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Elle était ouverte, en encadrant un beau ciel parsemé d'étoiles. Bussy referma et verrouilla la porte derrière lui; puis il monta sur la fenêtre à grand'peine, enjamba la rampe, et mesura des yeux la grille de fer, afin de sauter de l'autre côté.

– Oh! je n'aurai jamais la force! murmura-t-il.

Mais, en ce moment, il entendit des pas dans l'escalier; c'était la seconde troupe qui montait.

Bussy était hors de défense; il rappela toutes ses forces. S'aidant de la seule main et du seul pied dont il pût se servir encore, il s'élança.

Mais, en s'élançant, la semelle de sa botte glissa sur la pierre.

Il avait tant de sang aux pieds!

Il tomba sur les pointes du fer: les unes pénétrèrent dans son corps, les autres s'accrochèrent à ses habits, et il demeura suspendu.

En ce moment, il pensa au seul ami qui lui restât au monde.

– Saint-Luc! cria-t-il, à moi! Saint-Luc! à moi!

– Ah! c'est vous, monsieur de Bussy? dit tout à coup une voix sortant d'un massif d'arbres?

Bussy tressaillit. Cette voix n'était pas celle de Saint-Luc.

– Saint-Luc! cria-t-il de nouveau, à moi! à moi! ne crains rien pour Diane. J'ai tué le Monsoreau!

Il espérait que Saint-Luc était caché aux environs, et viendrait à cette nouvelle.

– Ah! le Monsoreau est tué? dit une autre voix.

– Oui.

– Bien.

Et Bussy vit deux hommes sortir du massif; ils étaient masqués tous deux.

– Messieurs, dit Bussy, messieurs, au nom du ciel, secourez un pauvre gentilhomme qui peut échapper encore, si vous le secourez.

– Qu'en pensez-vous, monseigneur? demanda à demi-voix un des deux inconnus.

– Imprudent! dit l'autre.

– Monseigneur! s'écria Bussy, qui avait entendu, tant l'acuité de ses sens s'était augmentée du désespoir de sa situation; monseigneur! délivrez-moi, et je vous pardonnerai de m'avoir trahi!

– Entends-tu? dit l'homme masqué.

– Qu'ordonnez-vous?

– Eh bien, que tu le délivres.

Puis il ajouta avec un rire que cacha son masque:

– De ses souffrances…

Bussy tourna la tête du côté par où venait la voix qui osait parler avec un accent railleur dans un pareil moment.

– Oh! je suis perdu! murmura-t-il.

En effet, au même moment, le canon d'une arquebuse se posa sur sa poitrine, et le coup partit.

La tête de Bussy retomba sur son épaule; ses mains se roidirent.

– Assassin! dit-il, sois maudit!

Et il expira en prononçant le nom de Diane.

Les gouttes de son sang tombèrent du treillis sur celui qu'on avait appelé monseigneur.

– Est-il mort? crièrent plusieurs hommes qui, après avoir enfoncé la porte, apparaissaient à la fenêtre.

– Oui, cria Aurilly, mais fuyez; songez que monseigneur le duc d'Anjou était le protecteur et l'ami de M. de Bussy.

Les hommes n'en demandèrent pas davantage; ils disparurent. Le duc entendit le bruit de leurs pas s'éloigner, décroître et se perdre.

– Maintenant, Aurilly, dit l'autre homme masqué, monte dans cette chambre, et jette-moi par la fenêtre le corps du Monsoreau.

Aurilly monta, reconnut, parmi ce nombre inouï de cadavres, le corps du grand veneur, le chargea sur ses épaules, et, comme le lui avait ordonné son compagnon, il jeta par la fenêtre le corps, qui, en tombant, vint à son tour éclabousser de son sang les habits du duc d'Anjou.

François fouilla sous le justaucorps du grand veneur et en tira l'acte d'alliance signé de sa royale main.

– Voilà ce que je cherchais, dit-il; nous n'avons plus rien à faire ici.

– Et Diane! demanda Aurilly, de la fenêtre.

– Ma foi! je ne suis plus amoureux; et, comme elle ne nous a pas reconnus, détache-la, détache aussi Saint-Luc, et que tous deux s'en aillent où ils voudront.

Aurilly disparut.

– Je ne serai pas roi de France de ce coup-ci encore, dit le duc en déchirant l'acte en morceaux. Mais, de ce coup-ci non plus, je ne serai pas encore décapité pour cause de haute trahison.

XXXIII Comment frère Gorenflot se trouva plus que jamais entre la potence et l'abbaye.

L'aventure de la conspiration fut jusqu'au bout une comédie; les Suisses, placés à l'embouchure de ce fleuve d'intrigue, non plus que les gardes françaises embusqués à son confluent, et qui avaient tendu là leurs filets pour y prendre les gros conspirateurs, ne purent pas même saisir le fretin.

Tout le monde avait filé par le passage souterrain.

Ils ne virent donc rien sortir de l'abbaye; ce qui fit qu'aussitôt la porte enfoncée, Crillon se mit à la tête d'une trentaine d'hommes et fit invasion dans Sainte-Geneviève avec le roi.

Un silence de mort régnait dans les vastes et sombres bâtiments. Crillon, en homme de guerre expérimenté, eût mieux aimé un grand bruit; il craignait quelque embûche.

Mais en vain se couvrit-on d'éclaireurs, en vain ouvrit-on les portes et les fenêtres, en vain fouilla-t-on la crypte, tout était désert.

Le roi marchait des premiers, l'épée à la main, criant à tue-tête:

– Chicot! Chicot!

Personne ne répondait.

– L'auraient-ils tué? disait le roi. Mordieu! ils me payeraient mon fou le prix d'un gentilhomme.

– Vous avez raison, sire, répondit Crillon, car c'en est un, et des plus braves.

Chicot ne répondait pas, parce qu'il était occupé à fustiger M. de Mayenne, et qu'il prenait un si grand plaisir à cette occupation, qu'il ne voyait ni n'entendait rien de ce qui se passait autour de lui.

Cependant, lorsque le duc eut disparu, lorsque Gorenflot fut évanoui, comme rien ne préoccupait plus Chicot, il entendit appeler et reconnut la voix royale.

– Par ici, mon fils, par ici! cria-t-il de toute sa force, en essayant de remettre au moins Gorenflot sur son derrière.

Il y parvint et l'adossa contre un arbre.

La force qu'il était obligé d'employer à cette œuvre charitable ôtait à sa voix une partie de sa sonorité, de sorte que Henri crut un instant remarquer que cette voix arrivait à lui empreinte d'un accent lamentable.

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