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Et les grands yeux de Rigolette se voilèrent de larmes.

– Courage! courage! Votre gaieté reviendra quand votre ami sera acquitté.

– Oh! il faudra bien qu’il soit acquitté. Il n’y aura qu’à lire aux juges la lettre qu’il m’a écrite: ça suffira, n’est-ce pas, monsieur Rodolphe?

– En effet, cette lettre simple et touchante a tout le caractère de la vérité; il faudra même que vous m’en laissiez prendre copie, cela sera nécessaire à la défense de Germain.

– Certainement, monsieur Rodolphe. Si je n’écrivais pas comme un vrai chat, malgré les leçons qu’il m’a données, ce bon Germain, je vous proposerais de vous la copier; mais mon écriture est si grosse, si de travers, et puis il y a tant, tant de fautes…

– Je vous demanderai de me confier seulement la lettre jusqu’à demain.

– La voilà, mon voisin, mais vous y ferez bien attention, n’est-ce pas? J’ai brûlé tous les billets doux que Cabrion et M. Giraudeau m’écrivaient dans les commencements de notre connaissance, avec des cœurs enflammés et des colombes sur le haut du papier, quand ils croyaient que je me laisserais prendre à leurs cajoleries; mais cette pauvre lettre de Germain je la garderai soigneusement et les autres aussi, s’il m’en écrit. Car enfin, n’est-ce pas, monsieur Rodolphe, ça prouve en ma faveur qu’il me demande ces petits services?

– Sans doute, cela prouve que vous êtes la meilleure petite amie qu’on puisse désirer. Mais j’y songe, au lieu d’aller tout à l’heure seule chez M. Germain, voulez-vous que je vous accompagne?

– Avec plaisir, mon voisin. La nuit vient, et le soir j’aime autant ne pas être toute seule dans les rues; sans compter qu’il faut que je porte de l’ouvrage près le Palais-Royal. Mais d’aller si loin, ça va vous fatiguer et vous ennuyer peut-être?

– Pas du tout… nous prendrons un fiacre.

– Vraiment! Oh! comme ça m’amuserait d’aller en voiture si je n’avais pas de chagrin! Et il faut que j’en aie, du chagrin, car voilà la première fois depuis que je suis ici que je n’ai pas chanté de la journée. Mes oiseaux en sont tout interdits. Pauvres petites bêtes! ils ne savent pas ce que cela signifie; deux ou trois fois papa Crétu a chanté un peu pour m’agacer; j’ai voulu lui répondre; ah bien! oui… au bout d’une minute je me suis mise à pleurer. Ramonette a recommencé, mais je n’ai pas pu lui répondre davantage.

– Quels singuliers noms vous avez donnés à vos oiseaux, papa Crétu et Ramonette!

– Dame, monsieur Rodolphe, mes oiseaux font la joie de ma solitude, ce sont mes meilleurs amis; je leur ai donné le nom des braves gens qui ont fait la joie de mon enfance et qui ont été aussi mes meilleurs amis; sans compter, pour achever la ressemblance, que papa Crétu et Ramonette étaient gais et chantaient comme les oiseaux du bon Dieu.

– Ah! maintenant, en effet, je me souviens, vos parents adoptifs s’appelaient ainsi.

– Oui, mon voisin; ces noms sont ridicules pour des oiseaux, je le sais, mais ça ne regarde que moi. Tenez, c’est encore à ce sujet-là que j’ai vu que Germain avait bien bon cœur.

– Comment donc?

– Certainement: M. Giraudeau et M. Cabrion…, M. Cabrion surtout, étaient toujours à faire des plaisanteries sur les noms de mes oiseaux; appeler un serin papa Crétu, voyez donc! M. Cabrion n’en revenait pas, et il partait de là pour faire des gorges chaudes à n’en plus finir. «Si c’était un coq, disait-il à la bonne heure, vous pourriez l’appeler Crétu. C’est comme le nom de la serine, Ramonette; ça ressemble à Ramona.» Enfin il m’a si fort impatientée que j’ai été deux dimanches sans vouloir sortir avec lui pour lui apprendre, et je lui ai dit très-sérieusement que s’il recommençait ses moqueries, qui me faisaient de la peine, nous n’irions plus jamais ensemble.

