– Cher ami, dit Chicot en secouant tristement la tête, il y a, au-dessous de fronts aussi hautains que celui-ci, des yeux que je connais, qui lancent des éclairs non moins terribles que ceux sur lesquels tu comptes. Est-ce là tout ce qui te rassure?
– Non, viens, et je te montrerai quelque chose.
– Où cela?
– Dans mon cabinet.
– Et ce quelque chose que tu vas me montrer te donne la confiance de la victoire?
– Oui.
– Viens donc.
– Attends.
Et Henri fit un pas pour se rapprocher des jeunes gens.
– Quoi? demanda Chicot.
– Écoute, je ne veux, demain, ou plutôt aujourd'hui, ni les attrister, ni les attendrir. Je vais prendre congé d'eux tout de suite.
Chicot secoua la tête.
– Prends, mon fils, dit-il.
L'intonation de voix avec laquelle il prononça ces paroles était si mélancolique, que le roi sentit un frisson qui parcourait ses veines et qui conduisait une larme a ses yeux arides.
– Adieu, mes amis, murmura le roi; adieu, mes bons amis.
Chicot se détourna, son cœur n'était pas plus de marbre que celui du roi.
Mais bientôt, comme malgré lui, ses yeux se reportèrent sur les jeunes gens.
Henri se penchait vers eux, et les baisait au front l'un après l'autre.
Une pâle bougie rose éclairait cette scène, et communiquait sa teinte funèbre aux draperies de la chambre et aux visages des acteurs.
Chicot n'était pas superstitieux; mais, lorsqu'il vit Henri toucher de ses lèvres le front de Maugiron, de Quélus et de Schomberg, son imagination lui représenta un vivant désolé qui venait faire ses adieux à des morts déjà couchés sur leurs tombeaux.
– C'est singulier, dit Chicot, je n'ai jamais éprouvé cela; pauvres enfants!
À peine le roi eut-il achevé d'embrasser ses amis, que d'Épernon rouvrit les yeux pour voir s'il était parti.
Il venait de quitter la chambre, appuyé sur le bras de Chicot.
D'Épernon sauta en bas de son lit, et se mit à effacer du mieux qu'il put les taches de sang empreintes sur ses bottes et sur son habit.
Cette occupation ramena sa pensée vers la scène de la place de la Bastille.
– Je n'eusse jamais eu, murmura-t-il, assez de sang pour cet homme qui en a tant versé ce soir à lui seul.
Et il se recoucha.
Quant à Henri, il conduisit Chicot à son cabinet, et, ouvrant un long coffret d'ébène doublé de satin blanc:
– Tiens, dit-il, regarde.
– Des épées, fit Chicot. Je vois bien. Après.
– Oui, des épées; mais des épées bénites, cher ami.
– Par qui?
– Par notre saint-père le pape lui-même, lequel m'accorde cette faveur. Tel que tu le vois, ce coffret, pour aller à Rome et revenir, me coûte vingt chevaux et quatre hommes; mais j'ai les épées.
– Piquent-elles bien? demanda Chicot.
– Sans doute; mais ce qui fait leur mérite suprême, Chicot, c'est d'être bénites.
– Oui, je le sais bien; mais cela me fait toujours plaisir de savoir qu'elles piquent.
– Païen!
– Voyons, mon fils, maintenant parlons d'autres choses.
– Soit; mais dépêchons.
– Tu veux dormir?
– Non, je veux prier.
– En ce cas, parlons d'affaires. As-tu fait venir M. d'Anjou?
– Oui, il attend en bas.
– Que comptes-tu en faire?
– Je compte le faire jeter à la Bastille.
– C'est fort sage. Seulement choisis un cachot bien profond, bien sûr, bien clos; celui, par exemple, qui a reçu le connétable de Saint-Pol ou Jacques d'Armagnac.
– Oh! sois tranquille.
– Je sais où l'on vend de beau velours noir, mon fils.
– Chicot, c'est mon frère!
– C'est juste, et, à la cour, le deuil de famille se porte en violet. Lui parleras-tu?
– Oui, certainement, ne fût-ce que pour lui ôter tout espoir, en lui prouvant que ses complots sont découverts.
– Hum! fit Chicot.
– Vois-tu quelque inconvénient à ce que je l'entretienne?
– Non; mais, à ta place, je supprimerais le discours et doublerais la prison.
– Qu'on amène le duc d'Anjou! dit Henri.
– C'est égal, dit Chicot en secouant la tête, je m'en tiens à ma première idée.
Un moment après, le duc entra; il était fort pâle et désarmé. Crillon le suivait, tenant son épée à la main.
– Où l'avez-vous trouvé? demanda le roi à Crillon, l'interrogeant du même ton que si le duc n'eût point été là.
– Sire, Son Altesse n'était pas chez elle, mais un instant après que j'eus pris possession de son hôtel au nom de Votre Majesté, Son Altesse est rentrée, et nous l'avons arrêtée sans résistance.
– C'est bien heureux, dit le roi avec dédain.
Puis, se retournant vers le prince:
– Où étiez-vous, monsieur? demanda-t-il.
– Quelque part que je fusse, sire, soyez convaincu, répondit le duc, que je m'occupais de vous.
– Je m'en doute, dit Henri, et votre réponse me prouve que je n'avais pas tort de vous rendre la pareille.
François s'inclina, calme et respectueux.
– Voyons; où étiez-vous? dit le roi en marchant vers son frère, que faisiez-vous tandis qu'on arrêtait vos complices?
– Mes complices? dit François.
– Oui, vos complices, répéta le roi.
– Sire, à coup sûr, Votre Majesté est mal renseignée à mon égard.
– Oh! cette fois, monsieur, vous ne m'échapperez pas, et votre carrière de crimes est terminée. Cette fois encore vous n'hériterez pas de moi, mon frère…
– Sire, sire, par grâce, modérez-vous: il y a bien certainement quelqu'un qui vous aigrit contre moi.
– Misérable! s'écria Henri au comble de la colère, tu mourras de faim dans un cachot de la Bastille.