– Allez, mon fils, dit tranquillement la Florentine, et que l'esprit de Dieu soit avec ces conseillers, car ils en auront bien besoin pour vous tirer d'embarras.
Et elle le laissa s'éloigner sans faire un geste, sans dire un mot pour le retenir.
– Adieu, madame, répéta Henri. Mais, près de la porte, il s'arrêta.
– Henri, adieu, dit la reine; seulement encore un mot. Je ne prétends pas vous donner un conseil, mon fils; vous n'avez pas besoin de moi, je le sais; mais priez vos conseillers de bien réfléchir avant d'émettre leur avis, et de bien réfléchir encore avant de mettre cet avis à exécution.
– Oh! oui, dit Henri, se rattachant à ce mot de sa mère et en profitant pour ne pas aller plus loin, car la circonstance est difficile, n'est-ce pas, madame?
– Grave, dit lentement Catherine en levant les yeux et les mains au ciel, bien grave, Henri.
Le roi, frappé de cette expression de terreur qu'il croyait lire dans les yeux de sa mère, revint près d'elle.
– Quels sont ceux qui l'ont enlevé? en avez-vous quelque idée, ma mère?
Catherine ne répondit point.
– Moi, dit Henri, je pense que ce sont les Angevins.
Catherine sourit avec cette finesse qui montrait toujours en elle un esprit supérieur veillant pour terrasser et confondre l'esprit d'autrui.
– Les Angevins? répéta-t-elle.
– Vous ne le croyez pas, dit Henri, tout le monde le croit.
Catherine fit encore un mouvement d'épaules.
– Que les autres croient cela, bien, dit-elle; mais vous, mon fils, enfin!
– Quoi donc! madame!… Que voulez-vous dire?… Expliquez-vous, je vous en supplie.
– À quoi bon m'expliquer?
– Votre explication m'éclairera.
– Vous éclairera! Allons donc! Henri, je ne suis qu'une femme vieille et radoteuse; ma seule influence est dans mon repentir et dans mes prières.
– Non, parlez, parlez, ma mère, je vous écoute. Oh! vous êtes encore, vous serez toujours notre âme à nous tous. Parlez.
– Inutile; je n'ai que des idées de l'autre siècle, et la défiance fait tout l'esprit des vieillards. La vieille Catherine! donner, à son âge, un conseil qui vaille encore quelque chose! Allons donc! mon fils, impossible!
– Eh bien! soit, ma mère, dit Henri; refusez-moi votre secours, privez-moi de votre aide. Mais, dans une heure, voyez-vous, que ce soit votre avis ou non, et je le saurai alors, j'aurai fait pendre tous les Angevins qui sont à Paris.
– Faire pendre tous les Angevins! s'écria Catherine avec cet étonnement qu'éprouvent les esprits supérieurs lorsqu'on dit devant eux quelque énormité.
– Oui, oui, pendre, massacrer, assassiner, brûler. À l'heure qu'il est, mes amis courent déjà la ville pour rompre les os à ces maudits, à ces brigands, à ces rebelles!…
– Qu'ils s'en gardent, malheureux, s'écria Catherine emportée par le sérieux de la situation; ils se perdraient eux-mêmes, ce qui ne serait rien; mais ils vous perdraient avec eux.
– Comment cela?
– Aveugle! murmura Catherine; les rois auront donc éternellement des jeux pour ne pas voir!
Et elle joignit les mains.
– Les rois ne sont rois qu'à la condition qu'ils vengeront les injures qu'on leur fait, car alors leur vengeance est une justice, et, dans ce cas surtout, tout mon royaume se lèvera pour me défendre.
– Fou, insensé, enfant, murmura la Florentine.
– Mais pourquoi cela, comment cela?
– Pensez-vous qu'on égorgera, qu'on brûlera, qu'on pendra des hommes comme Bussy, comme Antraguet, comme Livarot, comme Ribérac, sans faire couler des flots de sang?
– Qu'importe! pourvu qu'on les égorge.
– Oui, sans doute, si on les égorge; montrez-les-moi morts, et, par Notre-Dame! je vous dirai que vous avez bien fait. Mais on ne les égorgera pas; mais on aura levé pour eux l'étendard de la révolte; mais on leur aura mis nue à la main l'épée qu'ils n'eussent jamais osé tirer du fourreau pour un maître comme François. Tandis qu'au contraire, dans ce cas-là, par votre imprudence, ils dégaineront pour défendre leur vie; et votre royaume se soulèvera, non pas pour vous, mais contre vous.
– Mais, si je ne me venge pas, j'ai peur, je recule, s'écria Henri.
– A-t-on jamais dit que j'avais peur? dit Catherine en fronçant le sourcil et en pressant ses dents de ses lèvres minces et rougies avec du carmin.
– Cependant, si c'étaient les Angevins, ils mériteraient une punition, ma mère.
– Oui, si c'étaient eux, mais ce ne sont pas eux.
– Qui est-ce donc, si ce ne sont pas les amis de mon frère?
– Ce ne sont pas les amis de votre frère, car votre frère n'a pas d'amis.
– Mais qui est-ce donc?
– Ce sont vos ennemis à vous, ou plutôt votre ennemi.
– Quel ennemi?
– Eh! mon fils, vous savez bien que vous n'en avez jamais eu qu'un, comme votre frère Charles n'en a jamais eu qu'un, comme moi-même je n'en ai jamais eu qu'un, le même toujours, incessamment.
– Henri de Navarre, vous voulez dire?
– Eh! oui, Henri de Navarre.
– Il n'est pas à Paris!
– Eh! savez-vous qui est à Paris ou qui n'y est pas? savez-vous quelque chose? avez-vous des yeux et des oreilles? avez-vous autour de vous des gens qui voient et qui entendent? Non, vous êtes tous sourds, vous êtes tous aveugles.
– Henri de Navarre! répéta Henri.
– Mon fils, à chaque désappointement qui vous arrivera, à chaque malheur qui vous arrivera, à chaque catastrophe qui vous arrivera et dont l'auteur vous restera inconnu, ne cherchez pas, n'hésitez pas, ne vous enquérez pas, c'est inutile. Écriez-vous, Henri: «C'est Henri de Navarre,» et vous serez sûr d'avoir dit vrai… Frappez du côté où il sera, et vous serez sûr d'avoir frappé juste… Oh! cet homme!… cet homme! voyez-vous, c'est l'épée que Dieu a suspendue au-dessus de la maison de Valois.
– Vous êtes donc d'avis que je donne contre-ordre à l'endroit des Angevins?
– À l'instant même, s'écria Catherine, sans perdre une minute, sans perdre une seconde. Hâtez-vous, peut-être est-il déjà trop tard; courez, révoquez ces ordres; allez, ou vous êtes perdu.
Et, saisissant son fils par le bras, elle le poussa vers la porte avec une force et une énergie incroyables. Henri s'élança hors du Louvre, cherchant à rallier ses amis.