En effet, Jeanne arrivait radieuse, éblouissante de bonheur et pétillante de malice. Il y a de ces heureuses natures qui font de tout ce qui les environne, comme l'alouette aux champs, un réveil joyeux, un riant augure.
Bussy la salua en ami. Elle lui tendit la main, ce qui prouve bien que ce n'est pas le plénipotentiaire Dubois qui a rapporté cette mode d'Angleterre avec le traité de la quadruple alliance.
– Comment vont les amours? dit-elle en liant son bouquet avec une tresse d'or.
– Ils se meurent, dit Bussy.
– Bon! ils sont blessés, et ils s'évanouissent, dit Saint-Luc; je gage que vous allez les faire revenir à eux, Jeanne.
– Voyons, dit-elle, qu'on me montre la plaie.
– En deux mots, voici, reprit Saint-Luc. M. de Bussy n'aime pas à sourire au comte de Monsoreau, et il a formé le dessein de se retirer.
– Et de lui laisser Diane? s'écria Jeanne avec effroi.
Bussy, inquiet de cette première démonstration, ajouta:
– Oh! madame, Saint-Luc ne vous dit pas que je veux mourir.
Jeanne le regarda un moment avec une compassion qui n'était pas évangélique.
– Pauvre Diane! murmura-t-elle; aimez donc! Décidément les hommes sont tous des ingrats!
– Bon! fît Saint-Luc, voilà la morale de ma femme.
– Ingrat, moi! s'écria Bussy, parce que je crains d'avilir mon amour en le soumettant aux lâches pratiques de l'hypocrisie.
– Eh! monsieur, ce n'est là qu'un méchant prétexte, dit Jeanne. Si vous étiez bien épris, vous ne craindriez qu'une sorte d'avilissement; n'être plus aimé.
– Ah! ah! fit Saint-Luc, ouvrez votre escarcelle, mon cher.
– Mais, madame, dit affectueusement Bussy, il est des sacrifices tels…
– Plus un mot. Avouez que vous n'aimez plus Diane, ce sera plus digne d'un galant homme.
Bussy pâlit à cette seule idée.
– Vous n'osez pas le dire; eh bien, moi, je le lui dirai.
– Madame! madame!
– Vous êtes plaisants, vous autres, avec vos sacrifices… Et nous, n'en faisons-nous pas, des sacrifices? Quoi! s'exposer à se faire massacrer par ce tigre de Monsoreau; conserver tous ses droits à un homme en déployant une force, une volonté dont Samson et Annibal eussent été incapables; dompter la bête féroce de Mars pour l'atteler au char de M. le triomphateur, ce n'est pas de l'héroïsme! Oh! je le jure, Diane est sublime, et je n'eusse pas fait le quart de ce qu'elle fait chaque jour.
– Merci, répondit Saint-Luc avec un salut révérencieux, qui fit éclater Jeanne de rire.
Bussy hésitait.
– Et il réfléchit! s'écria Jeanne; il ne tombe pas à genoux, il ne fait pas son mea culpa!
– Vous avez raison, répliqua Bussy, je ne suis qu'un homme, c'est-à-dire une créature imparfaite et inférieure à la plus vulgaire des femmes.
– C'est bien heureux, dit Jeanne, que vous soyez convaincu.
– Que m'ordonnez-vous?
– Allez tout de suite rendre visite…
– À M. de Monsoreau?
– Eh! qui vous parle de cela?… à Diane.
– Mais ils ne se quittent pas, ce me semble.
– Quand vous alliez voir si souvent madame de Barbezieux, n'avait-elle pas toujours près d'elle ce gros singe qui vous mordait parce qu'il était jaloux?
Bussy se mit à rire, Saint-Luc l'imita, Jeanne suivit leur exemple; ce fut un trio d'hilarité qui attira aux fenêtres tout ce qui se promenait de courtisans dans les galeries.
– Madame, dit enfin Bussy, je m'en vais chez M. de Monsoreau. Adieu.
Et sur ce, ils se séparèrent, Bussy ayant recommandé à Saint-Luc de ne rien dire de la provocation adressée aux mignons.
Il s'en retourna en effet chez M. de Monsoreau, qu'il trouva au lit.
Le comte poussa des cris de joie en l'apercevant. Remy venait de promettre que sa blessure serait guérie avant trois semaines.
Diane posa un doigt sur ses lèvres: c'était sa manière de saluer.
Il fallut raconter au comte toute l'histoire du la commission dont le duc d'Anjou avait chargé Bussy, la visite à la cour, le malaise du roi, la froide mine des mignons. Froide mine fut le mot dont se servit Bussy. Diane ne fit qu'en rire.
Monsoreau, tout pensif à ces nouvelles, pria Bussy de se pencher vers lui, et lui dit à l'oreille:
– Il y a encore des projets sous jeu, n'est-ce pas?
– Je le crois, répliqua Bussy.
– Croyez-moi, dit Monsoreau, ne vous compromettez pas pour ce vilain homme; je le connais, il est perfide: je vous réponds qu'il n'hésite jamais au bord d'une trahison.
– Je le sais, dit Bussy avec un sourire qui rappela au comte la circonstance dans laquelle lui, Bussy, avait souffert de cette trahison du duc.
– C'est que, voyez-vous, dit Monsoreau, vous êtes mon ami, et je veux vous mettre en garde. Au surplus, chaque fois que vous aurez une position difficile, demandez-moi conseil.
– Monsieur! monsieur! il faut dormir après le pansement, dit Remy; allons, dormez!
– Oui, cher docteur. Mon ami, faites donc un tour de promenade avec madame de Monsoreau, dit le comte. On dit que le jardin est charmant cette année.
– À vos ordres, répondit Bussy.
XIX Les précautions de M. de Monsoreau.
Saint-Luc avait raison, Jeanne avait raison; au bout de huit jours, Bussy s'en était aperçu et leur rendait pleinement justice.
Être un homme d'autrefois eût été grand et beau pour la postérité; mais c'était n'être plus qu'un vieil homme, et Bussy, oublieux de Plutarque, qui avait cessé d'être son auteur favori depuis que l'amour l'avait corrompu, Bussy, beau comme Alcibiade, ne se souciant plus que du présent, se montrait désormais peu friand d'un article d'histoire près de Scipion ou de Bayard en leur jour de continence.
Diane était plus simple, plus nature, comme on dit aujourd'hui. Elle se laissait aller aux deux instincts que le misanthrope Figaro reconnaît innés dans l'espèce: aimer et tromper. Elle n'avait jamais eu l'idée de pousser jusqu'à la spéculation philosophique ses opinions sur ce que Charron et Montaigne appellent l'honneste.
– Aimer Bussy, c'était sa logique, – n'être qu'à Bussy, c'était sa morale, – frissonner de tout son corps au simple contact de sa main effleurée, c'était sa métaphysique.