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XXXIV Où Chicot devine pourquoi d'Éperon avait du sang aux pieds et n'en avait pas aux joues.

Le roi, en rentrant au Louvre, trouva ses amis couchés et dormant d'un paisible sommeil.

Les événements historiques ont une singulière influence, c'est de refléter leur grandeur sur les circonstances qui les ont précédés.

Ceux qui considéreront donc les événements qui devaient arriver le matin même, car le roi rentrait vers deux heures au Louvre; ceux, disons-nous, qui considéreront ces événements avec le prestige que donne la prescience, trouveront peut-être quelque intérêt à voir le roi, qui vient de manquer perdre la couronne, se réfugier près de ses trois amis, qui, dans quelques heures, doivent affronter pour lui un danger où ils risquent de perdre la vie.

Le poète, cette nature privilégiée qui ne prévoit pas, mais qui devine, trouvera, nous en sommes certain, mélancoliques et charmants ces jeunes visages que le sommeil rafraîchit, que la confiance fait sourire, et qui, pareils à des frères couchés dans le dortoir paternel, reposent sur leurs lits rangés à côté les uns des autres.

Henri s'avança légèrement au milieu d'eux, suivi par Chicot, qui, après avoir déposé son patient en lieu de sûreté, était venu rejoindre le roi.

Un lit était vide, celui de d'Épernon.

– Pas rentré encore, l'imprudent! murmura le roi; ah! le malheureux! ah! le fou! se battre contre Bussy, l'homme le plus brave de France, le plus dangereux du monde, et n'y pas plus songer!

– Tiens, au fait, dit Chicot.

– Qu'on le cherche! qu'on l'amène! s'écria le roi. Puis qu'on me fasse venir Miron; je veux qu'il endorme cet étourdi, fût-ce malgré lui. Je veux que le sommeil le rende robuste et souple, et en état de se défendre.

– Sire, dit un huissier, voici M. d'Épernon qui rentre à l'instant même.

D'Épernon venait de rentrer, en effet. Apprenant le retour du roi, et se doutant de la visite qu'il allait faire au dortoir, il se glissait vers la chambre commune, espérant y arriver inaperçu.

Mais on le guettait, et, comme nous l'avons vu, on annonça son retour au roi. Voyant qu'il n'y avait pas moyen d'échapper à la mercuriale, il aborda le seuil, tout confus.

– Ah! te voilà enfin! dit Henri; viens ici, malheureux, et vois les amis.

D'Épernon jeta un regard tout autour de la chambre, et fit signe qu'effectivement il avait vu.

– Vois tes amis, continua Henri: ils sont sages, ils ont compris de quelle importance est le jour de demain; et toi, malheureux, au lieu de prier comme ils ont fait, et de dormir comme ils font, tu vas courir le passe-dix et les ribaudes. Cordieu! que tu es pâle! et la belle figure que tu feras demain, si tu n'en peux déjà plus ce soir!

D'Épernon était bien pâle, en effet, si pâle, que la remarque du roi le fit rougir.

– Allons, continua Henri, couche-toi, je le veux! et dors. Pourras-tu dormir, seulement?

– Moi? dit d'Épernon comme si une pareille question le blessait au fond du cœur.

– Je te demande si tu auras le temps de dormir. Sais-tu que vous vous battez au jour; que, dans cette malheureuse saison, le jour vient à quatre heures? il en est deux; deux heures te restent à peine.

– Deux heures bien employées, dit d'Épernon, suffisent à bien des choses.

– Tu dormiras?

– Parfaitement, sire.

– Et moi, je n'en crois rien.

– Pourquoi cela?

– Parce que tu es agité, tu penses à demain. ***‹p›*** Hélas! tu as raison, car demain, c'est aujourd'hui. Mais, malgré moi, m'emporte le désir secret de dire que nous ne sommes point encore arrivés au jour fatal.

– Sire, dit d'Épernon, je dormirai, je vous le promets; mais, pour cela, faut-il encore que Votre Majesté me laisse dormir.

– C'est juste, dit Chicot.

En effet, d'Épernon se déshabilla, et se coucha avec un calme et même une satisfaction qui parurent de bon augure au prince et à Chicot.

– Il est brave comme un César, dit le roi.

– Si brave, fit Chicot en se grattant l'oreille, que, ma parole d'honneur, je n'y comprends plus rien.

– Vois, il dort déjà.

Chicot s'approcha du lit; car il doutait que la sécurité de d'Épernon allât jusque-là.

– Oh! oh! fit-il tout à coup.

– Quoi donc? demanda le roi.

– Regarde.

Et, du doigt, Chicot montra au roi les bottes de d'Épernon.

– Du sang, murmura te roi.

– Il a marché dans le sang, mon fils. Quel brave!

– Serait-il blessé? demanda, le roi avec inquiétude.

– Bah! il l'aurait dit. Et puis, à moins qu'il ne fût blessé comme Achille, au talon…

– Tiens, et son pourpoint aussi est taché, vois sa manche. Que lui est-il donc arrivé?

– Peut-être a-t-il tué quelqu'un, dit Chicot.

– Pourquoi faire?

– Pour se faire la main, donc!

– C'est singulier! fit le roi.

Chicot se gratta beaucoup plus sérieusement l'oreille.

– Hum! hum! dit-il.

– Tu ne me réponds pas.

– Si fait; je fais: hum! hum! Cela signifie beaucoup de choses, ce me semble.

– Mon Dieu! dit Henri, que se passe-t-il donc autour de moi, et quel est l'avenir qui m'attend? Heureusement que demain…

– Aujourd'hui, mon fils, tu confonds toujours.

– Oui, c'est vrai.

– Eh bien, aujourd'hui?

– Aujourd'hui je serai tranquille.

– Pourquoi cela?

– Parce qu'ils m'auront tué les Angevins maudits.

– Tu crois, Henri?

– J'en suis sûr, ils sont braves.

– Je n'ai pas entendu dire que les Angevins fussent lâches.

– Non sans doute; mais vois comme ils sont forts, vois le bras de Schomberg: les beaux muscles! les beaux bras!

– Ah! si tu voyais celui d'Antraguet!

– Vois cette lèvre impérieuse de Quélus, et ce front de Maugiron, hautain jusque dans son sommeil! Avec de telles figures on ne peut manquer de vaincre. Ah! quand ces yeux-là lancent l'éclair, l'ennemi est déjà à moitié vaincu.

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