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– Connu!… Si je n’avais pas à quinze ans épousé Alfred, j’en aurais peut-être commis des cinquantaines… des centaines de fautes! Moi, telle que vous ne voyez… j’étais un vrai salpêtre déchaîné, nom d’un petit bonhomme! Heureusement, Pipelet m’a éteinte dans sa vertu… sans ça… j’aurais fait des folies pour les hommes. C’est pour vous dire que si votre jeune fille n’en a commis qu’une de faute… il y a encore de l’espoir.

– Je le crois aussi. Cette jeune fille était servante, en Allemagne, chez une de mes parentes; le fils de cette parente a été le complice de la faute; vous comprenez?

– Alllllez donc!… je comprends… comme si je l’aurais faite, la faute.

– La mère a chassé la servante; mais le jeune homme a été assez fou pour quitter la maison paternelle et pour amener cette pauvre fille à Paris.

– Que voulez-vous?… Ces jeunes gens…

– Après le coup de tête sont venues les réflexions, réflexions d’autant plus sages que le peu d’argent qu’il possédait était mangé. Mon jeune parent s’est adressé à moi; j’ai consenti à lui donner de quoi retourner auprès de sa mère, mais à condition qu’il laisserait ici cette fille et que je tâcherais de la placer.

– Je n’aurais pas mieux fait pour mon fils… si Pipelet s’était plu à m’en accorder un…

– Je suis enchanté de votre approbation; seulement, comme la jeune fille n’a pas de répondants et qu’elle est étrangère, il est très-difficile de la placer… Si vous vouliez dire à Mme Séraphin qu’un de vos parents, établi en Allemagne, vous a adressé et recommandé cette jeune fille, le notaire la prendrait peut-être à son service; j’en serais doublement satisfait. Cecily, n’ayant été qu’égarée, se corrigerait certainement dans une maison aussi sévère que celle du notaire… C’est pour cette raison surtout que je tiendrais à la voir, cette jeune fille, entrer chez M. Jacques Ferrand. Je n’ai pas besoin de vous dire que présentée par vous… personne si respectable…

– Ah! monsieur Rodolphe…

– Si estimable…

– Ah! mon roi des locataires…

– Que cette jeune fille enfin, recommandée par vous, serait certainement acceptée par Mme Séraphin, tandis que présentée par moi…

– Connu!… C’est comme si je présentais un petit jeune homme! Eh bien! tope… ça me chausse… Allez donc!… Enfoncée la Séraphin! Tant mieux, j’ai une dent contre elle; je vous réponds de l’affaire, monsieur Rodolphe! Je lui ferai voir des étoiles en plein midi; je lui dirai que depuis je ne sais combien de temps j’ai une cousine établie en Allemagne, une Galimard; que je viens de recevoir la nouvelle qu’elle est défunte, comme son mari, et que leur fille, qui est orpheline, va me tomber sur le dos d’un jour à l’autre.

– Très-bien… Vous conduirez vous-même Cecily chez M. Ferrand, sans en parler davantage à Mme Séraphin. Comme il y a vingt ans que vous n’avez vu votre cousine, vous n’aurez rien à répondre, si ce n’est que depuis son départ pour l’Allemagne vous n’aviez eu d’elle aucune nouvelle.

– Ah çà! mais si la jeunesse ne baragouine que l’allemand?

– Elle parle parfaitement français. Je lui ferai sa leçon; ne vous occupez de rien, sinon de la recommander très-instamment à Mme Séraphin; ou plutôt, j’y songe, non… car elle soupçonnerait peut-être que vous voulez lui forcer la main… Vous le savez, souvent il suffit qu’on demande quelque chose pour qu’on vous refuse…

– À qui le dites-vous!… C’est pour ça que j’ai toujours rembarré les enjôleurs. S’ils ne m’avaient rien demandé… je ne dis pas…

– Cela arrive toujours ainsi… Ne faites donc aucune proposition à Mme Séraphin et voyez-la venir… Dites-lui seulement que Cecily est orpheline, étrangère, très-jeune, très-jolie, qu’elle va être pour vous une bien lourde charge, et que vous ne sentez pour elle qu’une très-médiocre affection, vu que vous étiez brouillée avec votre cousine, et que vous ne concevez rien au cadeau qu’elle vous fait là…

– Dieu de Dieu! que vous êtes malin!… Mais soyez tranquille, à nous deux nous faisons la paire. Dites donc, monsieur Rodolphe, comme nous nous entendons bien… nous deux!… Quand je pense que si vous aviez été de mon âge dans le temps où j’étais un vrai salpêtre… ma foi, je ne sais pas… et vous?

– Chut!… Si M. Pipelet…

– Ah bien! oui… Pauvre cher homme, il pense bien à la gaudriole! Vous ne savez pas… une nouvelle infamie de ce Cabrion?… Mais je vous dirai cela plus tard… Quant à votre jeune fille, soyez calme… je gage que j’amène la Séraphin à me demander de placer ma parente chez eux.

– Si vous y réussissez, ma chère madame Pipelet, il y a cent francs pour vous. Je ne suis pas riche, mais…

– Est-ce que vous vous moquez du monde, monsieur Rodolphe? Est-ce que vous croyez que je fais ça par intérêt? Dieu de Dieu!… C’est de la pure amitié… Cent francs!

– Mais jugez donc que si j’avais longtemps cette jeune fille à ma charge, cela me coûterait bien plus que cette somme… au bout de quelques mois…

– C’est donc pour vous rendre service que je prendrai les cent francs, monsieur Rodolphe; mais c’est un fameux quine à la loterie pour nous que vous soyez venu dans la maison. Je puis le crier sur les toits, vous êtes le roi des locataires… Tiens, un fiacre!… C’est sans doute la petite dame de M. Bradamanti… Elle est venue hier, je n’ai pas pu bien la voir… Je vas lanterner à lui répondre pour la bien dévisager; sans compter que j’ai inventé un moyen pour avoir son nom… Vous allez me voir travailler… ça vous amusera.

– Non, non, madame Pipelet, peu m’importent le nom et la figura de cette dame, dit Rodolphe en se reculant dans le fond de la loge.

– Madame! cria Anastasie en se précipitant au-devant de la personne qui entrait, où allez-vous, madame?

– Chez M. Bradamanti, dit la femme visiblement contrariée d’être ainsi arrêtée au passage.

– Il n’y est pas…

– C’est impossible, j’ai rendez-vous avec lui.

– Il n’y est pas…

– Vous vous trompez…

– Je ne me trompe pas du tout…, dit la portière en manœuvrant toujours habilement afin de distinguer les traits de cette femme, M. Bradamanti est sorti, bien sorti, très-sorti… c’est-à-dire excepté pour une dame…

– Eh bien! c’est moi… vous m’impatientez… laissez-moi passer.

– Votre nom, madame?… Je verrai bien si c’est le nom de la personne que M. Bradamanti m’a dit de laisser entrer. Si vous ne portez pas ce nom-là… il faudra que vous me passiez sur le corps pour monter…

– Il vous a dit mon nom? s’écria la femme avec autant de surprise que d’inquiétude.

– Oui, madame…

– Quelle imprudence! murmura la jeune femme. Puis, après un moment d’hésitation, elle ajouta impatiemment à voix basse, et comme si elle eût craint d’être entendue: – Eh bien! je me nomme Mme d’Orbigny.

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