Saint-Luc salua avec son plus courtois sourire sur les lèvres.
– Certes, dit-il, M. de Bussy serait embarrassé comme doit l'être tout gentilhomme en présence de quatre vaillants comme vous; mais il dit que le cas ne serait pas nouveau pour lui, puisque ce cas s'est déjà présenté aux Tournelles, près la Bastille.
– Et il nous combattrait tout quatre? dit d'Épernon.
– Tous quatre, reprit Saint-Luc.
– Séparément? demanda Schomberg.
– Séparément ou à la fois; le défi est tout ensemble individuel et collectif.
Les quatre jeunes gens se regardèrent; Quélus rompit le premier le silence.
– C'est fort beau de la part de M. de Bussy, dit-il, rouge de colère; mais, si peu que nous valions, nous pouvons isolément faire chacun notre besogne; nous accepterons donc la proposition du comte en nous succédant les uns aux autres, ou ce qui serait mieux encore…
Quélus regarda ses amis, qui, comprenant sans doute sa pensée, firent un signe d'assentiment.
– Ou ce qui serait mieux encore, reprit-il, comme nous ne cherchons pas à assassiner un galant homme, c'est que le hasard décidât lequel de nous écherra à M. de Bussy.
– Mais, dit vivement d'Épernon, les trois autres?
– Les trois autres? M. de Bussy a certes trop d'amis, et nous trop d'ennemis pour que les trois autres restent les bras croisés.
– Est-ce votre avis, messieurs? ajouta Quélus en se retournant vers ses compagnons.
– Oui, dirent-ils d'une commune voix.
– Il me serait même particulièrement agréable, dit Schomberg, que M. de Bussy invitât à cette fête M. de Livarot.
– Si j'osais émettre une opinion, dit Maugiron, je désirerais que M. de Balzac d'Antraguet en fût.
– Et la partie serait complète, dit Quélus, si M. de Ribérac voulait bien accompagner ses amis.
– Messieurs, dit Saint-Luc, je transmettrai vos désirs à M. le comte de Bussy, et je crois pouvoir vous répondre d'avance qu'il est trop courtois pour ne pas s'y conformer. Il ne me reste donc plus, messieurs, qu'à vous remercier bien sincèrement de la part de M. le comte.
Saint-Luc salua de nouveau, et l'on vit les quatre têtes des gentilshommes provoqués s'abaisser au niveau de la sienne.
Les quatre jeunes gens reconduisirent Saint-Luc jusqu'à la porte du salon.
Dans la dernière antichambre; il trouva les quatre laquais rassemblés.
Il tira sa bourse pleine d'or, et la jeta au milieu d'eux en disant:
– Voici pour boire à la santé de vos maîtres.
XVIII En quoi M. de Saint-Luc était plus civilisé que M. de Bussy, des leçons qu'il lui donna, et de l'usage qu'en fit l'amant de la belle Diane.
Saint-Luc revint très fier d'avoir si bien fait sa commission.
Bussy l'attendait et le remercia. Saint-Luc le trouva tout triste, ce qui n'était pas naturel chez un homme aussi brave à la nouvelle d'un bon et brillant duel.
– Ai-je mal fait les choses? dit Saint-Luc. Vous voilà tout hérissé.
– Ma foi, cher ami, je regrette qu'au lieu de prendre un terme vous n'ayez pas dit: «Tout de suite.»
– Ah! patience, les Angevins ne sont pas encore venus. Que diable! laissez-leur le temps de venir. Et puis, où est la nécessité de vous faire si vite une litière de morts et de mourants?
– C'est que je voudrais mourir le plus tôt possible.
Saint-Luc regarda Bussy avec cet étonnement que les gens parfaitement organisés éprouvent tout d'abord à la moindre apparence d'un malheur même étranger.
– Mourir! quand on a votre âge, votre maîtresse et votre nom!
– Oui! j'en tuerai, je suis sûr, quatre, et je recevrai un bon coup qui me tranquillisera éternellement.
– Des idées noires! Bussy.
– Je voudrais bien vous y voir, vous. Un mari qu'on croyait mort et qui revient; une femme qui ne peut plus quitter le chevet du lit de ce prétendu moribond; ne jamais se sourire, ne jamais se parler, ne jamais se toucher la main. Mordieu! je voudrais bien avoir quelqu'un à écharper…
Saint-Luc répondit à cette sortie par un éclat de rire qui fit envoler toute une volée de moineaux qui picotaient les sorbiers du petit jardin du Louvre.
– Ah! s'écria-t-il, que voilà un homme innocent! Dire que les femmes aiment ce Bussy, un écolier! Mais mon cher, vous perdez le sens: il n'y a pas d'amant aussi heureux que vous sur la terre.
– Ah! fort bien; prouvez-moi un peu cela, vous, homme marié!
– Nihil facilius, comme disait le jésuite Triquet, mon pédagogue; vous êtes l'ami de M. de Monsoreau?
– Ma foi! j'en ai honte, pour l'honneur de l'intelligence humaine. Ce butor m'appelle son ami.
– Eh bien, soyez son ami.
– Oh!… abuser de ce titre.
– Prorsus absurdum! disait toujours Triquet. Est-il vraiment votre ami?
– Mais il le dit.
– Non, puisqu'il vous rend malheureux. Or le but de l'amitié est de faire que les hommes soient heureux l'un par l'autre. Du moins c'est ainsi que Sa Majesté définit l'amitié, et le roi est lettré.
Bussy se mit à rire.
– Je continue, dit Saint-Luc. S'il vous rend malheureux, vous n'êtes pas amis; donc vous pouvez le traiter soit en indifférent, et alors lui prendre sa femme; soit en ennemi, et le retuer s'il n'est pas content.
– Au fait, dit Bussy, je le déteste.
– Et lui vous craint.
– Vous croyez qu'il ne m'aime pas?
– Dame, essayez. Prenez-lui sa femme, et vous verrez.
– Est-ce toujours la logique du père Triquet?
– Non, c'est la mienne.
– Je vous en fais mon compliment.
– Elle vous satisfait?
– Non. J'aime mieux être homme d'honneur.
– Et laisser madame de Monsoreau guérir moralement et physiquement son mari? Car enfin, si vous vous faite* tuer, il est certain qu'elle s'attachera au seul homme qui lui reste…
Bussy fronça le sourcil.
– Mais, au surplus, ajouta Saint-Luc, voici madame de Saint-Luc, elle est de bon conseil. Après s'être fait un bouquet dans les parterres de la reine mère, elle sera de bonne humeur. Écoutez-la, elle parle d'or.