– Voici vos douze livres.
– Eh! monsieur, à quoi bon payer tout de suite?
– Parce que, dit Malicorne en baissant la voix et en recourant au mystérieux, puisqu’il voyait le mystérieux réussir, parce que, si l’on avait à partir soudain, à décamper d’un moment à l’autre, ce serait tout compte fait.
– Monsieur, vous avez raison.
– Donc, je suis chez moi.
– Vous êtes chez vous.
– Eh bien! à la bonne heure. Adieu!
L’hôte se retira.
Resté seul, Malicorne se fit le raisonnement suivant: «Il n’y a que M. de Guiche ou Manicamp capables d’avoir écrit à mon hôte; M. de Guiche, parce qu’il veut se ménager un logement hors de cour, en cas de succès ou d’insuccès; Manicamp, parce qu’il aura été chargé de cette commission par M. de Guiche.
«Voici donc ce que M. de Guiche ou Manicamp auront imaginé: le grand appartement pour recevoir d’une façon convenable quelque dame épais voilée, avec réserve, pour la susdite dame, d’une double sortie sur une rue à peu près déserte et aboutissant à la forêt.
«La chambre pour abriter momentanément soit Manicamp, confident de M. de Guiche et vigilant gardien de la porte, soit M. de Guiche lui-même, jouant à la fois pour plus de sûreté le rôle du maître et celui du confident.
«Mais cette réunion qui doit avoir lieu, qui a eu effectivement lieu dans l’hôtel?
«Ce sont sans doute gens qui doivent être présentés au roi.
«Mais le pauvre diable à qui la chambre est destinée?
«Ruse pour mieux cacher de Guiche ou Manicamp.
«S’il en est ainsi, comme c’est chose probable, il n’y a que demi-mal: et de Manicamp à Malicorne, il n’y a que la bourse.»
Depuis ce raisonnement, Malicorne avait dormi sur les deux oreilles, laissant les sept étrangers occuper et arpenter en tous sens les sept logements de l’hôtellerie du Beau-Paon.
Lorsque rien ne l’inquiétait à la cour, lorsqu’il était las d’excursions et d’inquisitions, las d’écrire des billets que jamais il n’avait l’occasion de remettre à leur adresse, alors il rentrait dans sa bienheureuse petite chambre, et, accoudé sur le balcon garni de capucines et d’œillets palissés, il s’occupait de ces étranges voyageurs pour qui Fontainebleau semblait n’avoir ni lumières, ni joies, ni fêtes.
Cela dura ainsi jusqu’au septième jour, jour que nous avons détaillé longuement avec sa nuit dans les précédents chapitres.
Cette nuit-là, Malicorne prenait le frais à sa fenêtre vers une heure du matin, quand Manicamp parut à cheval, le nez au vent, l’air soucieux et ennuyé.
«Bon! se dit Malicorne en le reconnaissant du premier coup, voilà mon homme qui vient réclamer son appartement, c’est-à-dire ma chambre.»
Et il appela Manicamp.
Manicamp leva la tête, et à son tour reconnut Malicorne.
– Ah! pardieu! dit celui-ci en se déridant, soyez le bienvenu, Malicorne. Je rôde dans Fontainebleau, cherchant trois choses que je ne puis trouver: de Guiche, une chambre et une écurie.
– Quant à M. de Guiche, je ne puis vous en donner ni bonnes ni mauvaises nouvelles, car je ne l’ai point vu; mais, quant à votre chambre et à une écurie, c’est autre chose.
– Ah!
– Oui; c’est ici qu’elles ont été retenues?
– Retenues, et par qui?
– Par vous, ce me semble.
– Par moi?
– N’avez-vous donc point retenu un logement?
– Pas le moins du monde.
L’hôte, en ce moment, parut sur le seuil.
– Une chambre? demanda Manicamp.
– L’avez-vous retenue, monsieur?
– Non.
– Alors, pas de chambre.
– S’il en est ainsi, j’ai retenu une chambre, dit Manicamp.
– Une chambre ou un logement?
– Tout ce que vous voudrez.
– Par lettre? demanda l’hôte.
Malicorne fit de la tête un signe affirmatif à Manicamp.
– Eh! sans doute par lettre, fit Manicamp. N’avez-vous pas reçu une lettre de moi?
– En date de quel jour? demanda l’hôte, à qui les hésitations de Manicamp donnaient du soupçon.
Manicamp se gratta l’oreille et regarda à la fenêtre de Malicorne; mais Malicorne avait quitté sa fenêtre et descendait l’escalier pour venir en aide à son ami.
Juste au même moment, un voyageur, enveloppé dans une longue cape à l’espagnole, apparaissait sous le porche, à portée d’entendre le colloque.
– Je vous demande à quelle date vous m’avez écrit cette lettre pour retenir un logement chez moi? répéta l’hôte en insistant.
– À la date de mercredi dernier, dit d’une voix douce et polie l’étranger mystérieux en touchant l’épaule de l’hôte.
Manicamp se recula, et Malicorne, qui apparaissait sur le seuil, se gratta l’oreille à son tour. L’hôte salua le nouveau venu en homme qui reconnaît son véritable voyageur.
– Monsieur, lui dit-il civilement, votre appartement vous attend, ainsi que vos écuries. Seulement…
Il regarda autour de lui.
– Vos chevaux? demanda-t-il.
– Mes chevaux arriveront ou n’arriveront pas. La chose vous importe peu, n’est-ce pas? pourvu qu’on vous paie ce qui a été retenu.
L’hôte salua plus bas.
– Vous m’avez, en outre, continua le voyageur inconnu, gardé la petite chambre que je vous ai demandée?
– Aïe! fit Malicorne, en essayant de se dissimuler.
– Monsieur, votre ami l’occupe depuis huit jours, dit l’hôte en montrant Malicorne qui se faisait le plus petit qu’il lui était possible.
Le voyageur, en ramenant son manteau jusqu’à la hauteur de son nez, jeta un coup d’œil rapide sur Malicorne.
– Monsieur n’est pas mon ami, dit-il.
L’hôte fit un bond.
– Je ne connais pas Monsieur, continua le voyageur.
– Comment! s’écria l’aubergiste s’adressant à Malicorne, comment! vous n’êtes pas l’ami de Monsieur?
– Que vous importe, pourvu que l’on vous paie? dit Malicorne parodiant majestueusement l’étranger.
– Il importe si bien, dit l’hôte, qui commençait à s’apercevoir qu’il y avait substitution de personnage, que je vous prie, monsieur, de vider les lieux retenus d’avance et par un autre que vous.