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– Où sont donc les enfants?

Tels furent les premiers mots de Martial lorsqu’il s’assit à table.

– Ils sont où ils sont, répondit aigrement Calebasse.

– Où sont les enfants, ma mère? reprit Martial sans s’inquiéter de la réponse de sa sœur.

– Ils sont couchés, reprit sèchement la veuve.

– Est-ce qu’ils n’ont pas soupé, ma mère?

– Qu’est-ce que ça te fait, à toi? s’écria brutalement Nicolas, après avoir bu un grand verre de vin pour augmenter son audace; car le caractère et la force de son frère lui imposaient beaucoup.

Martial, aussi indifférent aux attaques de Nicolas qu’à celles de Calebasse, dit de nouveau à sa mère:

– Je suis fâché que les enfants soient déjà couchés.

– Tant pis…, répondit la veuve.

– Oui, tant pis!… car j’aime à les avoir à côté de moi quand je soupe.

– Et nous, comme ils nous embêtent, nous les avons renvoyés, s’écria Nicolas. Si ça ne te plaît pas, va-t’en les retrouver!

Martial, surpris, regarda fixement son frère.

Puis, comme s’il eût réfléchi à la vanité d’une querelle, il haussa les épaules, coupa un morceau de pain et se servit une tranche de viande.

Le basset s’était approché de Nicolas, quoiqu’à distance très-respectueuse; le bandit, irrité de la dédaigneuse insouciance de son frère, et espérant lui faire perdre patience en frappant son chien, donna un furieux coup de pied à Miraut, qui poussa des cris lamentables.

Martial devint pourpre, serra dans ses mains contractées le couteau qu’il tenait et frappa violemment sur la table; mais, se contenant encore, il appela son chien et lui dit doucement:

– Ici, Miraut.

Le basset vint se coucher aux pieds de son maître.

Cette modération contrariait les projets de Nicolas; il voulait pousser son frère à bout pour amener un éclat.

Il ajouta donc:

– Je n’aime pas les chiens, moi… je ne veux pas que ton chien reste ici.

Pour toute réponse, Martial se versa un verre de vin et but lentement.

Échangeant un coup d’œil rapide avec Nicolas, la veuve l’encouragea d’un signe à continuer ses hostilités contre Martial, espérant, nous l’avons dit, qu’une violente querelle amènerait une rupture et une séparation complète.

Nicolas alla prendre la baguette de saule dont s’était servie la veuve pour battre François, et, s’avançant vers le basset, il le frappa rudement en disant:

– Hors d’ici, hé, Miraut!

Jusqu’alors Nicolas s’était souvent montré sournoisement agressif envers Martial; mais jamais il n’avait osé le provoquer avec tant d’audace et de persistance.

L’amant de la Louve, pensant qu’on voulait le pousser à bout, dans quelque but caché, redoubla de modération.

Au cri de son chien battu par Nicolas, Martial se leva, ouvrit la porte de la cuisine, mit le basset dehors et revint continuer son souper.

Cette incroyable patience, si peu en harmonie avec le caractère ordinairement emporté de Martial, confondit ses agresseurs… Ils se regardèrent profondément surpris.

Lui, paraissant complètement étranger à ce qui se passait, mangeait glorieusement et gardait un profond silence.

– Calebasse, ôte le vin, dit la veuve à sa fille.

Celle-ci se hâtait d’obéir, lorsque Martial dit:

– Attends… je n’ai pas fini de souper…

– Tant pis! dit la veuve en enlevant elle-même la bouteille.

– Ah!… c’est différent!… reprit l’amant de la Louve.

Et, se versant un grand verre d’eau, il le but, fit claquer sa langue contre son palais et dit:

– Voilà de fameuse eau!

Cet imperturbable sang-froid irritait la colère haineuse de Nicolas, déjà très-exalté par de nombreuses libations; néanmoins il reculait encore devant une attaque directe, connaissant la force peu commune de son frère; tout à coup il s’écria, ravi de son inspiration:

– Tu as bien fait de céder pour ton basset, Martial; c’est une bonne habitude à prendre; car il faut t’attendre à nous voir chasser ta maîtresse à coups de pied, comme nous avons chassé ton chien.

– Oh! oui… car si la Louve avait le malheur de venir dans l’île, en sortant de prison, dit Calebasse, qui comprit l’intention de Nicolas, c’est moi qui la souffletterais drôlement!

– Et moi je lui ferais faire un plongeon dans la vase, près la baraque du bout de l’île, ajouta Nicolas. Et si elle en ressortait, je la renfoncerais dedans à coups de soulier… la carne…

Cette insulte adressée à la Louve, qu’il aimait avec une passion sauvage, triompha des pacifiques résolutions de Martial; il fronça ses sourcils, le sang lui monta au visage, les veines de son front se gonflèrent et se tendirent comme des cordes; néanmoins il eut assez d’empire pour dire à Nicolas d’une voix légèrement altérée par une colère contenue:

– Prends garde à toi… tu cherches une querelle, et tu trouveras une tournée que tu ne cherches pas.

– Une tournée… à moi?

– Oui… meilleure que la dernière.

– Comment, Nicolas! dit Calebasse avec un étonnement sardonique, Martial t’a battu… Dites donc, ma mère, entendez-vous?… Ça ne m’étonne plus, que Nicolas ait si peur de lui.

– Il m’a battu… parce qu’il m’a pris en traître, s’écria Nicolas devenant blême de fureur.

– Tu mens; tu m’avais attaqué en sournois, je t’ai crossé et j’ai eu pitié de toi; mais si tu t’avises encore de parler de ma maîtresse… entends-tu bien, de ma maîtresse… cette fois-ci pas de grâce… tu porteras longtemps mes marques.

– Et si j’en veux parler, moi, de la Louve, dit Calebasse…

– Je te donnerai une paire de calottes pour t’avertir, et si tu recommences… je recommencerai à t’avertir.

– Et si j’en parle, moi? dit lentement la veuve.

– Vous?

– Oui… moi.

– Vous? dit Martial en faisant un violent effort sur lui-même, vous?

– Tu me battras aussi? N’est-ce pas?

– Non, mais si vous me parlez de la Louve, je rosserai Nicolas; maintenant, allez… ça vous regarde… et lui aussi…

– Toi, s’écria le bandit furieux en levant son dangereux couteau catalan, tu me rosseras!!!

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