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– Eh bien! elle courra moins vite que Daphné et ne pourra pas fuir Apollon.

– Henriette! Henriette! fit le roi tout maussade, vous avez été justement me chercher la plus défectueuse de vos filles d’honneur.

– Oui, mais c’est une de mes filles d’honneur, notez cela.

– Sans doute. Que voulez-vous dire?

– Je veux dire que, pour visiter cette divinité nouvelle, vous ne pourrez vous dispenser de venir chez moi, et que, la décence interdisant à votre flamme d’entretenir particulièrement la déesse, vous serez contraint de la voir à mon cercle, de me parler en lui parlant. Je veux dire, enfin, que les jaloux auront tort s’ils croient que vous venez chez moi pour moi, puisque vous y viendrez pour Mlle de La Vallière.

– Qui boite.

– À peine.

– Qui n’ouvre jamais la bouche.

– Mais qui, quand elle l’ouvre, montre des dents charmantes.

– Qui peut servir de modèle aux ostéologistes.

– Votre faveur l’engraissera.

– Henriette!

– Enfin, vous m’avez laissée maîtresse?

– Hélas! oui.

– Eh bien! c’est mon choix; je vous l’impose. Subissez-le.

– Oh! je subirais une des Furies, si vous me l’imposiez.

– La Vallière est douce comme un agneau; ne craignez pas qu’elle vous contredise jamais quand vous lui direz que vous l’aimez.

Et Madame se mit à rire.

– Oh! vous n’avez pas peur que je lui en dise trop, n’est-ce pas?

– C’était dans mon droit.

– Soit.

– C’est donc un traité fait?

– Signé.

– Vous me conserverez une amitié de frère, une assiduité de frère, une galanterie de roi, n’est-ce pas?

– Je vous conserverai un cœur qui n’a déjà plus l’habitude de battre qu’à votre commandement.

– Eh bien! voyez-vous l’avenir assuré de cette façon?

– Je l’espère.

– Votre mère cessera-t-elle de me regarder en ennemie?

– Oui.

– Marie-Thérèse cessera-t-elle de parler en espagnol devant Monsieur, qui a horreur des colloques faits en langue étrangère, parce qu’il croit toujours qu’on l’y maltraite?

– Hélas! a-t-il tort? murmura le roi tendrement.

– Et pour terminer, fit la princesse, accusera-t-on encore le roi de songer à des affections illégitimes, quand il est vrai que nous n’éprouvons rien l’un pour l’autre, si ce n’est des sympathies pures de toute arrière-pensée?

– Oui, oui, balbutia le roi. Mais on dira encore autre chose.

– Et que dira-t-on, Sire? En vérité, nous ne serons donc jamais en repos?

– On dira, continua le roi, que j’ai bien mauvais goût; mais qu’est-ce que mon amour-propre auprès de votre tranquillité?

– De mon honneur, Sire, et de celui de notre famille, voulez-vous dire. D’ailleurs, croyez-moi, ne vous hâtez point ainsi de vous piquer contre La Vallière; elle boite, c’est vrai, mais elle ne manque pas d’un certain bon sens. Tout ce que le roi touche, d’ailleurs, se convertit en or.

– Enfin, madame, soyez certaine d’une chose, c’est que je vous suis encore reconnaissant; vous pouviez me faire payer plus cher encore votre séjour en France.

– Sire, on vient à nous.

– Eh bien?

– Un dernier mot.

– Lequel?

– Vous êtes prudent et sage, Sire, mais c’est ici qu’il faudra appeler à votre secours toute votre prudence, toute votre sagesse.

– Oh! s’écria Louis en riant, je commence dès ce soir à jouer mon rôle, et vous verrez si j’ai de la vocation pour représenter les bergers. Nous avons grande promenade dans la forêt après le goûter, puis nous avons souper et ballet à dix heures.

– Je le sais bien.

– Or, ma flamme va ce soir même éclater plus haut que les feux d’artifice, briller plus clairement que les lampions de notre ami Colbert; cela resplendira de telle sorte que les reines et Monsieur auront les yeux brûlés.

– Prenez garde, Sire, prenez garde!

– Eh! mon Dieu, qu’ai-je donc fait?

– Voilà que je vais rentrer mes compliments de tout à l’heure… Vous, prudent! vous, sage! ai-je dit… Mais vous débutez par d’abominables folies! Est-ce qu’une passion s’allume ainsi, comme une torche, en une seconde? Est-ce que, sans préparation aucune, un roi fait comme vous tombe aux pieds d’une fille comme La Vallière?

– Oh! Henriette! Henriette! Henriette! je vous y prends… Nous n’avons pas encore commencé la campagne et vous me pillez!

– Non, mais je vous rappelle aux idées saines. Allumez progressivement votre flamme, au lieu de la faire éclater ainsi tout à coup. Jupiter tonne et fait briller l’éclair avant d’incendier les palais. Toute chose a son prélude. Si vous vous échauffez ainsi, nul ne vous croira épris, et tout le monde vous croira fou. À moins toutefois qu’on ne vous devine. Les gens sont moins sots parfois qu’ils n’en ont l’air.

Le roi fut obligé de convenir que Madame était un ange de savoir et un diable d’esprit.

– Eh bien! soit, dit-il, je ruminerai mon plan d’attaque; les généraux, mon cousin de Condé, par exemple, pâlissent sur leurs cartes stratégiques avant de faire mouvoir un seul de ces pions qu’on appelle des corps d’armée; moi, je veux dresser tout un plan d’attaque. Vous savez que le Tendre est subdivisé en toutes sortes de circonscriptions. Eh bien! je m’arrêterai au village de Petits-Soins, au hameau de Billets-Doux, avant de prendre la route de Visible-Amour; le chemin est tout tracé, vous le savez, et cette pauvre Mlle de Scudéry ne me pardonnerait point de brûler ainsi les étapes.

– Nous voilà revenus en bon chemin, Sire. Maintenant, vous plaît-il que nous nous séparions?

– Hélas! il le faut bien; car, tenez, on nous sépare.

– Ah! dit Madame Henriette, en effet, voilà qu’on nous apporte le sphinx de Mlle de Tonnay-Charente, avec les sons de trompe en usage chez les grands veneurs.

– C’est donc bien entendu: ce soir, pendant la promenade, je me glisserai dans la forêt, et trouvant La Vallière sans vous…

– Je l’éloignerai. Cela me regarde.

– Très bien! Je l’aborderai au milieu de ses compagnes, et lancerai le premier trait.

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