– Quelle courageuse résolution!

– Ça m’a coûté, allez, monsieur Rodolphe, moi qui attendais mes sorties du dimanche comme le Messie: j’avais le cœur bien gros de rester toute seule par un temps superbe; mais, c’est égal, j’aimais encore mieux sacrifier mon dimanche que de continuer à entendre M. Cabrion se moquer de ce que je respectais. Après ça, certainement que, sans l’idée que j’y attachais, j’aurais préféré donner d’autres noms à mes oiseaux. Tenez, il y a surtout un nom que j’aurais aimé à l’adoration. Colibri… Eh bien! je m’en suis privée, parce que jamais je n’appellerai les oiseaux que j’aurai autrement que Crétu et Ramonette; sinon il me semblerait que je sacrifie, que j’oublie mes bons parents adoptifs, n’est-ce pas, monsieur Rodolphe?

– Vous avez raison, mille fois raison. Et Germain ne se moquait pas de ces noms, lui?

– Au contraire; seulement la première fois ils lui ont semblé drôles, ainsi qu’à tout le monde: c’était tout simple; mais, quand je lui ai expliqué mes raisons, comme je les avais pourtant expliquées à M. Cabrion, les larmes lui en sont venues aux yeux. De ce jour-là je me suis dit: «M. Germain est un bien bon cœur; il n’a contre lui que sa tristesse.» Et voyez-vous, monsieur Rodolphe, ça m’a porté malheur de lui reprocher sa tristesse. Alors je ne comprenais pas qu’on pût être triste, maintenant je ne le comprends que trop. Mais voilà mon paquet fini, mon ouvrage prêt à emporter. Voulez-vous me donner mon châle, mon voisin? Il ne fait pas assez froid pour prendre un manteau, n’est-ce pas?

– Nous allons en voiture et je vous ramènerai.

– C’est vrai, nous irons et nous reviendrons plus vite; ce sera toujours ça de temps gagné.

– Mais, j’y songe, comment allez-vous faire? Votre travail va souffrir de vos visites aux prisons?

– Oh! que non, que non, j’ai fait mon compte. D’abord j’ai mes dimanches à moi; j’irai voir Louise et Germain ces jours-là, ça me servira de promenade et de distraction; ensuite, dans la semaine, je retournerai à la prison une ou deux autres fois; chacune me prendra trois bonnes heures, n’est-ce pas? Eh bien! pour me trouver à mon aise, je travaillerai une heure de plus par jour, je me coucherai à minuit au lieu de me coucher à onze heures; ça me fera un gain tout clair de sept ou huit heures par semaine, que je pourrai dépenser pour aller voir Louise et Germain. Vous voyez, je suis plus riche que je n’en ai l’air, ajouta Rigolette en souriant.

– Et vous ne craignez pas que cela vous fatigue?

– Bah! je m’y ferai, on se fait à tout. Et puis ça ne durera pas toujours.

– Voilà votre châle, ma voisine. Je ne serai pas aussi indiscret qu’hier, je n’approcherai pas trop mes lèvres de ce cou charmant.

– Ah! mon voisin, hier, c’était hier, on pouvait rire; mais aujourd’hui c’est différent. Prenez garde de me piquer.

– Allons, l’épingle est tordue.

– Eh bien! prenez-en une autre, là, sur la pelote. Ah! j’oubliais, voulez-vous être bien gentil, mon voisin?

– Ordonnez, ma voisine.

– Taillez-moi une bonne plume, bien grosse, pour que je puisse, en rentrant, écrire à ce pauvre Germain que ses commissions sont faites. Il aura ma lettre demain de bonne heure à la prison, ça lui fera un bon réveil.

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