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– Maintenant, c’est autre chose: depuis hier, il n’est plus jaloux.

– Bah! Et comment la jalousie lui est-elle passée?

– Il y a eu diversion.

– Contez-moi cela.

– On a répandu le bruit que le roi avait jeté les yeux sur une autre femme, et Monsieur s’en est trouvé calmé tout d’un coup.

– Et qui a répandu ce bruit?

Montalais baissa la voix.

– Entre nous, dit-elle, je crois que Madame et le roi s’entendent.

– Ah! ah! fit Malicorne, c’était le seul moyen. Mais M. de Guiche, le pauvre soupirant?

– Oh! celui-là, il est tout à fait délogé.

– S’est-on écrit?

– Mon Dieu non; je ne leur ai pas vu tenir une plume aux uns ni aux autres depuis huit jours.

– Comment êtes-vous avec Madame?

– Au mieux.

– Et avec le roi?

– Le roi me fait des sourires quand je passe.

– Bien! Maintenant, sur quelle femme les deux amants ont-ils jeté leur dévolu pour leur servir de paravent?

– Sur La Vallière.

– Oh! oh! pauvre fille! Mais il faudrait empêcher cela, ma mie!

– Pourquoi?

– Parce que M. Raoul de Bragelonne la tuera ou se tuera s’il a un soupçon.

– Raoul! ce bon Raoul! Vous croyez?

– Les femmes ont la prétention de se connaître en passions, dit Malicorne, et les femmes ne savent pas seulement lire elles-mêmes ce qu’elles pensent dans leurs propres yeux ou dans leur propre cœur. Eh bien! je vous dis, moi, que M. de Bragelonne aime La Vallière à tel point, que, si elle fait mine de le tromper, il se tuera ou la tuera.

– Le roi est là pour la défendre, dit Montalais.

– Le roi! s’écria Malicorne.

– Sans doute.

– Eh! Raoul tuera le roi comme un reître!

– Bonté divine! fit Montalais, mais vous devenez fou, monsieur Malicorne!

– Non pas; tout ce que je vous dis est, au contraire, du plus grand sérieux, ma mie, et, pour mon compte je sais une chose.

– Laquelle?

– C’est que je préviendrai tout doucement Raoul de la plaisanterie.

– Chut! malheureux! fit Montalais en remontant encore un échelon pour se rapprocher d’autant de Malicorne, n’ouvrez point la bouche à ce pauvre Bragelonne.

– Pourquoi cela?

– Parce que vous ne savez rien encore.

– Qu’y a-t-il donc?

– Il y a que ce soir… Personne ne nous écoute?

– Non.

– Il y a que ce soir, sous le chêne royal, La Vallière a dit tout haut et tout naïvement ces paroles:

«Je ne conçois pas que, lorsqu’on a vu le roi, on puisse jamais aimer un autre homme.»

Malicorne fit un bond sur son mur.

– Ah! mon Dieu! dit-il, elle a dit cela, la malheureuse?

– Mot pour mot.

– Et elle le pense?

– La Vallière pense toujours ce qu’elle dit.

– Mais cela crie vengeance! mais les femmes sont des serpents! dit Malicorne.

– Calmez-vous, mon cher Malicorne, calmez-vous!

– Non pas! Coupons le mal dans sa racine, au contraire. Prévenons Raoul, il est temps.

– Maladroit! c’est qu’au contraire il n’est plus temps, répondit Montalais.

– Comment cela?

– Ce mot de La Vallière…

– Oui.

– Ce mot à l’adresse du roi…

– Eh bien?

– Eh bien! il est arrivé à son adresse.

– Le roi le connaît? Il a été rapporté au roi?

– Le roi l’a entendu.

– Ohimé! comme disait M. le cardinal.

– Le roi était précisément caché dans le massif le plus voisin du chêne royal.

– Il en résulte, dit Malicorne, que dorénavant le plan du roi et de Madame va marcher sur des roulettes, en passant sur le corps du pauvre Bragelonne.

– Vous l’avez dit.

– C’est affreux.

– C’est comme cela.

– Ma foi! dit Malicorne après une minute de silence donnée à la méditation, entre un gros chêne et un grand roi, ne mettons pas notre pauvre personne, nous y serions broyés, ma mie.

– C’est ce que je voulais vous dire.

– Songeons à nous.

– C’est ce que je pensais.

– Ouvrez donc vos jolis yeux.

– Et vous, vos grandes oreilles.

– Approchez votre petite bouche pour un bon gros baiser.

– Voici, dit Montalais, qui paya sur-le-champ en espèces sonnantes.

– Maintenant, voyons. Voici M. de Guiche qui aime Madame; voilà La Vallière qui aime le roi; voilà le roi qui aime Madame et La Vallière; voilà Monsieur qui n’aime personne que lui. Entre toutes ces amours, un imbécile ferait sa fortune, à plus forte raison des personnes de sens comme nous.

– Vous voilà encore avec vos rêves.

– C’est-à-dire avec mes réalités. Laissez-vous conduire par moi, ma mie, vous ne vous en êtes pas trop mal trouvée jusqu’à présent, n’est-ce pas?

– Non.

– Eh bien! l’avenir vous répond du passé. Seulement, puisque chacun pense à soi ici, pensons à nous.

– C’est trop juste.

– Mais à nous seuls.

– Soit!

– Alliance offensive et défensive!

– Je suis prête à la jurer.

– Étendez la main; c’est cela: Tout pour Malicorne!

– Tout pour Malicorne!

– Tout pour Montalais! répondit Malicorne en étendant la main à son tour.

– Maintenant, que faut-il faire?

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