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– L'épouser, ma sœur! s'écria Mayenne.

– Tiens, dit la duchesse, il y a de plus grandes dames que moi qui ont fait plus pour lui, et il n'était pas général d'armée à cette époque.

– Allons, allons, dit Mayenne, nous verrons tout cela plus tard; à l'œuvre maintenant!

– Qui est près du roi? demanda le duc de Guise.

– Le prieur et frère Gorenflot, à ce que je crois, dit le cardinal. Il faut qu'il ne voie que des visages de connaissance, sans cela, il s'effaroucherait tout d'abord.

– Oui, dit Mayenne, mangeons les fruits de la conspiration, mais ne les cueillons pas.

– Est-ce qu'il est déjà dans la cellule? dit madame de Montpensier, impatiente de donner au roi la troisième couronne qu'elle lui promettait depuis si longtemps…

– Oh! non pas, il verra d'abord le grand reposoir de la crypte, et il adorera les saintes reliques.

– Ensuite?

– Ensuite, le prieur lui adressera quelques paroles sonores sur la vanité des biens de ce monde; après quoi le frère Gorenflot, vous savez, celui qui a prononcé ce magnifique discours pendant la soirée de la Ligue…

– Oui, eh bien?

– Le frère Gorenflot essayera d'obtenir de sa conviction ce que nous répugnons d'arracher à sa faiblesse.

– En effet, cela vaudrait infiniment mieux ainsi, dit le duc rêveur.

– Bah! Henri est superstitieux et affaibli, dit Mayenne, je réponds qu'il cédera à la peur de l'enfer.

– Et moi, je suis moins convaincu que vous, dit le duc; mais nos vaisseaux sont brûlés, il n'y a plus à revenir en arrière. Maintenant, après la tentative du prieur, après le discours de Gorenflot, si l'un et l'autre échouent, nous essayerons du dernier moyen, c'est-à-dire de l'intimidation.

– Et alors je tondrai mon Valois, s'écria la duchesse, revenant toujours à sa pensée favorite.

En ce moment, une sonnette retentit sous les voûtes assombries par les premières ombres de la nuit.

– Le roi descend à la crypte, dit le duc de Guise; allons, Mayenne, appelez vos amis et redevenons moines.

Aussitôt les capuchons recouvrirent fronts audacieux, yeux ardents et cicatrices parlantes; puis trente ou quarante moines, conduits par les trois frères, se dirigèrent vers l'ouverture de la crypte.

XXIX Chicot Ier.

Le roi était plongé dans un recueillement qui promettait un succès facile aux projets de MM. de Guise.

Il visita la crypte avec toute la communauté, baisa la châsse, et termina toutes les cérémonies en se frappant la poitrine à coups redoublés et en marmottant les psaumes les plus lugubres.

Le prieur commença ses exhortations, que le roi écouta en donnant les mêmes signes de contrition fervente.

Enfin, sur un geste du duc de Guise, Joseph Foulon s'inclina devant Henri et lui dit:

– Sire, vous plairait-il de venir maintenant déposer votre couronne terrestre aux pieds du maître éternel?

– Allons… répliqua simplement le roi.

Et aussitôt toute la communauté, formant la haie sur son passage, s'achemina vers les cellules, dont on entrevoyait, à gauche, le corridor principal.

Henri semblait très attendri. Ses mains ne cessaient de battre sa poitrine; le gros chapelet, qu'il roulait vivement, sonnait sur les têtes de mort en ivoire suspendues à sa ceinture.

On arriva enfin à la cellule: au seuil, se carrait Gorenflot, le visage enluminé, l'œil brillant comme une escarboucle.

– Ici? fit le roi.

– Ici même, répliqua le gros moine.

Le roi pouvait hésiter, en effet, parce qu'au bout de ce corridor on voyait une porte, ou plutôt une grille assez mystérieuse, ouvrant sur une pente rapide et n'offrant à l'œil que des ténèbres épaisses.

Henri entra dans la cellule.

– Hic portus salutis? murmura-t-il de sa voix émue.

– Oui, répondit Foulon, ici est le port.

– Laissez-nous, fit Gorenflot avec un geste majestueux.

Et aussitôt la porte se referma; les pas des assistants s'éloignèrent.

Le roi, avisant un escabeau dans le fond de la cellule, s'y plaça, les deux mains sur les genoux.

– Ah! te voilà, Hérodes! te voilà, païen! te voilà, Nabuchodonosor! dit Gorenflot sans transition aucune et en appuyant ses épaisses mains sur ses hanches.

Le roi sembla surpris.

– Est-ce à moi, dit-il, que vous parlez, mon frère?

– Oui, c'est à toi que je parle; et à qui donc? Peut-on dire une injure qui ne te soit pas convenable?

– Mon frère… murmura le roi.

– Bah! tu n'as pas de frère ici. Voilà assez longtemps que je médite un discours… tu l'auras… Je le divise en trois points, comme tout bon prédicateur. D'abord tu es un tyran, ensuite tu es un satyre, enfin tu es un détrôné; voilà sur quoi je vais parler.

– Détrôné! mon frère… dit avec explosion le roi perdu dans l'ombre.

– Ni plus, ni moins. Ce n'est pas ici comme en Pologne, et tu ne t'enfuiras pas…

– Un guet-apens!

– Oh! Valois, apprends qu'un roi n'est qu'un homme, lorsqu'il est homme encore.

– Des violences, mon frère!

– Pardieu! crois-tu que nous t'emprisonnions pour te ménager?

– Vous abusez de la religion, mon frère.

– Est-ce qu'il y a une religion! s'écria Gorenflot.

– Oh! fit le roi, un saint dire de pareilles choses!

– Tant pis, j'ai dit.

– Vous vous damnerez…

– Est-ce qu'on se damne!

– Vous parlez en mécréant, mon frère.

– Allons! pas de capucinades; es-tu prêt, Valois?

– À quoi faire?

– À déposer ta couronne. On m'a chargé de t'y inviter; je t'y invite.

– Mais vous faites un péché mortel!

– Oh! oh! fit Gorenflot avec un sourire cynique, j'ai droit d'absolution, et je m'absous d'avance; voyons, renonce, frère Valois.

– À quoi?

– Au trône de France.

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