Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Le roi alors rentra dans sa chambre, en fit fermer les volets, défendit à qui que ce fût, dans le Louvre, de pousser un cri ou de proférer une parole, et dit seulement à Crillon, qui savait tout ce qui allait se passer:

– Si nous sommes vainqueurs, Crillon, tu me le diras; si, au contraire, nous sommes vaincus, tu frapperas trois coups à ma porte.

– Oui, sire, répondit Crillon en secouant la tête.

XXXVI Les amis de Bussy.

Si les amis du roi avaient passé la nuit à dormir tranquillement, ceux du duc d'Anjou avaient pris la même précaution.

À la suite d'un bon souper auquel ils s'étaient réunis d'eux-mêmes, sans le conseil ni la présence de leur patron, qui ne prenait pas de ses favoris les mêmes inquiétudes que le roi prenait des siens, ils se couchèrent dans de bons lits, chez Antraguet, dont la maison avait été choisie comme lieu de réunion, se trouvant la plus proche du champ de bataille.

Un écuyer, celui de Ribérac, grand chasseur et habile armurier, avait passé toute la journée à nettoyer, fourbir et aiguiser les armes.

Il fut, en outre, chargé de réveiller les jeunes gens au point du jour: c'était son habitude tous les matins de fête, de chasse ou de duel.

Antraguet, avant de souper, s'en était allé voir, rue Saint-Denis, une petite marchande qu'il idolâtrait et qu'on n'appelait, dans tout le quartier, que la belle imagière. Ribérac avait écrit à sa mère; Livarot avait fait son testament.

À trois heures sonnant, c'est-à-dire quand les amis du roi s'éveillaient à peine, ils étaient déjà tous sur pied, frais, dispos et armés de bonne sorte.

Ils avaient pris des caleçons et des bas rouges pour que leurs ennemis ne vissent pas leur sang, et que ce sang ne les effrayât point eux-mêmes; ils avaient des pourpoints de soie grise, afin, si l'on se battait tout habillé, qu'aucun pli ne gênât leurs mouvements. Enfin ils étaient chaussés de souliers sans talons, et leurs pages portaient leurs épées, pour que leur bras et leur épaule n'éprouvassent aucune fatigue.

C'était un admirable temps pour l'amour, pour la bataille ou pour la promenade: le soleil dorait les pignons des toits sur lesquels fondait étincelante la rosée de la nuit.

Une senteur âcre et délicieuse en même temps moulait des jardins et se répandait par les rues.

Le pavé était sec et l'air vif.

Avant de sortir de la maison, les jeunes gens avaient fait demander au duc d'Anjou des nouvelles de Bussy.

On leur avait fait répondre qu'il était sorti la veille à dix heures du soir, et qu'il n'était pas rentrée depuis.

Le messager s'informa s'il était sorti seul et armé.

Il apprit qu'il était sortit accompagné de Remy, et que tous deux avaient leurs épées.

Au reste, on n'était point inquiet chez le comte, il faisait souvent des absences semblables; puis on le savait si fort, si brave et si adroit, que ses absences, même prolongées, causaient peu d'inquiétudes.

Les trois amis se firent répéter tous ces détails.

– Bon, dit Antraguet, n'avez-vous pas entendu dire, messieurs, que le roi avait commandé une grande chasse au cerf dans la forêt de Compiègne, et que M. de Monsoreau avait, à cet effet, dû partir hier?

– Oui, répondirent les jeunes gens.

– Alors je sais où il est: tandis que le grand veneur détourne le cerf, lui chasse la biche du grand veneur. Soyez tranquilles, messieurs, il est plus près du terrain que nous, et il y sera avant nous.

– Oui, dit Livarot, mais fatigué, harassé, n'ayant pas dormi.

Antraguet haussa les épaules.

– Est-ce que Bussy se fatigue? répliqua-t-il. Allons! en route, en route, messieurs, nous le prendrons en passant.

Tous se mirent en marche.

C'était juste le moment où Henri distribuait les épées à leurs ennemis; ils avaient donc dix minutes à peu près d'avance sur eux.

Comme Antraguet demeurait vers Saint-Eustache, ils prirent la rue des Lombards, la rue de la Verrerie et enfin la rue Saint-Antoine.

Toutes ces rues étaient désertes.

Les paysans qui venaient de Montreuil, de Vincennes ou de Saint-Maur-les-Fossés, avec leur lait et leurs légumes, et qui dormaient sur leurs chariots ou sur leurs mules, étaient seuls admis à voir cette fière escouade de trois vaillants hommes suivis de leurs trois pages et de leurs trois écuyers.

Plus de bravades, plus de cris, plus de menaces: lorsqu'on se bat pour tuer ou pour être tué, qu'on sait que le duel, de part et d'autre, sera acharné, mortel, sans miséricorde, on réfléchit; les plus étourdis des trois étaient, ce matin-là, les plus rêveurs.

En arrivant à la hauteur de la rue Sainte-Catherine, tous trois portèrent, avec un sourire qui indiquait qu'une même pensée les tenait en ce moment, leurs yeux vers la petite maison de Monsoreau.

– On verra bien de là, dit Antraguet, et je suis sûr que la pauvre Diane viendra plus d'une fois à sa fenêtre.

– Tiens! dit Ribérac, elle y est déjà venue, ce me semble.

– Pourquoi cela?

– Elle est ouverte.

– C'est vrai. Mais pourquoi cette échelle dressée devant la fenêtre, quand le logis a des portes?

– En effet, c'est bizarre, dit Antraguet.

Tous trois s'approchèrent de la maison, avec le pressentiment intérieur qu'ils marchaient à quelque grave révélation.

– Et nous ne sommes pas les seuls à nous étonner, dit Livarot: voyez ces paysans qui passent, et qui se dressent dans leur voiture pour regarder.

Les jeunes gens arrivèrent sous le balcon.

Un maraîcher y était déjà, et semblait examiner la terre.

– Eh! seigneur de Monsoreau, cria Antraguet, venez-vous nous voir? En ce cas, dépêchez-vous, car nous tenons à arriver les premiers.

Ils attendirent, mais inutilement.

– Personne ne répond, dit Ribérac; mais pourquoi, diable! cette échelle?

– Eh! manant, dit Livarot au maraîcher, que fais-tu là? Est-ce que c'est toi qui as dressé cette échelle?

– Dieu m'en garde, messieurs! répondit-il.

– Et pourquoi cela? demanda Antraguet.

– Regardez donc là-haut.

Tous trois levèrent la tête.

– Du sang! s'écria Ribérac.

– Ma foi, oui, du sang, dit le villageois, et qui est bien noir, même.

78
{"b":"125128","o":1}