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– Sire, dit-elle, Votre Majesté, qui sait tout ce qui se passe en son royaume, doit savoir d’avance les vers contés à M. Loret par cette nymphe; Votre Majesté veut-elle bien nous en faire part?

– Madame, répliqua le roi avec une grâce parfaite, je n’ose… Il est certain que, pour vous personnellement, il y aurait de la confusion à écouter certains détails… Mais de Saint-Aignan conte assez bien et retient parfaitement les vers; s’il ne les retient pas, il en improvise. Je vous le certifie poète renforcé.

De Saint-Aignan, mis en scène, fut contraint de se produire le moins désavantageusement possible. Malheureusement pour Madame, il ne songea qu’à ses affaires particulières, c’est-à-dire qu’au lieu de rendre à Madame les compliments dont elle se faisait fête, il s’ingéra de se prélasser un peu lui-même dans sa bonne fortune.

Lançant donc un centième coup d’œil à la belle Athénaïs, qui pratiquait tout au long sa théorie de la veille, c’est-à-dire qui ne daignait pas regarder son adorateur:

– Sire, dit-il, Votre Majesté me pardonnera sans doute d’avoir trop peu retenu les vers dictés à Loret par la nymphe; mais où le roi n’a rien retenu, qu’eussé-je fait, moi chétif?

Madame accueillit avec peu de faveur cette défaite de courtisans.

– Ah! madame, ajouta de Saint-Aignan, c’est qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de ce que disent les nymphes d’eau douce. En vérité, on serait tenté de croire qu’il ne se fait plus rien d’intéressant dans les royaumes liquides. C’est sur terre, madame, que les grands événements arrivent. Ah! sur terre, madame, que de récits pleins de…

– Bon! fit Madame, et que se passe-t-il donc sur terre?

– C’est aux dryades qu’il faut le demander, répliqua le comte; les dryades habitent les bois, comme Votre Altesse Royale le sait.

– Je sais même qu’elles sont naturellement bavardes, monsieur de Saint Aignan.

– C’est vrai, madame; mais, quand elles ne rapportent que de jolies choses, on aurait mauvaise grâce à les accuser de bavardage.

– Elles rapportent donc de jolies choses? demanda nonchalamment la princesse. En vérité, monsieur de Saint-Aignan, vous piquez ma curiosité, et, si j’étais le roi, je vous sommerais sur-le-champ de nous raconter les jolies choses que disent Mmes les dryades, puisque vous seul ici semblez connaître leur langage.

– Oh! pour cela, madame, je suis bien aux ordres de Sa Majesté, répliqua vivement le comte.

– Il comprend le langage des dryades? dit Monsieur. Est-il heureux, ce Saint-Aignan!

– Comme le français, monseigneur.

– Contez alors, dit Madame.

Le roi se sentit embarrassé; nul doute que son confident ne l’allât embarquer dans une affaire difficile.

Il le sentait bien à l’attention universelle excitée par le préambule de Saint-Aignan, excitée aussi par l’attitude particulière de Madame. Les plus discrets semblaient prêts à dévorer chaque parole que le comte allait prononcer.

On toussa, on se rapprocha, on regarda du coin de l’œil certaines dames d’honneur qui elles-mêmes, pour soutenir plus décemment ou avec plus de fermeté ce regard inquisiteur si pesant, arrangèrent leurs éventails, et se composèrent un maintien de duelliste qui va essuyer le feu de son adversaire.

En ce temps, on avait tellement l’habitude des conversations ingénieuses et des récits épineux, que là où tout un salon moderne flairerait scandale, éclat, tragédie, et s’enfuirait d’effroi, le salon de Madame s’accommodait à ses places, afin de ne pas perdre un mot, un geste, de la comédie composée à son profit par M. de Saint-Aignan, et dont le dénouement, quels que fussent le style et l’intrigue, devait nécessairement être parfait de calme et d’observation.

Le comte était connu pour un homme poli et un parfait conteur. Il commença donc bravement au milieu d’un silence profond et partant redoutable pour tout autre que lui.

– Madame, le roi permet que je m’adresse d’abord à Votre Altesse Royale, puisqu’elle se proclame la plus curieuse de son cercle; j’aurai donc l’honneur de dire à Votre Altesse Royale que la dryade habite plus particulièrement le creux des chênes et, comme les dryades sont de belles créatures mythologiques, elles habitent de très beaux arbres, c’est-à-dire les plus gros qu’elles puissent trouver.

À cet exorde, qui rappelait sous un voile transparent la fameuse histoire du chêne royal, qui avait joué un si grand rôle dans la dernière soirée, tant de cœurs battirent de joie ou d’inquiétude, que, si de Saint-Aignan n’eût pas eu la voix bonne et sonore, ce battement des cœurs eût été entendu par-dessus sa voix.

– Il doit y avoir des dryades à Fontainebleau, dit Madame d’un ton parfaitement calme, car jamais de ma vie je n’ai vu de plus beaux chênes que dans le parc royal.

Et, en disant ces mots, elle envoya droit à l’adresse de de Guiche un regard dont celui-ci n’eut pas à se plaindre comme du précédent, qui, nous l’avons dit, avait conservé certaine nuance de vague bien pénible pour un cœur aussi aimant.

– Précisément, madame, c’est de Fontainebleau que j’allais parler à Votre Altesse Royale, dit de Saint-Aignan, car la dryade dont le récit nous occupe habite le parc du château de Sa Majesté.

L’affaire était engagée; l’action commençait: auditeurs et narrateur, personne ne pouvait plus reculer.

– Écoutons, dit Madame, car l’histoire m’a l’air d’avoir non seulement tout le charme d’un récit national, mais encore celui d’une chronique très contemporaine.

– Je dois commencer par le commencement, dit le comte. Donc, à Fontainebleau, dans une chaumière de belle apparence, habitent des bergers.

«L’un est le berger Tircis, auquel appartiennent les plus riches domaines, transmis par l’héritage de ses parents.

Tircis est jeune et beau, et ses qualités en font le premier des bergers de la contrée. On peut donc dire hardiment qu’il en est le roi.»

Un léger murmure d’approbation encouragea le narrateur, qui continua:

– Sa force égale son courage; nul n’a plus d’adresse à la chasse des bêtes sauvages, nul n’a plus de sagesse dans les conseils. Manœuvre-t-il un cheval dans les belles plaines de son héritage, conduit-il aux jeux d’adresse et de vigueur les bergers qui lui obéissent, on dirait le dieu Mars agitant sa lance dans les plaines de la Thrace, ou mieux encore Apollon, dieu du jour, lorsqu’il rayonne sur la terre avec ses dards enflammés.

Chacun comprend que ce portrait allégorique du roi n’était pas le pire exorde que le conteur eût pu choisir. Aussi ne manqua-t-il son effet ni sur les assistants, qui, par devoir et par plaisir, y applaudirent à tout rompre; ni sur le roi lui-même, à qui la louange plaisait fort lorsqu’elle était délicate, et ne déplaisait pas toujours lors même qu’elle était un peu outrée. De Saint Aignan poursuivit:

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