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– Oui, je crois que vous les avez ou que vous les aurez.

– Comment, que je les aurai?

– Il n’y a pas longtemps qu’il vous en avait déjà fait demander deux.

– Il me semble, au contraire, qu’il y a un siècle, marquise; mais ne parlons plus argent, s’il vous plaît.

– Au contraire, parlons-en, mon ami.

– Oh!

– Écoutez, je ne suis venue que pour cela.

– Mais que voulez-vous donc dire? demanda le surintendant, dont les yeux exprimèrent une inquiète curiosité.

– Monsieur, est-ce une charge inamovible que la surintendance?

– Marquise!

– Vous voyez que je vous réponds, et franchement même.

– Marquise, vous me surprenez, vous me parlez comme un commanditaire.

– C’est tout simple: je veux placer de l’argent chez vous, et, naturellement, je désire savoir si vous êtes sûr.

– En vérité, marquise, je m’y perds et ne sais plus où vous voulez en venir.

– Sérieusement, mon cher monsieur Fouquet, j’ai quelques fonds qui m’embarrassent. Je suis lasse d’acheter des terres et désire charger un ami de faire valoir mon argent.

– Mais cela ne presse pas, j’imagine? dit Fouquet.

– Au contraire, cela presse, et beaucoup.

– Eh bien! nous en causerons plus tard.

– Non pas plus tard, car mon argent est là.

La marquise montra le coffret au surintendant, et, l’ouvrant, lui fit voir des liasses de billets et une masse d’or.

Fouquet s’était levé en même temps que Mme de Bellière; il demeura un instant pensif; puis tout à coup, se reculant, il pâlit et tomba sur une chaise en cachant son visage dans ses mains.

– Oh! marquise! marquise! murmura-t-il.

– Eh bien?

– Quelle opinion avez-vous donc de moi pour me faire une pareille offre?

– De vous?

– Sans doute.

– Mais que pensez-vous donc vous-même? Voyons.

– Cet argent, vous me l’apportez pour moi: vous me l’apportez parce que vous me savez embarrassé. Oh! ne niez pas. Je devine. Est-ce que je ne connais pas votre cœur?

– Eh bien! si vous connaissez mon cœur, vous voyez que c’est mon cœur que je vous offre.

– J’ai donc deviné! s’écria Fouquet. Oh! madame, en vérité, je ne vous ai jamais donné le droit de m’insulter ainsi.

– Vous insulter! dit-elle en pâlissant. Étrange délicatesse humaine! Vous m’aimez, m’avez-vous dit? Vous m’avez demandé au nom de cet amour ma réputation, mon honneur? Et quand je vous offre mon argent, vous me refusez!

– Marquise, marquise, vous avez été libre de garder ce que vous appelez votre réputation et votre honneur. Laissez-moi la liberté de garder les miens. Laissez-moi me ruiner, laissez-moi succomber sous le fardeau des haines qui m’environnent, sous le fardeau des fautes que j’ai commises, sous le fardeau de mes remords même; mais, au nom du Ciel! marquise, ne m’écrasez pas sous ce dernier coup.

– Vous avez manqué tout à l’heure d’esprit, monsieur Fouquet, dit-elle.

– C’est possible, madame.

– Et maintenant, voilà que vous manquez de cœur.

Fouquet comprima de sa main crispée sa poitrine haletante.

– Accablez-moi, madame, dit-il, je n’ai rien à répondre.

– Je vous ai offert mon amitié, monsieur Fouquet.

– Oui, madame; mais vous vous êtes bornée là.

– Ce que je fais est-il d’une amie?

– Sans doute.

– Et vous refusez cette preuve de mon amitié?

– Je la refuse.

– Regardez-moi, monsieur Fouquet.

Les yeux de la marquise étincelaient.

– Je vous offre mon amour.

– Oh! madame! dit Fouquet.

– Je vous aime, entendez-vous, depuis longtemps; les femmes ont comme les hommes leur fausse délicatesse. Depuis longtemps je vous aime, mais je ne voulais pas vous le dire.

– Oh! fit Fouquet en joignant les mains.

– Eh bien! je vous le dis. Vous m’avez demandé cet amour à genoux, je vous l’ai refusé; j’étais aveugle comme vous l’étiez tout à l’heure. Mon amour, je vous l’offre.

– Oui, votre amour, mais votre amour seulement.

– Mon amour, ma personne, ma vie! tout, tout, tout!

– Oh! mon Dieu! s’écria Fouquet ébloui.

– Voulez-vous de mon amour?

– Oh! mais vous m’accablez sous le poids de mon bonheur!

– Serez-vous heureux? Dites, dites… si je suis à vous, tout entière à vous?

– C’est la félicité suprême!

– Alors, prenez-moi. Mais, si je vous fais le sacrifice d’un préjugé, faites moi celui d’un scrupule.

– Madame, madame, ne me tentez pas!

– Mon ami, mon ami, ne me refusez pas!

– Oh! faites attention à ce que vous proposez!

– Fouquet, un mot… «Non!…» et j’ouvre cette porte. Elle montra celle qui conduisait à la rue. Et vous ne me verrez plus. Un autre mot… «Oui!…» et je vous suis où vous voudrez, les yeux fermés, sans défense, sans refus, sans remords.

– Élise!… Élise!… Mais ce coffret?

– C’est ma dot!

– C’est votre ruine! s’écria Fouquet en bouleversant l’or et les papiers; il y a là un million…

– Juste… Mes pierreries, qui ne me serviront plus si vous ne m’aimez pas; qui ne me serviront plus si vous m’aimez comme je vous aime!

– Oh! c’en est trop! c’en est trop! s’écria Fouquet. Je cède, je cède: ne fût-ce que pour consacrer un pareil dévouement. J’accepte la dot…

– Et voici la femme, dit la marquise en se jetant dans ses bras.

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