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– Ensuite un séculier nommé Grisart.

– Ah! Grisart! murmura le moine. Appelez vite M. Grisart.

L’hôte fit un mouvement d’obéissance empressée.

– À propos, quels prêtres a-t-on sous la main ici?

– Quels prêtres?

– Oui, de quels ordres?

– Il y a des jésuites, des augustins et des cordeliers; mais, mon père, les jésuites sont les plus près d’ici. J’appellerai donc un confesseur jésuite, n’est-ce pas?

– Oui, allez.

L’hôte sortit.

On devine qu’au signe de croix échangé entre eux l’hôte et le malade s’étaient reconnus pour deux affiliés de la redoutable Compagnie de Jésus.

Resté seul, le franciscain tira de sa poche une liasse de papiers dont il parcourut quelques-uns avec une attention scrupuleuse. Cependant la force du mal vainquit son courage: ses yeux tournèrent, une sueur froide coula de son front, et il se laissa aller presque évanoui, la tête renversée en arrière, les bras pendants aux deux côtés de son fauteuil.

Il était depuis cinq minutes sans mouvement aucun, lorsque l’hôte rentra, conduisant le médecin, auquel il avait à peine donné le temps de s’habiller.

Le bruit de leur entrée, le courant d’air qu’occasionna l’ouverture de la porte réveillèrent les sens du malade. Il saisit à la hâte ses papiers épars, et de sa main longue et décharnée les cacha sous les coussins du fauteuil.

L’hôte sortit, laissant ensemble le malade et le médecin.

– Voyons, dit le franciscain au docteur, voyons, monsieur Grisart, approchez-vous, car il n’y a pas de temps à perdre; palpez, auscultez, jugez et prononcez la sentence.

– Notre hôte, répondit le médecin, m’a assuré que j’avais le bonheur de donner mes soins à un affilié.

– À un affilié, oui, répondit le franciscain. Dites-moi donc la vérité; je me sens bien mal; il me semble que je vais mourir.

Le médecin prit la main du moine et lui tâta le pouls.

– Oh! oh! dit-il, fièvre dangereuse.

– Qu’appelez-vous une fièvre dangereuse? demanda le malade avec un regard impérieux.

– À un affilié de la première ou de la seconde année, répondit le médecin en interrogeant le moine des yeux, je dirais fièvre curable.

– Mais à moi? dit le franciscain.

Le médecin hésita.

– Regardez mon poil gris et mon front bourré de pensées, continua-t-il; regardez les rides par lesquelles je compte mes épreuves; je suis un jésuite de la onzième année, monsieur Grisart.

Le médecin tressaillit.

En effet, un jésuite de la onzième année, c’était un des ces hommes initiés à tous les secrets de l’ordre, un de ces hommes pour lesquels la science n’a plus de secrets, la société plus de barrières, l’obéissance temporelle plus de liens.

– Ainsi, dit Grisart en saluant avec respect, je me trouve en face d’un maître?

– Oui, agissez donc en conséquence.

– Et vous voulez savoir?…

– Ma situation réelle.

– Eh bien! dit le médecin, c’est une fièvre cérébrale, autrement dit une méningite aiguë, arrivée à son plus haut point d’intensité.

– Alors, il n’y a pas d’espoir, n’est-ce pas? demanda le franciscain d’un ton bref.

– Je ne dis pas cela, répondit le docteur; cependant, eu égard au désordre du cerveau, à la brièveté du souffle, à la précipitation du pouls, à l’incandescence de la terrible fièvre qui vous dévore…

– Et qui m’a terrassé trois fois depuis ce matin, dit le frère.

– Aussi l’appelai-je terrible. Mais comment n’êtes-vous pas demeuré en route?

– J’étais attendu ici, il fallait que j’arrivasse.

– Dussiez-vous mourir?

– Dussé-je mourir.

– Eh bien! eu égard à tous ces symptômes, je vous dirai que la situation est presque désespérée.

Le franciscain sourit d’une façon étrange.

– Ce que vous me dites là est peut-être assez pour ce qu’on doit à un affilié, même de la onzième année, mais pour ce qu’on me doit à moi, maître Grisart, c’est trop peu, et j’ai le droit d’exiger davantage. Voyons, soyons encore plus vrai que cela, soyons franc, comme s’il s’agissait de parler à Dieu. D’ailleurs, j’ai déjà fait appeler un confesseur.

– Oh! j’espère cependant, balbutia le docteur.

– Répondez, dit le malade en montrant avec un geste de dignité un anneau d’or dont le chaton avait jusque-là été tourné en dedans, et qui portait gravé le signe représentatif de la Société de Jésus.

Grisart poussa une exclamation.

– Le général! s’écria-t-il.

– Silence! dit le franciscain; vous comprenez qu’il s’agit d’être vrai.

– Seigneur, seigneur, appelez le confesseur, murmura Grisart; car, dans deux heures, au premier redoublement, vous serez pris du délire, et vous passerez dans la crise.

– À la bonne heure, dit le malade, dont les sourcils se froncèrent un moment; j’ai donc deux heures?

– Oui, surtout si vous prenez la potion que je vais vous envoyer.

– Et elle me donnera deux heures?

– Deux heures.

– Je la prendrai, fût-elle du poison, car ces deux heures sont nécessaires non seulement à moi, mais à la gloire de l’ordre.

– Oh! quelle perte! murmura le médecin, quelle catastrophe pour nous!

– C’est la perte d’un homme, voilà tout, répondit le franciscain, et Dieu pourvoira à ce que le pauvre moine qui vous quitte trouve un digne successeur. Adieu, monsieur Grisart; c’est déjà une permission du Seigneur que je vous aie rencontré. Un médecin qui n’eût point été affilié à notre sainte congrégation m’eût laissé ignorer mon état, et, comptant encore sur des jours d’existence, je n’eusse pu prendre des précautions nécessaires. Vous êtes savant, monsieur Grisart, cela nous fait honneur à tous: il m’eût répugné de voir un des nôtres médiocre dans sa profession. Adieu, maître Grisart, adieu! et envoyez-moi vite votre cordial.

– Bénissez-moi, du moins, monseigneur!

– D’esprit, oui… allez… d’esprit, vous dis-je… Animo maître Grisart… viribus impossibile.

Et il retomba sur son fauteuil, presque évanoui de nouveau.

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