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Là, grande vie, grand bruit, grande joie; les fenêtres resplendissaient comme des soleils, et les cuisines reluisaient comme des fours embrasés, envoyant par leurs soupiraux des parfums de venaison et de girofle capables de faire oublier à l'estomac qu'il est voisin du cœur.

Mais les grilles étaient fermées, et là une difficulté se présenta: il fallait se les faire ouvrir.

Monsoreau appela le concierge et se nomma; mais le concierge ne voulut point le reconnaître.

– Vous étiez droit, et vous êtes voûté, lui dit-il.

– C'est la fatigue.

– Vous étiez pâle, et vous êtes rouge.

– C'est la chaleur.

– Vous étiez à cheval, et vous rentrez sans cheval.

– C'est que mon cheval a eu peur, a fait un écart, m'a désarçonné et est rentré sans cavalier. N'avez-vous pas vu mon cheval?

– Ah! si fait, dit le concierge.

– En tout cas, allez prévenir le majordome.

Le concierge, enchanté de cette ouverture qui le déchargeait de toute responsabilité, envoya prévenir M. Remy.

M. Remy arriva, et reconnut parfaitement Monsoreau.

– Et d'où venez-vous, mon Dieu! dans un pareil état? lui demanda-t-il.

Monsoreau répéta la même fable qu'il avait déjà faite au concierge.

– En effet, dit le majordome, nous avons été fort inquiets, quand nous avons vu arriver le cheval sans cavalier; monseigneur surtout, que j'avais eu l'honneur de prévenir de votre arrivée.

– Ah! monseigneur a paru inquiet? fit Monsoreau.

– Fort inquiet.

– Et qu'a-t-il dit?

– Qu'on vous introduisît près de lui aussitôt votre arrivée.

– Bien! le temps de passer à l'écurie seulement, voir s'il n'est rien arrivé au cheval de Son Altesse.

Et Monsoreau passa à l'écurie, et reconnut, à la place où il l'avait pris, l'intelligent animal, qui mangeait en cheval qui sent le besoin de réparer ses forces.

Puis, sans même prendre le soin de changer de costume, – Monsoreau pensait que l'importance de la nouvelle qu'il apportait devait l'emporter sur l'étiquette, – sans même changer, disons-nous, le grand veneur se dirigea vers la salle à manger.

Tous les gentilshommes du prince, et Son Altesse elle-même, réunis autour d'une table magnifiquement servie et splendidement éclairée, attaquaient les pâtés de faisans, les grillades fraîches de sanglier et les entremets épicés, qu'ils arrosaient de ce vin noir de Cahors si généreux et si velouté, ou de ce perfide, suave et pétillant vin d'Anjou, dont les fumées s'extravasent dans la tête avant que les topazes qu'il distille dans le verre soient tout à fait épuisées.

– La cour est au grand complet, disait Antraguet, rose comme une jeune fille et déjà ivre comme un vieux reître; au complet comme la cave de Votre Altesse.

– Non pas, non pas, dit Ribérac, il nous manque un grand veneur. Il est, en vérité, honteux que nous mangions le dîner de Son Altesse, et que nous ne le prenions pas nous-mêmes.

– Moi, je vote pour un grand veneur quelconque, dit Livarot; peu importe lequel, fût-ce M. de Monsoreau.

Le duc sourit, il savait seul l'arrivée du comte.

Livarot achevait à peine sa phrase et le prince son sourire que la porte s'ouvrit et que M. de Monsoreau entra.

Le duc fit, en l'apercevant, une exclamation d'autant plus bruyante, qu'elle retentit au milieu du silence général.

– Eh bien! le voici, dit-il, vous voyez que nous sommes favorisés du ciel, messieurs, puisque le ciel nous envoie à l'instant ce que nous désirons.

Monsoreau, décontenancé de cet aplomb du prince, qui, dans les cas pareils, n'était pas habituel à Son Altesse, salua d'un air assez embarrassé et détourna la tête, ébloui comme un hibou tout à coup transporté de l'obscurité au grand soleil.

– Asseyez-vous là et soupez, dit le duc en montrant à M. de Monsoreau une place en face de lui.

– Monseigneur, répondit Monsoreau, j'ai bien soif, j'ai bien faim, je suis bien las; mais je ne boirai, je ne mangerai, je ne m'assoirai qu'après m'être acquitté près de Votre Altesse d'un message de la plus haute importance.

– Vous venez de Paris, n'est-ce pas?

– En toute hâte, monseigneur.

– Eh bien! j'écoute, dit le duc.

Monsoreau s'approcha de François, et, le sourire sur les lèvres, la haine dans Je cœur, il lui dit tout bas:

– Monseigneur, madame la reine mère s'avance à grandes journées; elle vient voir Votre Altesse.

Le duc, sur qui chacun avait les yeux fixés, laissa percer une joie soudaine.

– C'est bien, dit-il, merci. Monsieur de Monsoreau, aujourd'hui comme toujours, je vous trouve fidèle serviteur; continuons de souper, messieurs.

Et il rapprocha de la table son fauteuil qu'il avait éloigné un instant pour écouter M. de Monsoreau.

Le festin recommença; le grand veneur, placé entre Livarot et Ribérac, n'eut pas plutôt goûté les douceurs d'un bon siège, et ne se fut pas plutôt trouvé en face d'un repas copieux, qu'il perdit tout à coup l'appétit.

L'esprit reprenait le dessus sur la matière.

L'esprit, entraîné dans de tristes pensées, retournait au parc de Méridor, et, faisant de nouveau le voyage que le corps brisé venait d'accomplir, repassait, comme un pèlerin attentif, par ce chemin fleuri qui l'avait conduit à la muraille.

Il revoyait le cheval hennissant; il revoyait le mur dégradé; il revoyait les deux ombres amoureuses et fuyantes; il entendait le cri de Diane, ce cri qui avait retenti au plus profond de son cœur.

Alors, indifférent au bruit, à la lumière, au repas même, oubliant à côté de qui et en face de qui il se trouvait, il s'ensevelissait dans sa propre pensée, laissant son front se couvrir peu à peu de nuages, et chassant de sa poitrine un sourd gémissement qui attirait l'attention des convives étonnés.

– Vous tombez de lassitude, monsieur le grand veneur, dit le prince; en vérité, vous feriez bien d'aller vous coucher.

– Ma foi, oui, dit Livarot, le conseil est bon, et, si vous ne le suivez pas, vous courez grand risque de vous endormir dans votre assiette.

– Pardon, monseigneur, dit Monsoreau en relevant la tête; en effet, je suis écrasé de fatigue.

– Enivrez-vous, comte, dit Antraguet, rien ne délasse comme cela.

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