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On vit alors Aramis vêtir Porthos pièce par pièce avec autant de célérité qu'eût pu le faire le plus habile valet de chambre. Porthos, moitié confus, moitié étourdi, se laissait faire et se confondait en excuses.

Lorsqu'il fut prêt, Aramis le prit par la main et l'emmena, en lui faisant poser le pied avec précaution sur chaque marche de l'escalier, l'empêchant de se heurter aux embrasures des portes, le tournant et le retournant comme si lui, Aramis, eût été le géant et Porthos le nain. Cette âme incendiait et soulevait cette matière. Un cheval, en effet, attendait tout sellé dans la cour. Porthos se mit en selle.

Alors Aramis prit lui-même le cheval par la bride et le guida sur du fumier répandu dans la cour, dans l'intention évidente d'éteindre le bruit. Il lui pinçait en même temps les naseaux pour qu'il ne hennît pas…

– Puis, une fois arrivé à la porte extérieure, attirant à lui Porthos, qui allait partir sans même lui demander pourquoi:

– Maintenant, ami Porthos, maintenant, sans débrider jusqu'à Paris, dit-il à son oreille; mangez à cheval, buvez à cheval, dormez à cheval, mais ne perdez pas une minute.

– C'est dit; on ne s'arrêtera pas.

– Cette lettre à M. Fouquet, coûte que coûte; il faut qu'il l'ait demain avant midi.

– Il l'aura.

– Et pensez à une chose, cher ami.

– À laquelle?

– C'est que vous courez après votre brevet de duc et pair.

– Oh! oh! fit Porthos les yeux étincelants, j'irai en vingt-quatre heures en ce cas.

– Tâchez.

– Alors lâchez la bride, et en avant, Goliath!

Aramis lâcha effectivement, non pas la bride, mais les naseaux du cheval.

Porthos rendit la main, piqua des deux, et l'animal furieux partit au galop sur la terre.

Tant qu'il put voir Porthos dans la nuit, Aramis le suivit des yeux; puis, lorsqu'il l'eut perdu de vue, il rentra dans la cour. Rien n'avait bougé chez d'Artagnan.

Le valet mis en faction auprès de sa porte n'avait vu aucune lumière, n'avait entendu aucun bruit.

Aramis referma la porte avec soin, envoya le laquais se coucher, et lui même se mit au lit.

D'Artagnan ne se doutait réellement de rien; aussi crut-il avoir tout gagné, lorsque le matin il s'éveilla vers quatre heures et demie. Il courut tout en chemise regarder par la fenêtre: la fenêtre donnait sur la cour. Le jour se levait.

La cour était déserte, les poules elles-mêmes n'avaient pas encore quitté leurs perchoirs.

Pas un valet n'apparaissait.

Toutes les portes étaient fermées.

«Bon! calme parfait, se dit d'Artagnan. N'importe, me voici réveillé le premier de toute la maison. Habillons-nous; ce sera autant de fait.»

Et d'Artagnan s'habilla.

Mais cette fois il s'étudia à ne point donner au costume de M. Agnan cette rigidité bourgeoise et presque ecclésiastique qu'il affectait auparavant; il sut même, en se serrant davantage, en se boutonnant d'une certaine façon, en posant son feutre plus obliquement, rendre à sa personne un peu de cette tournure militaire dont l'absence avait effarouché Aramis. Cela fait, il en usa ou plutôt feignit d'en user sans façon avec son hôte, et entra tout à l'improviste dans son appartement. Aramis dormait ou feignait de dormir.

Un grand livre était ouvert sur son pupitre de nuit; la bougie brûlait encore au-dessus de son plateau d'argent.

C'était plus qu'il n'en fallait pour prouver à d'Artagnan l'innocence de la nuit du prélat et les bonnes intentions de son réveil.

Le mousquetaire fit précisément à l'évêque ce que l'évêque avait fait à Porthos.

Il lui frappa sur l'épaule.

Évidemment; Aramis feignait de dormir, car, au lieu de s'éveiller soudain, lui qui avait le sommeil si léger, il se fit réitérer l'avertissement.

– Ah! ah! c'est vous, dit-il en allongeant les bras. Quelle bonne surprise! Ma foi, le sommeil m'avait fait oublier que j'eusse le bonheur de vous posséder. Quelle heure est-il?

– Je ne sais, dit d'Artagnan un peu embarrassé. De bonne heure, je crois. Mais, vous le savez, cette diable d'habitude militaire de m'éveiller avec le jour me tient encore.

– Est-ce que vous voulez déjà que nous sortions, par hasard? demanda Aramis. Il est bien matin, ce me semble.

– Ce sera comme vous voudrez.

– Je croyais que nous étions convenus de ne monter à cheval qu'à huit heures.

– C'est possible; mais, moi, j'avais si grande envie de vous voir, que je me suis dit: «Le plus tôt sera le meilleur.»

– Et mes sept heures de sommeil? dit Aramis. Prenez garde, j'avais compté là-dessus, et ce qu'il m'en manquera, il faudra que je le rattrape.

– Mais il me semble qu'autrefois vous étiez moins dormeur que cela, cher ami; vous aviez le sang alerte et l'on ne vous trouvait jamais au lit.

– Et c'est justement à cause de ce que vous me dites là que j'aime fort à y demeurer maintenant.

– Aussi, avouez que ce n'était pas pour dormir que vous m'avez demandé jusqu'à huit heures.

– J'ai toujours peur que vous ne vous moquiez de moi si je vous dis la vérité.

– Dites toujours.

– Eh bien! de six à huit heures, j'ai l'habitude de faire mes dévotions.

– Vos dévotions?

– Oui.

– Je ne croyais pas qu'un évêque eût des exercices si sévères.

– Un évêque, cher ami, a plus à donner aux apparences qu'un simple clerc.

– Mordioux! Aramis, voici un mot qui me réconcilie avec Votre Grandeur. Aux apparences! c'est un mot de mousquetaire, celui-là, à la bonne heure! Vivent les apparences, Aramis!

– Au lieu de m'en féliciter, pardonnez-le-moi, d'Artagnan. C'est un mot bien mondain que j'ai laissé échapper là.

– Faut-il donc que je vous quitte?

– J'ai besoin de recueillement, cher ami.

– Bon. Je vous laisse; mais à cause de ce païen qu'on appelle d'Artagnan, abrégez-les, je vous prie; j'ai soif de votre parole.

– Eh bien! d'Artagnan, je vous promets que dans une heure et demie…

– Une heure et demie de dévotions? Ah! mon ami, passez-moi cela au plus juste. Faites-moi le meilleur marché possible.

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