha vos a temps de ma dolor!»

Et il s’en fut plonger au feu qui purifie.

CHANT XXVII

À l’heure où le soleil darde ses premiers rais

à l’endroit où coula le sang de son auteur,

où l’Èbre se retrouve en bas de la Balance,

et du Gange les flots s’échauffent sous la none;

bref, la lumière était en train de décliner [299],

lorsque l’ange de Dieu apparut dans sa joie [300].

Il se tenait au bord du feu, sur la montée,

en chantant Beati mundo corde, et sa voix

vibrait plus puissamment que la voix des humains.

«On ne dépasse pas cet endroit, âmes saintes,

sans que le feu vous morde; entrez donc dans les flammes

et ne restez pas sourds au chant qui vient de là!»

dit-il lorsqu’il nous vit arriver près de lui;

et quand je l’entendis, je devins tout pareil

à celui que l’on fait descendre dans la fosse.

Je tendis vers le haut mes deux mains suppliantes

et je croyais revoir, à regarder ces flammes,

des corps qu’auparavant j’ai déjà vus brûler.

Mes deux guides alors se tournèrent vers moi

et Virgile me dit aussitôt: «Cher enfant,

c’est peut-être un tourment, mais ce n’est pas la mort!

Souviens-toi, souviens-toi! Si j’ai su te conduire

à bon port, sur le dos de Géryon lui-même,

que crains-tu, maintenant qu’on est plus près de Dieu?

Sois donc persuadé qu’au milieu de ces flammes,

quand même tu devrais rester plus de mille ans,

tu ne saurais laisser un seul de tes cheveux.

Si tu penses jamais que je veux te tromper,

viens plus près de la flamme et convaincs-toi toi-même,

exposant de tes mains le pan de ton habit.

Éloigne, éloigne donc de ton cœur cette crainte!

Tourne-toi par ici, lance-toi hardiment!»

Mais je restais figé, bien qu’avec du remords.

Me voyant rester ferme et si dur à plier,

il dit, un peu troublé: «Penses-y bien, mon fils:

pour trouver Béatrice, il faut franchir ce mur!»

Comme jadis Pyrame, au seul nom de Thisbé,

ouvrit un œil mourant et voulut la revoir,

le jour où le mûrier se teignit de son sang,

ainsi, ma résistance aussitôt amollie,

je regardais mon guide, en entendant le nom

dont la musique chante encor dans ma mémoire.

Alors, hochant la tête, il reprit: «Comment donc?

Préférons-nous rester sur place?» Et il sourit,

comme on fait à l’enfant qu’on gagne avec un fruit.

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