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– Mais, mon Dieu, pour ça il faudrait voler, et ça ferait tant de peine à notre frère Martial!

– Eh bien! tant pis!

– Oh! François… et puis si on nous prenait, nous irions en prison.

– Être en prison ou être enfermé dans un atelier toute la journée… c’est la même chose… D’ailleurs le gros boiteux dit qu’on s’amuse… en prison.

– Mais le chagrin que nous ferions à Martial… tu n’y penses donc pas? Enfin c’est pour nous qu’il est revenu ici et qu’il y reste; pour lui tout seul, il ne serait pas gêné, il retournerait être braconnier dans les bois qu’il aime tant.

– Eh bien! qu’il nous emmène avec lui dans les bois, dit François, ça vaudrait mieux que tout. Je serais avec lui que j’aime bien, et je ne travaillerais pas à des métiers qui m’ennuient.

La conversation de François et d’Amandine fut interrompue. Du dehors on ferma la porte à double tour.

– On nous enferme! s’écria François.

– Ah! mon Dieu… et pourquoi donc, mon frère? Qu’est-ce qu’on va nous faire?

– C’est peut-être Martial.

– Écoute… écoute… comme son chien aboie!… dit Amandine en prêtant l’oreille.

Au bout de quelques instants François ajouta:

– On dirait qu’on frappe à sa porte avec un marteau… on veut l’enfoncer peut-être!

– Oui, oui, son chien aboie toujours…

– Écoute, François! maintenant c’est comme si on clouait quelque chose… Mon Dieu! mon Dieu! j’ai peur… Qu’est-ce donc qu’on fait à notre frère? Voilà son chien qui hurle maintenant.

– Amandine… on n’entend plus rien…, reprit François en s’approchant de la porte.

Les deux enfants, suspendant leur respiration, écoutaient avec anxiété.

– Voilà qu’ils reviennent de chez mon frère, dit François à voix basse; j’entends marcher dans le corridor.

– Jetons-nous sur nos lits; ma mère nous tuerait si elle nous trouvait levés, dit Amandine avec terreur.

– Non…, reprit François en écoutant toujours, ils viennent de passer devant notre porte… ils descendent l’escalier en courant…

– Mon Dieu! mon Dieu! Qu’est-ce que c’est donc?…

– Ah! on ouvre la porte de la cuisine… maintenant…

– Tu crois?

– Oui, oui… j’ai reconnu son bruit…

– Le chien de Martial hurle toujours…, dit Amandine en écoutant…

Tout à coup, elle s’écria:

– François! Mon frère nous appelle…

– Martial?

– Oui… entends-tu? Entends-tu?…

En effet, malgré l’épaisseur des deux portes fermées, la voix retentissante de Martial, qui de sa chambre appelait les deux enfants, arriva jusqu’à eux.

– Mon Dieu, nous ne pouvons aller à lui… nous sommes enfermés, dit Amandine; on veut lui faire du mal, puisqu’il nous appelle…

– Oh! pour ça… si je pouvais les en empêcher, s’écria résolument François, je les empêcherais, quand on devrait me couper en morceaux!…

– Mais notre frère ne sait pas qu’on a donné un tour de clef à notre porte; il va croire que nous ne voulons pas aller à son secours; crie-lui donc que nous sommes enfermés, François!

Ce dernier allait suivre le conseil de sa sœur, lorsqu’un coup violent ébranla au-dehors la persienne de la petite fenêtre du cabinet des deux enfants.

– Ils viennent par la croisée pour nous tuer! s’écria Amandine; et, dans son épouvante, elle se précipita sur son lit et cacha sa tête dans ses mains.

François resta immobile, quoiqu’il partageât la terreur de sa sœur.

Pourtant, après le choc violent dont on a parlé, la persienne ne s’ouvrit pas; le plus profond silence régna dans la maison.

Martial avait cessé d’appeler les enfants.

Un peu rassuré, et excité par une vive curiosité, François se hasarda d’entrebâiller doucement sa croisée et tâcha de regarder au-dehors à travers les feuilles de la persienne.

– Prends bien garde, mon frère! dit tout bas Amandine, qui, entendant François ouvrir la fenêtre, s’était mise sur son séant. Est-ce que tu vois quelque chose? ajouta-t-elle.

– Non… la nuit est trop noire.

– Tu n’entends rien?

– Non, il fait trop grand vent.

– Reviens… reviens alors!

– Ah! maintenant je vois quelque chose.

– Quoi donc?

– La lueur d’une lanterne… elle va et elle vient.

– Qui est-ce qui la porte?

– Je ne vois que la lueur… Ah! elle se rapproche… on parle.

– Qui ça?

– Écoute… écoute… c’est Calebasse.

– Que dit-elle?

– Elle dit de bien tenir le pied de l’échelle.

– Ah! vois-tu, c’est en prenant la grande échelle qui était appuyée contre notre persienne qu’ils auront fait le bruit de tout à l’heure.

– Je n’entends plus rien.

– Et qu’est-ce qu’ils en font, de l’échelle, maintenant?

– Je ne peux plus voir…

– Tu n’entends plus rien?

– Non…

– Mon Dieu, François, c’est peut-être pour monter chez notre frère Martial par la fenêtre… qu’ils ont pris l’échelle!

– Ça se peut bien.

– Si tu ouvrais un tout petit peu la jalousie pour voir…

– Je n’ose pas.

– Rien qu’un peu.

– Oh! non, non. Si ma mère s’en apercevait!

– Il fait si noir, il n’y a pas de danger.

François se rendit, quoique à regret, au désir de sa sœur, entrebâilla la persienne et regarda.

– Eh bien! mon frère? dit Amandine en surmontant ses craintes et s’approchant de François sur la pointe du pied.

– À la clarté de la lanterne, dit celui-ci, je vois Calebasse qui tient le pied de l’échelle… ils l’ont appuyée à la fenêtre de Martial.

– Et puis?

– Nicolas monte à l’échelle, il a sa hachette à la main, je la vois reluire…

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