– Je le lui demanderai, cher ami.
– Cela ne vous fâche point?
– Moi, pas le moins du monde. J'irai quand vous voudrez, tout de suite, si cela peut vous être agréable.
– Un moment. En allant chez M. de Quélus, vous me ferez, par la même occasion, le plaisir de passer chez M. de Schomberg, à qui vous ferez la même proposition, n'est-ce pas?
– Ah! ah! dit Saint-Luc, à M. de Schomberg aussi. Diable! comme vous y allez, Bussy!
Bussy fit un geste qui n'admettait pas de réplique.
– Soit, dit Saint-Luc, votre volonté sera faite.
– Alors, mon cher Saint-Luc, reprit Bussy, puisque je vous trouve si aimable, vous entrerez au Louvre chez M. de Maugiron, à qui j'ai vu le hausse-col, signe qu'il est de garde; vous l'engagerez à se joindre aux autres, n'est-ce pas?…
– Oh! oh! fit Saint-Luc, trois; y songez-vous, Bussy? Est-ce tout, au moins?
– Non pas.
– Comment, non pas?
– De là, vous vous rendrez chez M. d'Épernon. Je ne vous arrête pas longtemps sur lui, car je le tiens pour un assez pauvre compagnon; mais enfin il fera nombre.
Saint-Luc laissa tomber ses deux bras de chaque côté de son corps et regarda Bussy.
– Quatre? murmura-t-il.
– C'est cela même, cher ami, dit Bussy en faisant de la tête un signe d'assentiment; quatre. Il va sans dire que je ne recommanderai pas à un homme de votre esprit, de voire bravoure et de votre courtoisie, de procéder vis-à-vis de ces messieurs avec toute la politesse que vous possédez à un si suprême degré.
– Oh! cher ami.
– Je m'en rapporte à vous pour faire cela… galamment. Que la chose soit accommodée de façon seigneuriale, n'est-ce pas?
– Vous serez content, mon ami.
Bussy tendit en souriant la main à Saint-Luc.
– À la bonne heure, dit-il. Ah! messieurs les mignons, nous allons donc rire à notre tour.
– Maintenant, cher ami, les conditions.
– Quelles conditions?
– Les vôtres.
– Moi, je n'en fais pas; j'accepterai celles de ces messieurs.
– Vos armes?
– Les armes de ces messieurs.
– Le jour, le lieu et l'heure?
– Le jour, le lieu et l'heure de ces messieurs.
– Mais enfin…
– Ne parlons pas de ces misères-là; faites et faites vite, cher ami. Je me promène là-bas dans le petit jardin du Louvre; vous m'y retrouverez, la commission faite.
– Alors, vous attendez?
– Oui.
– Attendez donc. Dame! ce sera peut-être un peu long.
– J'ai le temps.
Nous savons maintenant comment Saint-Luc trouva les quatre jeunes gens encore réunis dans la salle d'audience, et comment il entama l'entretien. Rejoignons-le donc dans l'antichambre de l'hôtel de Schomberg, où nous l'avons laissé, attendant cérémonieusement, et selon toutes les lois de l'étiquette en vogue à cette époque, tandis que les quatre favoris de Sa Majesté, se doutant de la cause de la visite de Saint-Luc, se posaient aux quatre points cardinaux du vaste salon.
Cela fait, les portes s'ouvrirent à deux battants, et un huissier vint saluer Saint-Luc, qui, le poing sur la hanche, relevant galamment son manteau avec sa rapière, sur la poignée de laquelle il appuyait sa main gauche, marcha, le chapeau à la main droite, jusqu'au milieu du seuil de la porte, où il s'arrêta avec une régularité qui eût fait honneur au plus habile architecte.
– M. d'Espinay de Saint-Luc! cria l'huissier.
Saint-Luc entra.
Schomberg, en sa qualité de maître de maison, se leva et vint au-devant de son hôte, qui, au lieu de le saluer, remit son chapeau sur sa tête.
Cette formalité donnait à la visite sa couleur et son intention.
Schomberg répondit par un salut, puis, se tournant vers Quélus:
– J'ai l'honneur de vous présenter, dit-il, M. Jacques de Lévis, comte de Quélus.
Saint-Luc fit un pas vers Quélus et salua, à son tour, profondément.
– Je cherchais monsieur, dit-il.
Quélus salua.
Schomberg reprit en se tournant vers un autre point de la salle.
– J'ai l'honneur de vous présenter M. Louis de Maugiron.
Même salutation de la part de Saint-Luc, même réponse de Maugiron.
– Je cherchais monsieur, dit Saint-Luc.
Pour d'Épernon ce fut la même cérémonie, faite avec le même flegme et la même lenteur.
Puis, à son tour, Schomberg se nomma lui-même et reçut le même compliment.
Cela fait, les quatre amis s'assirent, Saint-Luc resta debout.
– Monsieur le comte, dit-il à Quélus, vous avez insulté M. le comte Louis de Clermont d'Amboise, seigneur de Bussy, qui vous présente ses très humbles civilités et vous appelle en combat singulier, tel jour et à telle heure qu'il vous conviendra, pour que vous combattiez avec telles armes qu'il vous plaira jusqu'à ce que mort s'en suive… Acceptez-vous?
– Certes, oui, répondit tranquillement Quélus, et M. le comte de Bussy me fait beaucoup d'honneur.
– Votre jour, monsieur le comte.
– Je n'ai pas de préférence; seulement j'aimerais mieux demain qu'après-demain, après-demain que les jours suivants.
– Votre heure?
– Le matin.
– Vos armes?
– La rapière et la dague, si M. de Bussy s'accommode de ces deux instruments.
Saint-Luc s'inclina.
– Tout ce que vous déciderez sur ce point, dit-il, fera loi pour M. de Bussy.
Puis il s'adressa à Maugiron, qui répondit la même chose; puis successivement aux deux autres.
– Mais, dit Schomberg, qui reçut comme maître de maison le compliment le dernier, nous ne songeons pas à une chose, monsieur de Saint-Luc.
– À laquelle?
– C'est que, s'il nous plaisait, – le hasard fait parfois des choses bizarres, – s'il nous plaisait, dis-je, de choisir tous le même jour et la même heure, M. de Bussy pourrait être fort embarrassé.