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Et de Guiche marcha rapidement au-devant du jeune homme.

– C’est vous, mon cher Raoul? dit de Guiche.

– Oui, je vous cherchais pour vous faire mes adieux, cher ami! répliqua Raoul en serrant la main du comte. Bonjour, monsieur Manicamp.

– Comment! tu pars, vicomte?

– Oui, je pars… Mission du roi.

– Où vas-tu?

– Je vais à Londres. De ce pas, je vais chez Madame; elle doit me remettre une lettre pour Sa Majesté le roi Charles II.

– Tu la trouveras seule, car Monsieur est sorti.

– Pour aller?…

– Pour aller au bain.

– Alors, cher ami, toi qui es des gentilshommes de Monsieur, charge-toi de lui faire mes excuses. Je l’eusse attendu pour prendre ses ordres, si le désir de mon prompt départ ne m’avait été manifesté par M. Fouquet, et de la part de Sa Majesté.

Manicamp poussa de Guiche du coude.

– Voilà le prétexte, dit-il.

– Lequel?

– Les excuses de M. de Bragelonne.

– Faible prétexte, dit de Guiche.

– Excellent, si Monsieur ne vous en veut pas; méchant comme tout autre, si Monsieur vous en veut.

– Vous avez raison, Manicamp; un prétexte, quel qu’il soit, c’est tout ce qu’il me faut. Ainsi donc, bon voyage, cher Raoul!

Et là-dessus les deux amis s’embrassèrent.

Cinq minutes après, Raoul entrait chez Madame, comme l’y avait invité Mlle de Montalais.

Madame était encore à la table où elle avait écrit sa lettre. Devant elle brûlait la bougie de cire rose qui lui avait servi à la cacheter. Seulement, dans sa préoccupation, car Madame paraissait fort préoccupée, elle avait oublié de souffler cette bougie.

Bragelonne était attendu: on l’annonça aussitôt qu’il parut.

Bragelonne était l’élégance même: il était impossible de le voir une fois sans se le rappeler toujours; et non seulement Madame l’avait vu une fois, mais encore, on se le rappelle, c’était un des premiers qui eussent été au devant d’elle, et il l’avait accompagnée du Havre à Paris.

Madame avait donc conservé un excellent souvenir de Bragelonne.

– Ah! lui dit-elle, vous voilà, monsieur; vous allez voir mon frère, qui sera heureux de payer au fils une portion de la dette de reconnaissance qu’il a contractée avec le père.

– Le comte de La Fère, madame, a été largement récompensé du peu qu’il a eu le bonheur de faire pour le roi par les bontés que le roi a eues pour lui, et c’est moi qui vais lui porter l’assurance du respect, du dévouement et de la reconnaissance du père et du fils.

– Connaissez-vous mon frère, monsieur le vicomte?

– Non, Votre Altesse; c’est la première fois que j’aurai le bonheur de voir Sa Majesté.

– Vous n’avez pas besoin d’être recommandé près de lui. Mais enfin, si vous doutez de votre valeur personnelle, prenez-moi hardiment pour votre répondant, je ne vous démentirai point.

– Oh! Votre Altesse est trop bonne.

– Non, monsieur de Bragelonne. Je me souviens que nous avons fait route ensemble, et que j’ai remarqué votre grande sagesse au milieu des suprêmes folies que faisaient, à votre droite et à votre gauche, deux des plus grands fous de ce monde, MM. de Guiche et de Buckingham. Mais ne parlons pas d’eux; parlons de vous. Allez-vous en Angleterre pour y chercher un établissement? Excusez ma question: ce n’est point la curiosité, c’est le désir de vous être bonne à quelque chose qui me la dicte.

– Non, madame; je vais en Angleterre pour remplir une mission qu’a bien voulu me confier Sa Majesté, voilà tout.

– Et vous comptez revenir en France?

– Aussitôt cette mission remplie, à moins que Sa Majesté le roi Charles II ne me donne d’autres ordres.

– Il vous fera tout au moins la prière, j’en suis sûre, de rester près de lui le plus longtemps possible.

– Alors, comme je ne saurai pas refuser, je prierai d’avance Votre Altesse Royale de vouloir bien rappeler au roi de France qu’il a loin de lui un de ses serviteurs les plus dévoués.

– Prenez garde que, lorsqu’il vous rappellera, vous ne regardiez son ordre comme un abus de pouvoir.

– Je ne comprends pas, Madame.

– La cour de France est incomparable, je le sais bien; mais nous avons quelques jolies femmes aussi à la cour d’Angleterre.

Raoul sourit.

– Oh! dit Madame, voilà un sourire qui ne présage rien de bon à mes compatriotes. C’est comme si vous leur disiez, monsieur de Bragelonne: «Je viens à vous, mais je laisse mon cœur de l’autre côté du détroit.» N’est-ce point cela que signifiait votre sourire?

– Votre Altesse a le don de lire jusqu’au plus profond des âmes; elle comprendra donc pourquoi maintenant tout séjour prolongé à la cour d’Angleterre serait une douleur pour moi.

– Et je n’ai pas besoin de m’informer si un si brave cavalier est payé de retour?

– Madame, j’ai été élevé avec celle que j’aime, et je crois qu’elle a pour moi les mêmes sentiments que j’ai pour elle.

– Eh bien! partez vite, monsieur de Bragelonne, revenez vite, et, à votre retour, nous verrons deux heureux, car j’espère qu’il n’y a aucun obstacle à votre bonheur?

– Il y en a un grand, madame.

– Bah! et lequel?

– La volonté du roi.

– La volonté du roi!… Le roi s’oppose à votre mariage?

– Ou du moins il le diffère. J’ai fait demander au roi son agrément par le comte de La Fère, et, sans le refuser tout à fait, il a au moins dit positivement qu’il le lui ferait attendre.

– La personne que vous aimez est-elle donc indigne de vous?

– Elle est digne de l’amour d’un roi, madame.

– Je veux dire: peut-être n’est-elle point d’une noblesse égale à la vôtre?

– Elle est d’excellente famille.

– Jeune, belle?

– Dix-sept ans, et pour moi belle à ravir!

– Est-elle en province ou à Paris?

– Elle est à Fontainebleau, madame.

– À la cour?

– Oui.

– Je la connais?

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