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– J'attends vos ordres, sire, et je les bénis, dussent-ils me frapper de mort.

– Mais enfin, où étiez-vous, hypocrite?

– Sire, je sauvais Votre Majesté, et je travaillais à la gloire et à la tranquillité de son règne.

– Oh! fit le roi pétrifié, sur mon honneur, l'audace est grande.

Bah! fit Chicot en se renversant en arrière, contez-nous donc cela, mon prince, ce doit être curieux.

– Sire, je le dirais à l'instant même à Votre Majesté, si Votre Majesté m'eût traité en frère; mais, comme elle me traite en coupable, j'attendrai que l'événement parle pour moi.

Sur ces mots, il salua de nouveau et plus profondément encore que la première fois, le roi son frère, et, se retournant vers Crillon et les autres officiers qui étaient là:

– Ça, dit-il, lequel d'entre vous, messieurs, va conduire le premier prince du sang de France à la Bastille?

Chicot réfléchissait: un éclair illumina son esprit.

– Ah! ah! murmura-t-il, je crois que je comprends, à cette heure, pourquoi M. d'Épernon avait tant de sang aux pieds et en avait si peu sur les joues.

XXXV Le matin du combat.

Un beau jour se levait sur Paris; aucun bourgeois ne savait la nouvelle; mais les gentilshommes royalistes et ceux du parti de Guise, ces derniers encore dans la stupeur, s'attendaient à l'événement, et prenaient des mesures de prudence pour complimenter à temps le vainqueur.

Ainsi qu'on l'a vu dans le chapitre précédent, le roi ne dormit point de toute la nuit: il pria et pleura; et, comme, après tout, c'était un homme brave et expérimenté, surtout en matière de duel, il sortit vers trois heures du matin avec Chicot, pour aller rendre à ses amis le seul office qu'il fût en son pouvoir de leur rendre.

Il alla visiter le terrain où devait avoir lieu le combat.

Ce fut une scène bien remarquable, et, disons-le sans raillerie, bien peu remarquée.

Le roi, vêtu d'habits de couleur sombre, enveloppé d'un large manteau, l'épée au côté, les cheveux et les yeux cachés sous les bords de son chapeau, suivit la rue Saint-Antoine jusqu'à trois cents pas en avant de la Bastille; mais, arrivés là, voyant un grand rassemblement de monde un peu au-dessus de la rue Saint-Paul, il ne voulut point se hasarder dans cette foule, prit la rue Sainte-Catherine, et gagna par derrière l'enclos des Tournelles.

Cette foule, on devine ce qu'elle faisait là: elle comptait les morts de la nuit.

Le roi l'évita, et, en conséquence, ne sut rien de ce qui s'était passé.

Chicot, qui avait assisté à la querelle ou plutôt à l'accord qui avait eu lieu huit jours auparavant, expliquait au roi, sur l'emplacement même où l'affaire allait se passer, la place que devaient occuper les combattants, et les conditions du combat.

À peine renseigné, Henri se mit à mesurer l'espace, regarda entre les arbres, calcula la réflexion du soleil, et dit:

– Quélus se trouvera bien exposé: il aura le soleil à droite, juste dans l'œil qui lui reste, [3] tandis que Maugiron aura toute l'ombre. Quélus aurait dû prendre la place de Maugiron, et Maugiron, qui a des yeux excellents, celle de Quélus. Voilà qui est bien mal réglé jusqu'à présent. Quant à Schomberg, qui a le jarret faible, il a un arbre pour lui servir de retraite en cas de besoin; voilà qui me rassure pour lui. Mais Quélus, mon pauvre Quélus!

Et il secoua tristement la tête.

– Tu me fais peine, mon roi, dit Chicot. Voyons, ne te tourmente pas ainsi, que diable! ils auront ce qu'ils auront.

Le roi leva les yeux au ciel et soupira.

– Voyez, mon Dieu! comme il blasphème, murmura-t-il; mais heureusement vous savez que c'est un fou.

Chicot leva les épaules.

– Et d'Épernon, reprit le roi; je suis, par ma foi, injuste, je ne pensais pas à lui; d'Épernon, qui aura affaire à Bussy, comme il va être exposé!… Regarde la disposition du terrain, mon brave Chicot: à gauche, une barrière; à droite, un arbre; derrière, un fossé; d'Épernon, qui aura besoin de rompre à tout moment, car Bussy, c'est un tigre, un lion, un serpent; Bussy, c'est une épée vivante, qui bondit, qui se développe, qui se replie.

– Bah! dit Chicot, je ne suis pas inquiet de d'Épernon, moi.

– Tu as tort, il se fera tuer.

– Lui! pas si bête; il aura pris ses précautions, va!

– Comment l'entends-tu?

– J'entends qu'il ne se battra pas, mordieu!

– Allons donc! ne l'as-tu pas entendu tout à l'heure?

– Justement.

– Eh bien?

– Eh bien, c'est pour cela que je te répète qu'il ne se battra point.

– Homme incrédule et méprisant!

– Je connais mon Gascon, Henri; mais, si tu m'en crois, retirons-nous, cher sire; voilà le grand jour venu, retournons au Louvre.

– Peux-tu, croire que je resterai au Louvre pendant le combat?

– Ventre de biche! tu y resteras; car, si l'on te voyait ici, chacun dirait, au cas où tes amis seraient vainqueurs, que tu as forcé la victoire par quelque sortilège, et, au cas où ils seraient vaincus, que tu leur as porté malheur.

– Eh! que me font les bruits et les interprétations? Je les aimerai jusqu'au bout.

– Je veux bien que tu sois esprit fort, Henri, je te fais même mon compliment d'aimer tes amis; c'est une vertu rare chez les princes; mais je ne veux pas que tu laisses M. d'Anjou seul au Louvre.

– Crillon n'est-il pas là?

– Eh! Crillon n'est qu'un buffle, un rhinocéros, un sanglier, tout ce que tu voudras de brave et d'indomptable, tandis que ton frère, c'est la vipère, c'est le serpent à sonnettes, c'est tout animal dont la puissance est moins dans sa force que dans son venin.

– Tu as raison, j'aurais dû le faire jeter à la Bastille.

– Je t'avais bien dit que tu avais tort de le voir.

– Oui, j'ai été vaincu par son assurance, par son aplomb, par ce service qu'il prétend m'avoir rendu.

– Raison de plus pour que tu t'en défies. Rentrons, mon fils, crois-moi.

Henri suivit le conseil de Chicot et reprit avec lui le chemin du Louvre, après avoir jeté un dernier regard sur le futur champ du combat.

Déjà tout le monde était sur pied dans le Louvre, lorsque le roi et Chicot y entrèrent. Les jeunes gens s'y étaient éveillés des premiers et se faisaient habiller par leurs laquais.

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