– Vive le roi!
Il réussit même à retenir la main qui le frappait, et à garrotter, comme eût fait un serpent, son ennemi intact entre ses jambes et ses bras.
Antraguet sentit que la respiration allait lui manquer.
En effet, il chancela et tomba.
Mais, en tombant, comme si tout le devait favoriser ce jour-là, il étouffa, pour ainsi dire, le malheureux Quélus.
– Vive le roi! murmura ce dernier, à l'agonie.
Antraguet parvint à dégager sa poitrine de l'étreinte; il se roidit sur un bras, et, le frappant d'un dernier coup qui lui traversa la poitrine:
– Tiens, lui dit-il, es-tu content?
– Vive le r…, articula Quélus, les yeux à demi fermés.
Ce fut tout; le silence et la terreur de la mort régnaient sur le champ de bataille.
Antraguet se releva tout sanglant, mais du sang de son ennemi; il n'avait, comme nous l'avons dit, qu'une égratignure à la main.
D'Épernon, épouvanté, fit un signe de croix et prit la fuite, comme s'il eût été poursuivi par un spectre.
Antraguet jeta sur ses compagnons et ses ennemis, morts et mourants, le même regard qu'Horace dut jeter sur le champ de bataille qui décidait les destins de Rome.
Chicot secourut et releva Quélus, qui rendait son sang par dix-neuf blessures.
Le mouvement le ranima.
Il rouvrit les yeux.
– Antraguet, sur l'honneur, dit-il, je suis innocent de la mort de Bussy.
– Oh! je vous crois, monsieur, fit Antraguet attendri, je vous crois.
– Fuyez, murmura Quélus, fuyez, le roi ne vous pardonnerait pas.
– Et moi, monsieur, je ne vous abandonnerai pas ainsi, dit Antraguet, dût l'échafaud me prendre.
– Sauvez-vous, jeune homme, dit Chicot, et ne tentez pas Dieu; vous vous sauvez par un miracle, n'en demandez pas deux le même jour.
Antraguet s'approcha de Ribérac, qui respirait encore.
– Eh bien? demanda celui-ci.
– Nous sommes vainqueurs, répondit Antraguet à voix basse pour ne pas offenser Quélus.
– Merci, dit Ribérac. Va-t'en.
Et il retomba évanoui.
Antraguet ramassa sa propre épée, qu'il avait laissée tomber dans la lutte, puis celles de Quélus, de Schomberg et de Maugiron.
– Achevez-moi, monsieur, dit Quélus, ou laissez-moi mon épée.
– La voici, monsieur le comte, dit Antraguet en la lui offrant avec un salut respectueux.
Une larme brilla aux yeux du blessé.
– Nous eussions pu être amis, murmura-t-il.
Antraguet lui tendit la main.
– Bien! fit Chicot; c'est on ne peut plus chevaleresque. Mais sauve-toi, Antraguet, tu es digne de vivre.
– Et mes compagnons? demanda le jeune homme.
– J'en aurai soin, comme des amis du roi.
Antraguet s'enveloppa du manteau que lui tendait son écuyer, afin que l'on ne vît pas le sang dont il était couvert, et, laissant les morts et les blessés au milieu des pages et des laquais, il disparut par la porte Saint-Antoine.
XXXVIII Conclusion.
Le roi, pâle d'inquiétude et frémissant au moindre bruit, arpentait la salle d'armes, conjecturant, avec l'expérience d'un homme exercé, tout le temps que ses amis avaient dû employer à joindre et à combattre leurs adversaires, ainsi que toutes les chances bonnes ou mauvaises que leur donnaient leur caractère, leur force et leur adresse.
– À cette heure, avait-il dit d'abord, ils traversent la rue Saint-Antoine. Ils entrent dans le champ clos, maintenant. On dégaîne. À cette heure, ils sont aux mains.
Et, à ces mots, le pauvre roi, tout frissonnant, s'était mis en prières.
Mais le fond du cœur absorbait d'autres sentiments, et cette dévotion des lèvres ne faisait que glisser à la surface.
Au bout de quelques secondes, le roi se releva.
– Pourvu que Quélus, dit-il, se souvienne de ce coup de riposte que je lui ai montré, en parant avec l'épée et en frappant avec la dague. Quant à Schomberg, l'homme de sang-froid, il doit tuer ce Ribérac. Maugiron, s'il n'a pas mauvaise chance, se débarrassera vite de Livarot. Mais d'Épernon! oh! celui-là est mort. Heureusement que c'est celui des quatre que j'aime le moins. Mais, malheureusement, ce n'est pas le tout qu'il soit mort, c'est que, lui mort, Bussy, le terrible Bussy, retombe sur les autres en se multipliant. Ah! mon pauvre Quélus! mon pauvre Schomberg! mon pauvre Maugiron!
– Sire! dit à la porte la voix de Crillon.
– Quoi! déjà! s'écria le roi.
– Non, sire, je n'apporte aucune nouvelle, si ce n'est que le duc d'Anjou demande à parler à Votre Majesté.
– Et pourquoi faire? demanda le roi, dialoguant toujours à travers la porte.
– Il dit que le moment est venu pour lui d'apprendre à Votre Majesté quel genre de service il lui a rendu, et que ce qu'il a à dire au roi calmera une partie des craintes qui l'agitent en ce moment.
– Eh bien, allez donc, dit le roi.
En ce moment et comme Crillon se retournait pour obéir, un pas rapide retentit par les montées, et l'on entendit une voix qui disait à Crillon:
– Je veux parler au roi à l'instant même!
Le roi reconnut la voix et ouvrit lui-même.
– Viens, Saint-Luc, viens, dit-il. Qu'y a-t-il encore? Mais qu'as-tu, mon Dieu, et qu'est-il arrivé? Sont-ils morts?
En effet, Saint-Luc, pâle, sans chapeau, sans épée, tout marbré de taches de sang, se précipitait dans la chambre du roi.
– Sire, s'écria Saint-Luc en se jetant aux genoux du roi, vengeance! je viens vous demander vengeance!
– Mon pauvre Saint-Luc, dit le roi, qu'y a-t-il donc? parle, et qui peut te causer un pareil désespoir?
– Sire, un de vos sujets, le plus noble; un de vos soldats, le plus brave…
La parole lui manqua.
– Hein? fit en avançant Crillon, qui croyait avoir des droits à ce dernier titre surtout.
– À été égorgé cette nuit, traîtreusement égorgé, assassiné! acheva Saint-Luc.
Le roi, préoccupé d'une seule idée, se rassura; ce n'était aucun de ses quatre amis, puisqu'il les avait vus le matin.