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– Ah! dit-il quand le duc eut fini.

Et, saisissant le papier d'un mouvement non moins violent que le duc avait saisi la plume, il le plia, l'enferma entre sa chemise et l'étoffe en tresse de soie qui remplaçait le gilet à cette époque, boutonna son pourpoint et croisa son manteau par-dessus.

Le duc regardait faire avec étonnement, ne comprenant rien à l'expression de ce visage pâle, sur lequel passait comme un éclair de féroce joie.

– Et maintenant, monseigneur, dit Monsoreau, soyez prudent.

– Comment cela? demanda le duc.

– Oui; ne courez plus par les rues le soir avec Aurilly, comme vous venez de le faire il n'y a qu'un instant encore.

– Qu'est-ce à dire?

– C'est-à-dire que, ce soir, monseigneur, vous avez été poursuivre d'amour une femme que son mari adore, et dont il est jaloux au point de… ma foi, oui, de tuer quiconque l'approcherait sans sa permission.

– Serait-ce, par hasard, de vous et de votre femme que vous voudriez parler?

– Oui, monseigneur, puisque vous avez deviné si juste du premier coup, je n'essayerai pas même de nier. J'ai épousé Diane de Méridor; elle est à moi, et personne ne l'aura, moi vivant, du moins, pas même un prince. Et tenez, monseigneur, pour que vous en soyez bien sûr, je le jure par mon nom et sur ce poignard.

Et il mit la lame du poignard presque sur la poitrine du prince, qui recula.

– Monsieur, vous me menacez! dit François, pâle de colère et de rage.

– Non, mon prince; comme tout à l'heure, je vous avertis seulement.

– Et de quoi m'avertissez-vous?

– Que personne n'aura ma femme.

– Et moi, maître sot, s'écria le duc d'Anjou hors de lui, je vous réponds que vous m'avertissez trop tard, et que quelqu'un l'a déjà.

Monsoreau poussa un cri terrible en enfonçant ses deux mains dans ses cheveux.

– Ce n'est pas vous? balbutia-t-il, ce n'est pas vous, monseigneur?

Et son bras, toujours armé, n'avait qu'à s'étendre pour aller percer la poitrine du prince.

François se recula.

– Vous êtes en démence, comte, dit-il en s'apprêtant à frapper sur le timbre.

– Non, je vois clair, je parle raison et j'entends juste; vous venez de dire que quelqu'un possède ma femme; vous l'avez dit.

– Je le répète.

– Nommez cette personne et prouvez le fait.

– Qui était embusqué, ce soir, à vingt pas de votre porte, avec un mousquet?

– Moi.

– Eh bien, comte, pendant ce temps…

– Pendant ce temps…

– Un homme était chez vous, ou plutôt chez votre femme.

– Vous l'avez vu entrer?

– Je l'ai vu sortir.

– Par la porte?

– Par la fenêtre.

– Vous avez reconnu cet homme?

– Oui, dit le duc.

– Nommez-le, s'écria Monsoreau, nommez-le, monseigneur, ou je ne réponds de rien.

Le duc passa sa main sur son front, et quelque chose comme un sourire passa sur ses lèvres.

– Monsieur le comte, dit-il, foi de prince du sang, sur mon Dieu et sur mon âme, avant huit jours, je vous ferai connaître l'homme qui possède votre femme.

– Vous le jurez? s'écria Monsoreau.

– Je vous le jure.

– Eh bien, monseigneur, à huit jours, dit comte en frappant sa poitrine à l'endroit où était le papier signé du prince… à huit jours, ou vous comprenez.

– Revenez dans huit jours: voilà tout ce que j'ai à vous dire.

– Aussi bien cela vaut mieux, dit Monsoreau. Dans huit jours j'aurai toutes mes forces, et il a besoin de toutes ses forces celui qui veut se venger.

Et il sortit en faisant au prince un geste d'adieu que l'on eût pu, facilement prendre pour un geste de menace.

XXIII Une promenade aux Tournelles.

Cependant peu à peu les gentilshommes angevins étaient revenus à Paris.

Dire qu'ils y rentraient avec confiance, on ne le croirait pas. Ils connaissaient trop bien le roi, son frère et sa mère, pour espérer que les choses se passassent en embrassades de famille.

Ils se rappelaient toujours cette chasse qui leur avait été faite par les amis du roi, et ils ne voulaient pas se décider à croire qu'on pût leur donner un triomphe pour pendant à cette cérémonie assez désagréable.

Ils revenaient donc timidement, et se glissaient en ville armés jusqu'à la gorge, prêts à faire feu sur le moindre geste suspect, et ils dégainèrent cinquante fois, avant d'arriver à l'hôtel d'Anjou, contre des bourgeois qui n'avaient commis d'autre crime que de les regarder passer. Antraguet surtout se montrait féroce, et reportait toutes ces disgrâces à MM. les mignons du roi, se promettant de leur en dire, à l'occasion, deux mots fort explicites.

Il fit part de ce projet à Ribérac, homme de bon conseil, et celui-ci lui répondit qu'avant de se donner un pareil plaisir il fallait avoir à sa portée une frontière ou deux.

– On s'arrangera pour cela, dit Antraguet.

Le duc leur fit bon accueil. C'étaient ses hommes à lui, comme MM. de Maugiron, Quélus, Schomberg et d'Épernon étaient ceux du roi.

Il débuta par leur dire:

– Mes amis, on songe à vous tuer un peu, à ce qu'il paraît. Le vent est à ces sortes de réceptions; gardez-vous bien.

– C'est fait, monseigneur, répliqua Antraguet; mais ne convient-il pas que nous allions offrir à Sa Majesté nos très humbles respects? Car enfin, si nous nous cachons, cela ne fera pas honneur à l'Anjou. Que vous en semble?

– Vous avez raison, dit le duc; allez, et, si vous le voulez, je vous accompagnerai.

Les trois jeunes gens se consultèrent du regard. À ce moment, Bussy entra dans la salle et vint embrasser ses amis.

– Eh! dit-il, vous êtes bien en retard! Mais qu'est-ce que j'entends? Son Altesse qui propose d'aller se faire tuer au Louvre comme César dans le sénat de Rome! Songez donc que chacun de MM. les mignons emporterait volontiers un petit morceau de monseigneur sous son manteau.

– Mais, cher ami, nous voulons nous frotter un peu à ces messieurs.

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