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C'était Monsieur qui, suivi du chevalier de Lorraine et de ses favoris, suivis eux-mêmes d'une partie de la maison militaire du roi, venait saluer sa royale fiancée.

Dès Saint-Germain, la princesse et sa mère avaient changé le coche de voyage, un peu lourd, un peu fatigué par la route, contre un élégant et riche coupé traîné par six chevaux, harnachés de blanc et d'or. Dans cette sorte de calèche apparaissait, comme sur un trône sous le parasol de soie brodée à longues franges de plumes, la jeune et belle princesse, dont le visage radieux recevait les reflets rosés si doux à sa peau de nacre.

Monsieur, en arrivant près du carrosse, fut frappé de cet éclat; il témoigna son admiration en termes assez explicites pour que le chevalier de Lorraine haussât les épaules dans le groupe des courtisans, et pour que le comte de Guiche et Buckingham fussent frappés au cœur. Après les civilités faites et le cérémonial accompli, tout le cortège reprit plus lentement la route de Paris. Les présentations avaient eu lieu légèrement. M. de Buckingham avait été désigné à Monsieur avec les autres gentilshommes anglais. Monsieur n'avait donné à tous qu'une attention assez légère. Mais en chemin, comme il vit le duc s'empresser avec la même ardeur que d'habitude aux portières de la calèche:

– Quel est ce cavalier? demanda-t-il au chevalier de Lorraine, son inséparable.

– On l'a présenté tout à l'heure à Votre Altesse, répliqua le chevalier de Lorraine; c'est le beau duc de Buckingham.

– Ah! c'est vrai.

– Le chevalier de Madame, ajouta le favori avec un tour et un ton que les seuls envieux peuvent donner aux phrases les plus simples.

– Comment! que veux-tu dire? répliqua le prince toujours chevauchant.

– J'ai dit le chevalier.

– Madame a-t-elle donc un chevalier attitré?

– Dame! il me semble que vous le voyez comme moi; regardez-les seulement rire, et folâtrer, et faire du Cyrus tous les deux.

– Tous les trois.

– Comment, tous les trois?

– Sans doute; tu vois bien que de Guiche en est.

– Certes!… Oui, je le vois bien… Mais qu'est-ce que cela prouve?… Que Madame a deux chevaliers au lieu d'un.

– Tu envenimes tout, vipère.

– Je n'envenime rien. Ah! monseigneur, que vous avez l'esprit mal fait! Voilà qu'on fait les honneurs du royaume de France à votre femme et vous n'êtes pas content.

Le duc d'Orléans redoutait la verve satirique du chevalier, lorsqu'il la sentait montée à un certain degré de vigueur. Il coupa court.

– La princesse est jolie, dit-il négligemment comme s'il s'agissait d'une étrangère.

– Oui, répliqua sur le même ton le chevalier.

– Tu dis ce oui comme un non. Elle a des yeux noirs fort beaux, ce me semble.

– Petits.

– C'est vrai, mais brillants. Elle est d'une taille avantageuse.

– La taille est un peu gâtée, monseigneur.

– Je ne dis pas non. L'air est noble.

– Mais le visage est maigre.

– Les dents m'ont paru admirables.

– On les voit. La bouche est assez grande. Dieu merci! décidément, monseigneur, j'avais tort; vous êtes plus beau que votre femme.

– Et trouves-tu aussi que je sois plus beau que Buckingham? Dis.

– Oh! oui, et il le sent bien, allez; car, voyez-le, il redouble de soins près de Madame pour que vous ne l'effaciez pas.

Monsieur fit un mouvement d'impatience; mais, comme il vit un sourire de triomphe passer sur les lèvres du chevalier, il remit son cheval au pas.

– Au fait, dit-il, pourquoi m'occuperais-je plus longtemps de ma cousine? Est-ce que je ne la connais pas? est-ce que je n'ai pas été élevé avec elle? est-ce que je ne l'ai pas vue tout enfant au Louvre?

– Ah! pardon, mon prince, il y a un changement d'opéré en elle, fit le chevalier. À cette époque dont vous parlez, elle était un peu moins brillante, et surtout beaucoup moins fière; ce soir surtout, vous en souvient-il, monseigneur, où le roi ne voulait pas danser avec elle, parce qu'il la trouvait laide et mal vêtue?

Ces mots firent froncer le sourcil au duc d'Orléans. Il était, en effet, assez peu flatteur pour lui d'épouser une princesse dont le roi n'avait pas fait grand cas dans sa jeunesse.

Peut-être allait-il répondre, mais en ce moment de Guiche quittait le carrosse pour se rapprocher du prince. De loin, il avait vu le prince et le chevalier, et il semblait, l'oreille inquiète, chercher à deviner les paroles qui venaient d'être échangées entre Monsieur et son favori.

Ce dernier, soit perfidie, soit impudence, ne prit pas la peine de dissimuler.

– Comte, dit-il, vous êtes de bon goût.

– Merci du compliment, répondit de Guiche; mais à quel propos me dites vous cela?

– Dame! j'en appelle à Son Altesse.

– Sans doute, dit Monsieur, et Guiche sait bien que je pense qu'il est parfait cavalier.

– Ceci posé, je reprends, comte; vous êtes auprès de Madame depuis huit jours, n'est-ce pas?

– Sans doute, répondit de Guiche rougissant malgré lui.

– Et bien! dites-nous franchement ce que vous pensez de sa personne.

– De sa personne? reprit de Guiche stupéfait.

– Oui, de sa personne, de son esprit, d'elle, enfin…

Étourdi de cette question, de Guiche hésita à répondre.

– Allons donc! allons donc, de Guiche! reprit le chevalier en riant, dis ce que tu penses, sois franc: Monsieur l'ordonne.

– Oui, oui, sois franc, dit le prince.

De Guiche balbutia quelques mots inintelligibles.

– Je sais bien que c'est délicat, reprit Monsieur; mais, enfin, tu sais qu'on peut tout me dire, à moi. Comment la trouves-tu?

Pour cacher ce qui se passait en lui, de Guiche eut recours à la seule défense qui soit au pouvoir de l'homme surpris: il mentit.

– Je ne trouve Madame, dit-il, ni bien ni mal, mais cependant mieux que mal.

– Eh! cher comte, s'écria le chevalier, vous qui aviez fait tant d'extases et de cris à la vue de son portrait!

De Guiche rougit jusqu'aux oreilles. Heureusement son cheval un peu vif lui servit, par un écart, à dissimuler cette rougeur.

– Le portrait!… murmura-t-il en se rapprochant, quel portrait?

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