Mais il ne trouva que Chicot, assis sur une pierre et dessinant des figures géographiques sur le sable.
III Comment Chicot et la reine mère se trouvant être du même avis, le roi se rangea à l'avis de Chicot et de la reine mère.
Henri s'assura que c'était bien le Gascon, qui, non moins attentif qu'Archimède, ne paraissait pas décidé à se retourner, Paris fût-il pris d'assaut.
– Ah! malheureux, s'écria-t-il d'une voix tonnante, voilà donc comme tu défends ton roi?
– Je le défends à ma manière, et je crois que c'est la bonne.
– La bonne! s'écria le roi, la bonne, paresseux!
– Je le maintiens et je le prouve.
– Je suis curieux de voir cette preuve.
– C'est facile: d'abord, nous avons fait une grande bêtise, mon roi; nous avons fait une immense bêtise.
– En quoi faisant?
– En faisant ce que nous avons fait.
– Ah! ah! fit Henri frappé de la corrélation de ces deux esprits éminemment subtils, et qui n'avaient pu se concerter pour en venir au même résultat.
– Oui, répondit Chicot, tes amis, en criant par la ville: Mort aux Angevins! et, maintenant que j'y réfléchis, il ne m'est pas bien prouvé que ce soient les Angevins qui aient fait le coup; tes amis, dis-je, en criant par la ville: Mort aux Angevins! font tout simplement cette petite guerre civile que MM. de Guise n'ont pas pu faire, et dont ils ont si grand besoin; et, vois-tu, à l'heure qu'il est, Henri, ou tes amis sont parfaitement morts, ce qui ne me déplairait pas, je l'avoue, mais ce qui t'affligerait, toi; ou ils ont chassé les Angevins de la ville, ce qui te déplairait fort, à toi, mais ce qui, en échange, réjouirait énormément ce cher M. d'Anjou.
– Mordieu! s'écria le roi, crois-tu donc que les choses sont déjà si avancées que tu dis là?
– Si elles ne le sont pas davantage.
– Mais tout cela ne m'explique pas ce que tu fais assis sur cette pierre.
– Je fais une besogne excessivement pressée, mon fils.
– Laquelle?
– Je trace la configuration des provinces que ton frère va faire révolter contre nous, et je suppute le nombre d'hommes que chacune d'elles pourra fournir à la révolte.
– Chicot! Chicot! s'écria le roi, je n'ai donc autour de moi que des oiseaux de mauvais augure!
– Le hibou chante pendant la nuit, mon fils, répondit Chicot, car il chante à son heure. Or le temps est sombre, Henriquet, si sombre, en vérité, qu'on peut prendre le jour pour la nuit, et je te chante ce que tu dois entendre. Regarde!
– Quoi!
– Regarde ma carte géographique, et juge. Voici d'abord l'Anjou, qui ressemble assez à une tartelette; tu vois? c'est là que ton frère s'est réfugié; aussi je lui ai donné la première place, hum! L'Anjou, bien mené, bien conduit, comme vont le mener et le conduire ton grand veneur Monsoreau et ton ami Bussy, l'Anjou, à lui seul, peut nous fournir, quand je dis nous, c'est à ton frère, l'Anjou peut fournir à ton frère dix mille combattants.
– Tu crois?
– C'est le minimum. Passons à la Guyenne. La Guyenne, tu la vois, n'est ce pas? la voici: c'est cette figure qui ressemble à un veau marchant sur une patte. Ah! dame! la Guyenne, il ne faut pas t'étonner de trouver là quelques mécontents; c'est un vieux foyer de révolte, et à peine les Anglais en sont-ils partis. La Guyenne sera donc enchantée de se soulever, non pas contre toi, mais contre la France. Il faut compter sur la Guyenne pour huit mille soldats. C'est peu! mais ils seront bien aguerris, bien éprouvés, sois tranquille. Puis, à gauche de la Guyenne, nous avons le Béarn et la Navarre, tu vois? ces deux compartiments qui ressemblent à un singe sur le dos d'un éléphant. On a fort rogné la Navarre, sans doute; mais, avec le Béarn, il lui reste encore une population de trois ou quatre cent mille hommes. Suppose que le Béarn et la Navarre, très pressés, bien poussés, bien pressurés par Henriot, fournissent à la Ligue cinq du cent de la population, c'est seize mille hommes. Récapitulons donc: dix mille pour l'Anjou.
Et Chicot continua de tracer des figures sur le sable avec sa baguette.
Ci. 10, 000
Huit mille pour la Guyenne, ci. 8, 000
Seize mille pour le Béarn et la Navarre, ci. 16, 000
Total 34, 000
– Tu crois donc, dit Henri, que le roi de Navarre fera alliance avec mon frère?
– Pardieu!
– Tu crois donc qu'il est pour quelque chose dans sa fuite?
Chicot regarda Henri fixement.
– Henriquet, dit-il, voilà une idée qui n'est pas de toi.
– Pourquoi cela?
– Parce qu'elle est trop forte, mon fils.
– N'importe de qui elle est; je t'interroge, réponds. Crois-tu que Henri de Navarre soit pour quelque chose dans la fuite de mon frère?
– Eh! fit Chicot, j'ai entendu du côté de la rue de la Ferronnerie un Ventre-saint-gris! qui, aujourd'hui que j'y pense, me paraît assez concluant.
– Tu as entendu un Ventre-saint-gris! s'écria le roi.
– Ma foi, oui, répondit Chicot, je m'en souviens aujourd'hui seulement.
– Il était donc à Paris?
– Je le crois.
– Et qui peut te le faire croire!
– Mes yeux.
– Tu as vu Henri de Navarre?
– Oui.
– Et tu n'es pas venu me dire que mon ennemi était venu me braver jusque dans ma capitale!
– On est gentilhomme ou on ne l'est pas, fit Chicot.
– Après?
– Eh bien! si l'on est gentilhomme, on n'est pas espion, voilà tout.
Henri demeura pensif.
– Ainsi, dit-il, l'Anjou et le Béarn! mon frère François et mon cousin Henri!
– Sans compter les trois Guise, bien entendu.
– Comment! tu crois qu'ils feront alliance ensemble?
– Trente-quatre mille hommes d'une part, dit Chicot en comptant sur ses doigts: dix mille pour l'Anjou, huit mille pour la Guyenne, seize mille pour le Béarn; plus vingt ou vingt-cinq mille sous les ordres de M. de Guise, comme lieutenant général de les armées; total, cinquante-neuf mille hommes; réduisons-les à cinquante mille, à cause des gouttes, des rhumatismes, des sciatiques et autres maladies. C'est encore, comme tu le vois, mon fils, un assez joli total.
– Mais Henri de Navarre et le duc de Guise sont ennemis.